Publié le 01 juin 2014Lecture 11 min
Tabac et peau
M.-S. DOUTRE, O. COGREL, Hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, Pessac
Les interactions entre la peau et le tabac sont multiples, le plus souvent néfastes, certaines bien documentées et incontestables, d’autres probables mais demandant à être confirmées.
Dans le tabac, il n’y a pas que de la nicotine Le tabac est une plante annuelle de la famille des solanacées, du genre Nicotania, dont il existe plus de 60 espèces. Selon le climat, les sols, le type de séchage, au soleil, à l’air naturel, à l’air chaud, au feu, il existe des « crus » de tabac. Le tabac peut être assimilé à une drogue dont la dépendance est excessivement forte. En France, l’âge moyen de la première cigarette est de 14 ans. Il existe des fumeurs (1 cigarette au moins/jour), des ex-fumeurs (pas de tabac depuis au moins 1 an) et des fumeurs passifs. La toxicité du tabac est due à sa combustion. Il existe dans la fumée plus de 4 000 composés chimiques dont des gaz (mono- et dioxyde de carbone), des substances irritantes (aldéhydes, phénols…), la nicotine et ses dérivés (nycotirine, cotinine), des goudrons (hydrocarbures polycycliques). La nicotine agit au niveau de la peau par l’intermédiaire de récepteurs présents sur les kératinocytes, les fibroblastes, les monocytes, les cellules dendritiques, les cellules endothéliales… D’autres composants agissent aussi sur l’inflammation et l’angiogenèse. Les interactions peau et tabac sont multiples Le tabac entraîne une accentuation du vieillissement cutané, des anomalies des ongles et des cheveux. Il a des effets délétères sur les processus de cicatrisation, favorise ou aggrave certaines dermatoses inflammatoires, psoriasis, pustuloses palmo-plantaires, eczémas, lupus, acné, maladie de Verneuil…, joue un rôle important dans la survenue et/ou l’aggravation de lésions vasculaires, augmente le risque d’apparition de cancers cutanés et muqueux, peut être responsable des manifestations irritatives et/ou allergiques tant chez les utilisateurs que dans un contexte professionnel(1-4). Tabac et vieillissement cutané L’association entre vieillissement facial et tabagisme est bien connue, notamment lorsque celui-ci dépasse 40 paquets-années.En 1971, un lien entre les rides périorbitaires et le tabac a été démontré et en 1985, le terme de « faciès de fumeur » a été proposé pour désigner un ensemble de signes permettant aux médecins de repérer facilement les fumeurs : rides faciales profondes, épaississement des contours osseux, atrophie cutanée et coloration jaune-orangée du tégument(5) (figure 1). Figure 1. Peau épaissie, ridée du visage chez une fumeuse. Concernant l’action du tabac sur les rides, la littérature dermatologique est plus controversée en raison de la difficulté de faire la part des différents co-facteurs impliqués : âge, exposition solaire, poids… Cependant, des observations de jumelles homozygotes ont permis de démontrer les effets directs du tabac indépendamment des facteurs habituels de confusion(6). La fumée de cigarette agit en augmentant les métalloprotéinases 1 et 3 qui dégradent le collagène, inhibent sa production et altèrent les fibres élastiques dans le derme réticulaire de la peau non exposée, ceci aboutissant à des altérations proches de celles observées dans l’élastose solaire. Le tabac interfère aussi avec le TGFβ1 impliqué dans la réparation tissulaire et le remodelage. Tabac et chirurgie Les données concernant le risque de comorbidités en période opératoire imputables au tabagisme sont de plus en plus conséquentes(7-9). Les effets du tabac se manifestent sur la fonction pulmonaire, notamment en augmentant le risque de complications infectieuses et de détresse respiratoire aiguë en période postopératoire et/ou sur la fonction cardiovasculaire, notamment le travail myocardique et le risque accru de dépression du segment ST en période périopératoire. En outre, le tabagisme augmente de manière considérable la fréquence des complications au niveau du site opératoire : retard de cicatrisation, déhiscence des plaies cutanées, nécroses graisseuses, hématomes, infections. La conjonction des effets du monoxyde de carbone, qui altère les capacités de transport de l’oxygène et de la nicotine responsable d’une vasoconstriction, conduit à une hypoxie tissulaire et favorise la prolifération bactérienne au site opératoire. Le tabagisme chronique altère également certaines fonctions cellulaires comme celles des fibroblastes. L’impact du tabac en chirurgie dermatologique concerne essentiellement les lambeaux et les greffes. D. Goldminz et R.G. Bennett ont montré que les gros fumeurs (> 1 paquet/j) avaient un risque de nécrose 3 fois supérieur aux non-fumeurs. L’effet de vasoconstriction étant de courte durée, il serait nécessaire d’arrêter de fumer 2 jours avant et pendant au minimum une semaine après l’intervention chirurgicale(10). Tabac et psoriasis Il existe de très nombreuses études montrant la fréquence de l’association psoriasis-intoxication tabagique en tenant compte, d’une part, de l’incidence du tabagisme dans les populations contrôles et, d’autre part, des facteurs associés, alcool, obésité, dépression, etc. Ainsi, dans l’étude de P. Wolkenstein et coll., parmi les 6 887 répondeurs à un questionnaire envoyé à 10 000 sujets de plus de 15 ans (68,5 %), 365 déclarent avoir eu, durant les 12 mois précédents, des lésions de psoriasis significativement associées au tabagisme(11). W. Li et coll. notent que le risque relatif (RR) augmente avec la consommation quotidienne de tabac : RR = 1,81 pour 1-14 cigarettes/j ; RR = 2,04 pour 15-24 cigarettes/j ; RR = 2,29 pour plus de 25 cigarettes/j(12). Les effets du tabac sur le psoriasis peuvent être dus à différents facteurs : anomalies des fonctions des polynucléaires neutrophiles (migration et chimiotactisme), accélération de la maturation des kératinocytes, stimulation de la synthèse de certaines cytokines (IL-1, TNFα, TGFβ), toxicité tissulaire des ROS, augmentation de l’expression des gènes associés au psoriasis(13). Le tabagisme peut agir sur la sévérité du psoriasis évaluée par le PASI, corrélée avec le nombre de paquets/années, surtout chez la femme, dans l’étude de C. Fortes et coll.(14), sa localisation, une relation très forte étant démontrée avec le psoriasis pustuleux palmoplantaire (figure 2), l’efficacité des traitements, comme la photothérapie. Figure 2. Psoriasis pustuleux plantaire. Quelques études s’intéressent à l’évolution du psoriasis après l’arrêt de l’intoxication tabagique. Ainsi, G. Michaelsson et coll. rapportent que, parmi 63 patients fumeurs présentant un psoriasis pustuleux palmo-plantaire, l’arrêt du tabac pendant un mois chez 34 d’entre eux est suivi d’une diminution significative du nombre de pustules(15). A.R. Setty et coll. notent que le risque de survenue d’un psoriasis diminue progressivement pour devenir identique à celui des non-fumeurs 20 ans après l’arrêt du tabac(16). Étant donné le risque accru de comorbidités, syndrome métabolique, diabète, dyslipémie, hypertension… associées au psoriasis, il est important de prendre en charge et de tenter de corriger les conduites à risque comme le tabagisme. Le tabac, une longue histoire… et quelques dates Tabac et acné Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses études ont été réalisées, mais avec des résultats contradictoires : aggravation de l’acné par le tabac dans certaines ; pas d’association statistiquement significative entre le tabagisme et cette dermatose dans d’autres et même parfois effet protecteur du tabac… Ainsi, dans le travail de I. Klaz et coll. réalisé sur 27 083 hommes, 11 718 fumeurs et 15 365 non-fumeurs, la prévalence de l’acné sévère nodulokystique observée chez 237 patients (0,88 %) est significativement plus basse chez les fumeurs (0,71 %) que chez les non-fumeurs (1,01 %) (p = 0,00078)(17). Ces divergences sont probablement dues aux caractères différents des sujets étudiés : hommes ou femmes, âge variable, acné modérée, moyenne ou sévère, importance de l’intoxication tabagique allant de 1 cigarette/ semaine à… Plusieurs travaux se sont particulièrement intéressés à l’acné tardive de la femme. B. Capitanio et coll. observent que chez 1 000 femmes de 25 à 50 ans, 185 ont une acné (18,5 %), dont 115 parmi 277 fumeuses (41,5 %) et 70 parmi 723 non-fumeuses (9,7 %) (p < 0,0001)(18). Dans une autre étude, ce même auteur note que parmi 226 femmes de 25 à 50 ans ayant une acné, 192 (85 %) ont une forme rétentionnelle, dont 72,9 % sont fumeuses, et 34 (15 %) une forme inflammatoire papulo-pustuleuse, dont 29,4 % sont fumeuses (p < 0,0001), la gravité de l’acné étant corrélée avec l’importance du tabagisme(19). Tabac et hidrosadénite suppurée La forte association entre l’hidrosadénite suppurée (HS) (figure 3) et le tabac est bien démontrée. Dans l’étude contrôlée de l’équipe de Créteil portant sur 302 patients souffrant d’HS versus 906 contrôles, 76 % des patients atteints étaient fumeurs versus 25 % chez les non malades (OR = 12,55 ; IC 95 % : 8,58-18,38)(20). Figure 3. Hidrosadénite suppurée. Une autre étude de 251 patients montre que les patients fumeurs tendent à avoir des scores de sévérité plus élevés que les non-fumeurs(21). Le mécanisme d’action du tabac dans l’HS n’est pas encore bien connu : action de la nicotine sur le chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles, rôle immunomodulateur, altérations directes des glandes sudorales. Un modèle in vitro a démontré que la nicotine était capable d’induire une hyperplasie épidermique folliculaire conduisant à l’obstruction de l’infundibulum folliculaire impliqué dans l’HS(22). Tabac et pathologie vasculaire périphérique C’est surtout chez l’homme qu’il y a une association significative entre intoxication tabagique et maladie de Raynaud(23). Bien que le tabac ne soit pas un facteur de risque de survenue d’une sclérodermie, quelques études ont montré une relation entre l’importance du tabagisme et la gravité du syndrome de Raynaud et la régression significative de celui-ci après arrêt du tabac(24). De même, le risque de nécroses digitales est augmenté chez les fumeurs. Dans le travail de P. Caramashi et coll., parmi 85 patients présentant une sclérodermie, 29 ont une nécrose digitale dont 34,5 % sont fumeurs, et 56 en sont indemnes, dont 8,9 % sont fumeurs (p = 0,003)(25). Des nécroses digitales sont aussi observées au cours de l’artériopathie juvénile de Buerger définie par 3 critères : homme de moins de 45 ans, intoxication tabagique, atteinte artérielle distale. Mais il faut aussi évoquer ce diagnostic chez la femme étant donné l’augmentation de prévalence du tabagisme féminin(26). Les lésions siègent souvent au niveau des membres inférieurs, mais dans 30 à 40 % des cas, il existe une atteinte associée des membres supérieurs et, dans 10 % des cas, celle-ci est isolée. Un tableau clinique très proche de la maladie de Buerger est observé chez les fumeurs de cannabis, celui-ci étant le plus souvent associé au tabac. Le tabac pourrait interférer avec des traitements utilisés en dermatologie Le tabac interagit avec le métabolisme de nombreux médicaments, pouvant en modifier l’efficacité(27). Plusieurs études se sont intéressées aux antipaludéens de synthèse (APS) prescrits dans les manifestations cutanées lupiques. Leurs résultats sont divergents, l’efficacité des APS chez les fumeurs étant diminuée dans certaines, dans d’autres non, ceci pouvant être dû aux types différents des lupus étudiés, plus ou moins sévères, et/ou au nombre de cigarettes fumées qui n’est pas toujours noté de façon précise(28,29). Il est dans tous les cas souhaitable d’inciter les patients à cesser leur intoxication tabagique. Mais vouloir arrêter de fumer n’est pas sans risque… Les patchs de nicotine utilisés depuis les années 1990 ont été responsables de dermites de contact, le plus souvent à type d’irritation (érythème, prurit, sensation de brûlures, etc.), plus rarement d’allergie au principe actif ou aux adhésifs(30). Celles -ci sont actuellement beaucoup plus rares. Le bupropion (Zyban®), prescrit en France depuis 2001, peut être responsable de manifestations cutanées. C’est une urticaire aiguë qui est le plus souvent observée, des cas ponctuels de lupus érythémateux cutané subaigu, psoriasis, syndrome de Stevens-Johnson, DRESS étant également décrits. Les centres français de pharmacovigilance et le laboratoire GSK ont rapporté 470 effets secondaires sévères parmi les 698 000 patients traités entre 2001 et 2004. Parmi ceux-ci, il existait 145 (31 %) réactions dermatologiques (angio-oedème et maladie sérique) survenant 12 à 14 jours après le début du traitement(31). Les effets secondaires cutanés de la varénicline (Champix®) utilisée depuis 2006, paraissent peu fréquents, d’exceptionnelles observations d’exanthème maculopapuleux, de pustulose exanthématique aiguë généralisée étant rapportées. Le tabac aurait parfois des effets bénéfiques… Par certains de ces composants, le tabac a des effets anti-inflammatoires et/ou immunosuppresseurs pouvant avoir un effet bénéfique dans certaines dermatoses(32). En effet, certaines manifestations dermatologiques, comme les aphtes, paraissent moins fréquentes chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. De façon anecdotique, il a été signalé un parallélisme évolutif entre les phases d’arrêt et de reprise du tabac et des cas de pemphigus, de Pyoderma gangrenosum… De même, dans des observations ponctuelles, la nicotine en patchs, en chewing-gum… a paru efficace sur le plan thérapeutique, mais ceci demande confirmation(33).
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