Plaies et cicatrisation
Publié le 18 avr 2018Lecture 11 min
Les indications dermatologiques de la compression veineuse
Patricia SENET, Service de dermatologie, UF de Dermatologie et Médecine vasculaire Hôpital Tenon, Paris
Les indications de la compression veineuse les plus connues sont la cicatrisation de l’ulcère de jambe veineux, nécessitant une compression par bandages multitypes multicouches, disponibles en kits commercialisés, et la prévention primaire ou secondaire de l’ulcère de jambe nécessitant idéalement une compression par chaussettes bas ou collants de classe III. Par ailleurs, la mise en place d’une compression se justifie dès qu’il y a une situation pathologique entraînant un œdème des membres inférieurs, soit pour traiter la douleur de l’œdème, soit pour prévenir la survenue d’un retard de cicatrisation en cas de chirurgie sur les jambes. Ces indications sont moins bien connues et ne font pas l’objet de recommandations. Cependant l’utilisation des bandes à allongement court ou inélastiques est facile à utiliser dans ces indications car les bandes sont gardées 24 h/24, changées avec le pansement et tolérées en cas d’artériopathie modérée. Toute mise en place d’une compression nécessite une surveillance pour apprécier la tolérance, surtout en cas d’artériopathie sous-jacente.
La compression veineuse est utilisée à tous les stades cliniques de l’insuffisance veineuse (classification internationale CEAP, tableau 1). Outre le traitement de l’ulcère de jambe (UJ) veineux, les dermatologues sont confrontés à des indications particulières : le traitement ou la prévention primaire des troubles trophiques liés à l’insuffisance veineuse comme les hypodermites scléreuses (figure 1), la prise en charge du patient insuffi sant veineux lors d’une chirurgie cutanée sur la jambe, les greffes cutanées sur les jambes, le lymphœdème. Il existait auparavant une distinction entre contention et compression. Néanmoins, le terme unique de compression a été retenu par la HAS en 2006 et 2010(1,2). Par ailleurs, le choix des dispositifs de compression s’est élargi, et leur modalités d’utilisation se sont finalement simplifiées.
Figure 1. Hypodermite scléreuse débutante, inflammatoire et douloureuse.
Les mécanismes d'action
Le but de la compression est de diminuer l’hypertension veineuse, maximale dans les zones déclives c’est-à-dire aux chevilles et aux pieds, responsable d’un œdème, en y opposant sa force de pression. Le rôle bénéfique de la compression sur le réseau veineux a été bien démontré : diminution du reflux veineux, et action sur les anomalies microcirculatoires avec diminution de l’œdème interstitiel, augmentation de la vélocité sanguine capillaire. L’ensemble de ces phénomènes diminue l’hypoxie cutanée présente dans les œdèmes, quelle que soit la cause, et l’insuffisance veineuse sévère, à l’origine des troubles trophiques.
Les règles générales
Quel que soit le matériel choisi, bandes ou bas, la compression doit obéir à certaines règles précises :
• La pression doit être dégressive depuis la cheville jusque sous le genou, pour faciliter le retour veineux.
• Elle obéit à la loi de Laplace : Pression exercée (g/cm2) = tension du matériel (g/cm)/rayon (cm). Ainsi, si une bande est appliquée avec une tension constante (T), la pression est forcément dégressive de la cheville au genou puisque le rayon R de la jambe augmente en remontant.
• Le choix du matériel, bandes ou bas, dépend de l’état du membre, de l’existence d’un pansement, volumineux ou non, et de l’autonomie du patient.
• L’artériopathie des membres inférieurs (AOMI) est une contreindication relative. En effet, il a été défini un niveau seuil de l’index de pression systolique (IPS) supérieur à 0,6 autorisant à installer une compression adaptée. En dessous de ce seuil, la compression est au moins adaptée voire contre-indiquée. Si les pouls distaux ne sont pas retrouvés, la mesure de l’IPS est une obligation, de même que la réalisation d’un écho-Doppler artériel.
La compression sera d’autant plus efficace qu’elle sera associée aux autres traitements physiques de l’insuffisance veino-lymphatique : marche efficace, drainage de posture en surélevant les jambes en décubitus, perte de poids, exercices réguliers de mobilisation de la cheville.
Le matériel
Les bandes de compression disponibles en officines sont listées dans le tableau 2.
Les collants et les bas de compression
Ce sont des dispositifs élastiques. Ils sont utilisés pour les UJ de petite taille avec un pansement de faible volume, en prévention de la récidive après cicatrisation ou en prévention primaire des troubles trophiques après thrombose veineuse ou en cas d’insuffisance veineuse connue (varices, etc.). Ils sont classés en fonction de la pression exercée à la cheville (tableau 3). Les classes s’additionnent lors de la superposition des bas : par exemple, 2 classes II superposées sont équivalentes (environ) à une classe IV, et sont plus faciles à enfiler qu’un bas de classe III ou IV. La classe II est supportée par les patients présentant une AOMI modérée. Enfin, ces dispositifs se mettent le matin avant le lever et s’enlèvent le soir au coucher. Ils sont contre-indiqués en cas d’AOMI avec un index de pression de cheville inférieur à 0,6. En pratique, les dispositifs de classe I peuvent être essayés en cas d’AOMI, et même éventuellement progressivement superposés, chez des patients ca pables de ressentir une éventuelle douleur et informés.
Les bandages multicouches/ multitypes (Urgo K2®, Coban 2™, Profore™)
Ils comprennent une couche élastique à allongement court et sont considérés comme du matériel inélastique ou peu élastique en raison de la superposition des matériaux qui rigidifie l’ensemble. Ce sont des dispositifs inamovibles c’est-à-dire gardés 24 h/24 et changés avec le pansement par les soignants. Le terme « multitype » signifie que le système est composé de différents types de bandages (ex : superposition d’une bande élastique et de bandes inélastiques), le « multicouche » indique qu’il y a plusieurs couches de bandes. Ils sont contre-indiqués en présence d’une AOMI avec IPS inférieur à 0,8.
Les bandes amovibles ou inamovibles
Elles peuvent être à allongement long (> 100 % d’allongement, par exemple, bandes Biflex™, remboursées), à allongement court ou inélastiques (< 100 % d’allongement, par exemple, Coheban™ ou Velpeau® Press si non étirés au maximum, bandes Somos™ ou Rosidal K™). Les bandes à allongement court ou inélastiques sont utilisables en cas d’AOMI modérée (IPS entre 0,5 et 0,8). Les bandes démarrent à la racine des orteils, enveloppent le talon, font un double huit sur le pied et sont déroulées en spires qui se chevauchent de 50 % ou de 2/3 (pression plus forte). Les tailles les plus utilisées ont une longueur de 3 et 3,50 m et une largeur de 10 cm selon la taille du sujet.
La peau sous-jacente peut être protégée par des bandes coton usuelles (bandes Nylex™ par exemple, remboursées), une bande Velpeau® crêpe (remboursée), un dispositif tubulaire en coton (Tubifast™ « bleu » pour la taille de la jambe, remboursé) ou, si besoin, une bande de ouate comme celle utilisée sous les plâtres (bande Cellona™).
Les indications classiques
Dans l’ulcère de jambe
Dans toutes les formes cliniques de l’insuffisance veineuse chronique, des recommandations de la HAS ont été publiées(2) et précisées dans plusieurs revues Cochrane récentes et dans une revue systématique de la littérature(3-5).
• Cicatrisation de l’UJ veineux ou à prédominance veineuse
C’est la prescription principale de la compression par bandages multitypes /multicouches présentés en kits. En effet, le bandage multitype multicouche est supérieur pour le taux de cicat r isat ion à 6 mois, au bandage simple, qu’il soit élastique (type Biflex® par exemple) ou non. Parmi les systèmes multitypes multicouches, ceux contenant une couche élastique dans les bandages (comme c’est le cas dans les systèmes en kit actuellement commercialisés) sont plus efficaces que ceux ne contenant pas de composant élastique(3).
Depuis 2012, une nouvelle étude, randomisée, contrôlée, VenUS IV, a apporté des précisions : 2 chaussettes de classe II superposées (soit du multicouche mais non multitype) sont identiques à un système multitype multicouche (Profore™) pour le taux de cicatrisation complète à 1 an et le délai de cicatrisation, respectivement 70 et 71 % et 98 et 99 jours(6). De façon inattendue, il y avait plus d’effets secondaires et de changement de traitement dans le groupe chaussettes par rapport au groupe Profore™. Les UJ inclus étaient de très petite taille (4 cm2 en moyenne), avec un bon pronostic de cicatrisation. En pratique, dans les UJ veineux, en 1re intention, les systèmes multitypes multicouches tels que ceux commercialisés en France, sont indiqués et recommandés avec un niveau de preuve élevé de rang A, et sont bien tolérés. L’alternative, pour des UJ de petite taille est la superposition de 2 chaussettes de classe II. Il n’y a aucune place en 1re intention pour les bandes élastiques simples, type Biflex® qui sont pourtant largement prescrites en France et quasiment jamais dans le reste de l’Europe.
D’autre part, une autre étude a montré, grâce à des mesures de pression effectuées sous les compressions, que les multicouches sont mieux posées en termes d’objectifs de pression, par les infirmières, que des bandes monotype, élastiques ou inélastiques(7).
• Cicatrisation de l’UJ mixte
Il n’y a pas d’étude clinique disponible pour la cicatrisation des ulcères mixtes, avec un IPS entre 0,6 (seuil de l’IPS audessous duquel la compression est en théorie contre-indiquée) et 0,8 (seuil au-dessus duquel les ulcères sont considérés veineux ou à prédominance veineuse) . Cependant , en pratique, une compression est utile quand il existe un oedème, soit de reperfusion après revascularisation, soit en raison d’une insuffisance veineuse associée, et/ou d’un déficit de la pompe du mollet. Dans ce cas, la compression est choisie inélastique, même multicouche. Une étude récente a montré que pour les ulcères mixtes avec un IPS > 0,5 et une valeur absolue de pression à la cheville > 60 mmHg, les bandages inélastiques, exerçant une pression jusqu’à 40 mmHg à la cheville, réduisaient l’oedème et amélioraient la pompe musculaire, sans réduire la perfusion artérielle mesurée par laser Doppler en distalité(8,9).
En pratique, pour les UJ mixtes, une compression par des bandes inélastiques (bandes Somos™ ou Rosidal K™, non remboursées) ou des bandes à allongement court comme les bandes cohésives non serrées c’est-à-dire déroulées avant d’être posées, Coheban™ ou Velpeau® Press, sont prescrites voire associées. La protection de la peau en dessous de ces bandages est indispensable : soit système tubulaire coton Tubifast™ « bleu », soit bandage coton ou Velpeau® usuel.
• Prévention secondaire de la récidive de l’ulcère veineux(4)
Le niveau de preuve des recommandations est beaucoup plus faible. En effet, il est démontré dans une étude que le taux de récidive des UJ est plus faible avec une compression par chaussette ou par bas que sans compression. D’autres études suggèrent qu’une chaussette de haut niveau de compression (30-40 mmHg), est supérieure à une classe avec un niveau intermédiaire de compression (20-30 mmHg), mais il est également montré que les chaussettes de haut niveau de compression sont moins portées que celles de niveau intermédiaire. Au total, il est recommandé de faire porter des chaussettes de compression assurant au mieux une pression entre 30 et 40 mmHg à la cheville. Cependant, il vaut mieux négocier un niveau inférieur de compression (20 à 30 mmHg) si cela permet d’obtenir une meilleure compliance, pendant au moins 2 ans. Les chaussettes peuvent se superposer pour obtenir des niveaux de compression satisfaisants et un bon confort.
Dans les troubles trophiques liés à l’insuffisance veineuse
Les troubles trophiques liés à l’insuffisance veineuse sont l’œdème, l’eczéma variqueux, les hypodermites scléreuses, qu’elles soient inflammatoires et douloureuses (figure 1) ou plus anciennes et purement scléreuses et, enfin, l’ulcère de jambe.
Le niveau de preuve des recommandations pour la prévention primaire des troubles trophiques veineux est beaucoup plus faible.
Cependant, il est recommandé de faire porter des chaussettes de compression assurant au mieux une pression entre 30 et 40 mmHg à la cheville (classe III) ou 2 chaussettes de classe II superposées comme cela a été montré récemment dans le traitement initial de l’œdème veineux(10). Néanmoins, là encore, il vaut mieux négocier un niveau inférieur de compression (20 à 30 mmHg) si cela permet d’obtenir une meilleure compliance, pendant au moins 2 ans. Les chaussettes peuvent se superposer pour obtenir des niveaux de compression satisfaisants et un bon confort : une chaussette de classe I puis une chaussette de classe II par dessus sont à peu près équivalentes à une classe III, 2 chaussettes classe II superposées à une classe III-IV.
Les indications « dermatologiques »
Dans ces indications, il s’agit surtout de recommandations d’experts et d’expérience, sans qu’il y ait eu d’étude clinique réalisée, en dehors de cas cliniques. Finalement, toutes les situations pathologiques entraînant la survenue d’un œdème des jambes requièrent une prise en charge par une compression adaptée pour lutter contre la douleur liée à l’œdème et prévenir d’éventuels retards de cicatrisation liés également à l’œdème.
• La chirurgie cutanée sur les jambes
Les lésions des jambes, nécessitant une exérèse chirurgicale ± une greffe cutanée sont fréquentes, notamment en oncodermatologie. Sur un terrain d’insuffisance veineuse, même peu symptomatique, une plaie chirurgicale suturée ou non, greffée ou non, peut devenir une plaie chronique et finalement un ulcère de jambe. La mise en place d’une compression forte juste au décours de la chirurgie, idéalement par bandage multitype multicouche, permet de con trôler l’œdème lié au geste chirurgical chez ce type de patient, et d’optimiser les chances de cicatrisation. Ce bandage a en outre l’avantage d’assurer une bonne cohésion entre une éventuelle greffe et le sous-sol (figure 2), et de protéger la greffe des frottements ou des traumatismes. La limite est la présence d’une artériopathie qui contre-indique ce type de compression. Dans ce cas-là, des bandages comme ceux utilisés dans l’ulcère mixte (bandes inélastiques ou à allongement court) peuvent être utilisés, avec une surveillance, sans risque.
Figure 2. Exérèse large d’un carcinome épidermoïde de jambe avec greffe en peau fine,
chez une patiente présentant une insuffisance veineuse pauci-symptomatique non traitée.
A : absence de cicatrisation après 2 mois sans compression veineuse ;
B, C et D : évolution rapide vers la cicatrisation complète après mise en place d’une compression multitype multicouche en 2 mois.
• Les vasculites ou vascularites cutanées
Les vascularites cutanées des petits vaisseaux, dites « d’hypersensibilité », sont relativement fréquentes, évoluant par poussées favorisées par l’orthostatisme avec une atteinte préférentielle des membres inférieurs, de causes variées. Les poussées s’accompagnent, outre de lésions purpuriques et nécrotiques, d’œdème douloureux des membres inférieurs. Le traitement symptomatique préconisé habituellement est le repos au lit. Le port d’une compression, soit par bandages en cas de lésions nécrotiques ulcérées nécessitant des pansements, soit par chaussettes ou bas cuisse, permet un contrôle des oedèmes, une diminution des douleurs, et une reprise plus rapide de l’orthostatisme.
• Le lymphœdème
Le traitement d’attaque du lymphœdème des membres comporte classiquement un bandage monotype (avec des bandes à allongement court) multicouche pendant 3 à 4 semaines entraînant une réduction du volume du membre de 30 à 40 %. Ce traitement nécessite un apprentissage qui peut être difficile à obtenir en l’absence de kinésithérapeute spécialisé ou de structure adéquate(11). Les bandages multitype, multicouche en kits commercialisés comme l’Urgo® K2 ou le Coban™ 2 peuvent être utilisés en traitement d’attaque en ambulatoire, posés 1 à 2 fois par semaine par une infirmière de ville pendant 1 mois, entraînant également une réduction très importante du volume du membre. Quelles que soient les modalités du traitement d’attaque, le relais est pris par une compression élastique en bas ou en chaussettes de classe III/IV, le plus souvent par superposition de 2 classe II. Pour certains lymphœdèmes récents, peu volumineux, un traitement d’emblée par des compressions élastiques peut être proposé.
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