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Maladie de système, Médecine interne

Publié le 04 juil 2024Lecture 6 min

Rôle du système nerveux dans les maladies dermatologiques

Laurent MISERY, Chef de service de dermatologie et vénéréologie, CHU de Brest Directeur du Laboratoire Interactions Épithéliums-Neurones (LIEN), université de Brest

La relation entre la peau et le système nerveux ou entre la peau et le psychisme est un domaine de recherche passionnant et en pleine expansion. On sait aujourd’hui que l’impact psychologique des troubles cutanés peut être très important, le stress pouvant aggraver ces troubles. Nous savons également que les interactions entre la peau et le système nerveux sont très étroites et que les propriétés de la peau peuvent être modifi ées par le système nerveux. Après une description physiopathologique des liens entre système nerveux et maladies dermatologiques, retour à la clinique pour une prise en charge holistique du patient.

La peau est un organe sensoriel majeur, aussi performant que l’œil, innervé par différents types de terminaisons et structures nerveuses issues des systèmes nerveux périphériques somato-sensoriel et autonome (innervation sympathique et parasympathique) (figure 1). Son innervation très dense permet un toucher extrêmement perfectionné avec une grande variété de sensations. Il a d'ailleurs été démontré qu’à chaque terminaison nerveuse correspond une zone précise du cerveau. Figure 1. Innervation cutanée sensitive : organisation des récepteurs cutanés sensoriels A. Peau glabre ; B. Peau poilue. 1. Couche cornée; 2. Couche granuleuse; 3. Couche des épines; 4. Couche basale; 5. Corpuscule de Pacini; 6. Corpuscule de Ruffini; 7. Corpuscule de Meissner; 8. Fibres nerveuses libres intra-épidermiques; 9. Dôme tactile; 10. Cellules de Merkel; 11. Terminaisons lancéolées circonférentielles; 12. Aβ; 13. Ad; 14. a. Guard; b. Zigzag; c. Awl-Auchène.   Les fibres nerveuses du système autonome régulent la fonction des glandes sudoripares, la vasomotricité, le flux sanguin et la thermorégulation(1). L’innervation cutanée a donc une fonction sensorielle, de perception de la température, mécanique, de la douleur et il existe également des récepteurs spécifiques du prurit(2). Les kératinocytes épidermiques dialoguent avec les neurones sensoriels via des contacts de type synaptique(3). Ces mêmes terminaisons nerveuses produisent des neuromédiateurs dans la peau et ceux-ci régulent toutes les fonctions cutanées telles que la vasodilatation, la sudation, la sécrétion sébacée, la pilo-érection, la cicatrisation, l’inflammation, l’immunité, la trophicité, etc.(4). Les neurotransmetteurs dans la peau (substance P, neuropeptide Y, somatostatine, enképhalines, etc.) produits par les neurones et les cellules de Merkel peuvent être aussi générés par les kératinocytes, les lymphocytes ou les cellules de Langerhans de la peau ; ces neurotransmetteurs sont comme un alphabet qui permet à la peau de comprendre certains messages ; les facteurs de croissance neuronaux, les neurotrophines (neuro-growth factor [NGF], brain-derived neurotrophic factor [BDNF], neurotrophin-4 [NT4], neurotrophin-3 [NT3]) jouent le rôle de ponctuation. Ces neurotransmetteurs se fixent sur des récepteurs de glandes sébacées, sudorales, cellules de l’épiderme, les vaisseaux sanguins. Il existe une inflammation neurogène cutanée qui permet de prolonger l’action des cytokines pro-inflammatoires dès les premiers stades du processus inflammatoire. Il existe aussi un système d’auto-entretien pour pérenniser cette inflammation. Des protéines sensorielles (TRPV1 et TRPA1)(5) ont une fonction de perception sensorielle et d’amplification de l’inflammation dont le mécanisme d’action est connu(6) (figure 2). Figure 2. Vision en microscopie électronique d’une synapse entre un neurone et une terminaison nerveuse.   Elles jouent un rôle dans la physiopathologie du prurit qui naît le plus fréquemment autour de la jonction dermo-épidermique. Le prurit est une perception sensorielle très spécifique de la peau(7). Lorsque le prurit est chronique, il existe une boucle qui s’auto-entretient : une sensibilisation périphérique au prurit avec hyperactivation, hyperexcitabilité et une hypertrophie des terminaisons nerveuses dans la peau. Il existe aussi une sensibilisation centrale avec une diminution des circuits inhibiteurs dans la moelle épinière et une focalisation du fonctionnement cérébral sur le prurit. Le message «prurit» envahit le cerveau ; en réponse, des neuromédiateurs et des cytokines sont sécrétés, ce qui va amplifier le prurit(7). Il existe un seul système neuro-endocrino-immuno-cutané(SNEIC) où les cellules partagent les mêmes connexions anatomiques et fonctionnelles, utilisent les mêmes médiateurs et récepteurs. L’homéostasie du SNEIC est délicate et peut être fragilisée par des circonstances physiologiques telles que l’âge, le stress, l’exposition aux UV, etc., et par des circonstances pathologiques (désordres cosmétiques et maladies dermatologiques inflammatoires mais aussi lors de troubles psychiatriques). Le stress va activer le SNEIC dans la peau. Le stress est à la fois le facteur d’agression ou une réaction d’adaptation à un facteur d’agression. Qu’il soit physique ou psychique, aigu ou chronique, les mécanismes biologiques sont les mêmes avec la sécrétion de neuromédiateurs CRH, ACTH, cortisol, adrénaline, noradrénaline (+substance P…) et cytokines. En conséquence, il y a une moins bonne réparation de la barrière cutanée et une immunosuppression. Le stress, la dépression, l’anxiété peuvent aggraver un certain nombre de maladies cutanées (déclenchement de poussées de DA, psoriasis, acné, herpès, etc.), surtout celles où l’immunité joue un rôle. L’influence du stress peut être également impliquée dans les désordres cosmétiques tels que l’hyperhidrose, la chute des cheveux, les peaux réactives…   LE RÔLE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LE PSORIASIS   Le stress est le principal inducteur des poussées de psoriasis et est responsable d’au moins 50 % d’entre elles. Celles-ci sont liées à des mécanismes auto-immuns et à la production de cytokines inflammatoires par les kératinocytes et les cellules immunitaires. Le rôle du système neuro-immuno-cutané est majeur dans la chronicité et les poussées de la maladie. Dans le psoriasis, les récepteurs de la substance P sont surexprimés. Or, la substance P est un neuromédiateur qui peut induire la prolifération épidermique et limiter la différenciation tout en activant les lymphocytes et les polynucléaires neutrophiles, tous ces phénomènes étant les composantes majeures d’une poussée de psoriasis. Bien entendu, elle n’est pas impliquée dans les mécanismes initiaux, et le stress n’est pas une cause et encore moins la cause du psoriasis : il s’agit seulement d’un mécanisme amplificateur. En cas de dénervation d’une plaque de psoriasis (par section d’un nerf par exemple), on observe une disparition quasi complète de la plaque alors que la biopsie cutanée révèle la présence de lymphocytes et de cellules dendritiques toujours hyperactivées ; cela démontre clairement que le système nerveux est un acteur majeur du contrôle de la maladie cutanée telle que le psoriasis. De même, lorsqu’il existe des lésions de psoriasis, certaines zones du cerveau sont activées qui correspondent aux zones cutanées inflammatoires(8). Enfin, lors d’un stress chronique, il y a des modifications épigénétiques telle que la méthylation de l’ADN, et cette modification de l’ADN est transmissible(9) .   INTERRELATIONS DERMATO-PSYCHIATRIQUES : 4 SITUATIONS DISTINCTES   Il existe un retentissement psychique des dermatoses chroniques, inesthétiques, prurigineuses. De même est observée l’influence d’événements stressants, de troubles psychologiques ou de maladies psychiatriques sur l’évolution de maladies cutanées (rarement sur leur déclenchement). Ainsi, les interactions dermato-psychiatriques peuvent être de différentes natures : – des troubles psychiques et cutanés peuvent coexister chez un même individu sans qu’il y ait de relation entre eux ; – des troubles psychiques apparaissent fréquemment secondairement à des maladies cutanées, avec un retentissement psycho-social souvent majeur aujourd’hui généralement admis (surtout depuis l’arrivée des biothérapies) ; – des troubles psychiques peuvent également favoriser des troubles cutanés : syndromes délirants (délires d’infestation, hypocondrie), phobies (dysmorphophobie, bromhidrosiphobie), prurit psychogène (dysesthésies et paresthésies), douleurs psychogènes (glossodynie, vulvodynie, anodynie), troubles psychiques à l’origine de lésions cutanées sévères (pathomimie, excoriations psychogènes) ou non sévères (trichotillomanie, onychotillomanie); – des maladies cutanées peuvent être modulées par des troubles psychiques : maladies dermatologiques (dermatite atopique, psoriasis, urticaire, pelade, acné, vitiligo), troubles cosmétologiques (effluvium télogène, peau réactive). situations sont fréquentes. Ces interrelations dermato-psychiatriques sont très variables et difficilement évaluables quantitativement et qualitativement. De nombreuses publications montrent le rôle déclencheur et révélateur du stress ou de facteurs psychiques (dépression en particulier) dans certains cas. Il existe donc un rationnel psychopathologique et/ou physiopathologique. Une mise à jour de la première classification internationale des désordres psycho-dermatologiques a été récemment publiée dans le JEADV(10).   SOUVENT DEUX POINTS DE VUE S’OPPOSENT   • « Ce n’est pas psy. » Les maladies psychosomatiques n’existent pas en dermatologie, car il y a des causes immunologiques. Ce point de vue est défendu par des médecins qui connaissent souvent mal la neuropsycho-immunologie ou sont mal à l’aise avec l’abord psychologique des patients. • Les maladies cutanées sont dues au stress, point de vue fréquent chez les journalistes dans la population, et rarement partagé par des médecins ou psychologues. Les 2 points de vue sont non seulement faux mais absurdes. La réalité se situe entre les deux. En effet, le système nerveux (et donc le psychisme) est très souvent impliqué dans la physiopathologie des maladies cutanées mais il joue habituellement un rôle amplificateur et ne peut pas être à l’origine de ces maladies. Tout n’est pas psy ! Mais il ne faut pas négliger la composante psy de chaque patient. Les dermatologues sont des médecins, qui sont donc compétents pour s’intéresser à la vie psychique des malades et prescrire des traitements adaptés. Figure 3. Inflammation neurogène cutanée. (D’après GOUIN O et al., Review - Neurogenic inflammation in the skin.)

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