Publié le 20 fév 2019Lecture 6 min
Le foot lift à la française - Gérer la douleur des pieds consécutive au port de talons hauts
Eric ESSAYAGH, Médecin esthétique, médecine morphologique et anti-âge. ; Centre médical et de chirurgie esthétique Saramartel
Il est vrai que les talons hauts sont un des accessoires essentiels à la beauté féminine. ils subliment les jambes, font ressortir les fesses, la poitrine et réhaussent la silhouette. ils peuvent néanmoins faire mal aux pieds. Alors, devant les tendances de la mode qui imposent des talons de plus en plus hauts, existe-il une autre solution que les antalgiques ou les orthèses du commerce pour supporter les talons hauts ?
Le squelette du pied est un modèle d’architecture fait pour une marche sans talon. À l’état physiologique, le cycle de marche fait ressortir 3 phases : une phase de réception du poids du corps par le talon, puis un transfert de masse s’opère en direction du bord latéral du pied en passant par l’os cuboïde puis par les têtes des 4e et 5e métatarsiens. La propulsion se fait essentiellement par la tête du premier métatarsien et les orteils (figures 1 et 2).
Figure 1. Comparatif marche normale versus marche avec talons hauts.
Figure 2.
La problématique des talons hauts et l’origine des douleurs
La marche avec talons n’est pas physiologique. Lors du cycle de marche, la pose du pied se fait jambe tendue en avant et en dedans. La voûte plantaire ne touche pratiquement pas la semelle et le poids du corps est supporté davantage par l’avant du pied que par le talon. Un léger flessum du genou et une hyperlordose viennent compenser ce déséquilibre en avant (figure 1).
On estime que pour une personne de 60 kg qui marche à plat, 40 kg sont supportés par le talon et 20 kg par l’avant-pied. Avec des talons de seulement 4 cm, le poids sur l’avant-pied est doublé (figure 3).
Figure 3. Modification de la répartition du poids consécutive au port de talons hauts. A : Répartition normale du poids du corps. B : Le talon haut modifie la répartition du poids du corps. L’avant-pied est surchargé et devient douloureux à la charge.
En outre, avec le vieillissement, le coussinet antérieur s’affaisse par fonte cellulograisseuse, la voûte antérieure transversale du pied s’affaisse, des callosités apparaissent en regard des têtes des métatarsiens et du coussinet antérieur du pied. À ce phénomène s’ajoute la prise en étau de l’avant-pied dans la chaussure qui empêche un étalement physiologique des têtes des métatarsiens. Une hyperkératose réactionnelle au niveau du coussinet antérieur en regard des 2e et 3e têtes témoigne du port régulier de talons hauts (figures 4 et 5).
Figure 4. Hyperkératose d’une porteuse très régulière de talons hauts : l’hyperkératose réactionnelle témoigne d’un affaissement de la voûte antérieure transversale.
Figure 5. Vieillissement du pied.
L’appui à la marche avec talons hauts se fait avec les 2e et 3e têtes des métatarsiens et devient douloureux. Des mises en tensions excessives des différents tendons métatarso-phalangiens et interphalangiens finissent par créer des orteils en griffe.
Que proposer en alternative aux traitements traditionnels ?
Aux États-Unis, certains médecins (Suzanne Levine, Marc M. Kerner) se sont lancés dans des injections de silicone liquide ou d’acide polylactique dans le coussinet antérieur afin de soulager les têtes métatarsiennes à l’appui avec talons hauts. En France, la silicone liquide est interdite et l’acide polylactique est indiqué uniquement dans la prise en charge des lipoatrophies du visage.
L’étude anatomique du coussinet antérieur du pied, réalisée par nos soins au laboratoire d’anatomie de Bordeaux II en 2011, dans le cadre de la recherche et développement en Médecine morphologique et anti-âge, sous la direction du Pr Philippe Caix, montre qu’il s’agit d’un espace cellulograisseux bien limité, ne comprenant ni ramification nerveuse, ni vaisseaux importants et permettant a priori l’injection de produit de comblement sans diffusion en dehors de cet espace (figure 6).
Figure 6. Dissection du coussinet antérieur du pied après injection à la canule d’acide hyaluronique mélangé aubleu de méthylène. (Dissection : Dr E. Essayagh, Laboratoire d’anatomie Bordeaux II).
Nous avons opté pour l’acide hyaluronique comme produit de comblement de par ses propriétés viscoélastiques intéressantes, sa capacité d’intégration tissulaire, sa légitimité en dehors du visage pour certains d’entre eux, et sa plus grande innocuité par rapport à la nature des produits existants. Nous avions conscience de sa possible rapide dégradation du fait des nombreuses contraintes mécaniques qui s’exerceraient lors de la marche avec talons hauts.
La technique d'injection en pratique courante
Après une anamnèse précise faisant état uniquement de douleurs au niveau de l’avant-pied, en regard de la 2e tête métatarsienne déclenchées par le port de talons hauts et après une analyse minutieuse des
pieds, du cycle de marche, de l’état d’usure des chaussures, du repérage des points douloureux à la palpation, et de l’examen au podoscope à fluorescence à plat et en simulation de talons hauts (figure 7), nous retenons l’indication d’injection d’acide hyaluronique en l’absence de toute contre-indication, et en l’absence de toute autre pathologie douloureuse du pied, si les orthèses en vente ne suffisent pas à contrôler ces douleurs.
Figure 7. Examen de la statique des pieds à plat et en simulant le port de talons hauts.
Nous choisissons d’intervenir en regard des 2e et 3e têtes métatarsiennes. Un glaçage du coussinet antérieur du pied se fait avec un pack de froid pendant 1 à 2 minutes, souvent complété d’une petite anesthésie locale à la lidocaïne 2 % (0,2 ml). Un point d’entrée transdermique sur 3 à 4 mm de profondeur est réalisé à l’aiguille 23 G dans le coussinet antérieur au niveau de la partie basse du pli longitudinal antérieur. Ce point d’entrée doit être exsangue. Puis l’injection se fait à l’aide d’une canule 25 G glissée en douceur et en profondeur en regard de la tête du 2e métatarse où le produit est déposé en bolus à ce niveau puis en rétrotraçante de part et d’autre de cette tête.
Nous avons testés plusieurs produits sur le marché et il nous semble bon d’utiliser un acide hyaluronique de concentration autour de 20 mg/ml de réticulation moyenne et de taille de particule moyenne, capable d’excellente intégration tissulaire. Environ 0,5 à 1 ml par pied peut être injecté. Une séance suffit. Immédiatement après l’injection, un film ou pansement protecteur est posé et on conseille la reprise immédiate de la marche mais à plat et confortable pendant 48 heures avant de porter les talons hauts (figures 8 à 12).
Figure 8. Glaçage de la peau.
Figure 9. Anesthésie locale, lidocaïne 2 %.
Figure 10. Pré trou, aiguille 23 G.
Figure 11. Injection de l’acide hyaluronique.
Figure 12. Pansement protecteur.
Résultats
J’ai débuté cette technique en 2011 après avoir constaté que cette indication s’était développée aux États-Unis. À ce jour, plus de 100 patients ont été traités sans qu’aucune complication sérieuse n’ait été rapportée. J’ai pu noter quelques douleurs soit lors de l’introduction de l’aiguille de pré trou sans anesthésie suffisante, soit dans les 24 heures qui ont suivi du fait de la constitution d’un petit hématome sans gravité et spontanément résolutif. J’ai pu noter une seule douleur résiduelle au-delà de 10 jours chez une consœur injectée lors d’un atelier de formation à la technique, là encore spontanément résolutive, sans doute du fait de l’utilisation d’un acide hyaluronique trop ferme.
Les résultats sont décrits comme satisfaisants à très satisfaisants par la très grande majorité des patientes au bout d’une semaine lors de la consultation de contrôle. Elles disent pouvoir supporter les talons hauts beaucoup plus longtemps grâce au traitement. J’ai pu constater environ 5 % d’échec en termes d’efficacité. Il faut à l’évidence mettre en parallèle de ces échecs, l’insuffisance du volume ou du produit injecté, le surpoids éventuel de certaines patientes ainsi que la présence d’une autre symptomatologie douloureuse du pied qu’il faut exclure de cette indication. La pérennité des résultats est variable de 6 à 9 mois en moyenne.
Discussion
Il n’existe à ce jour et à notre connaissance quasiment aucune étude sur cette indication précise. Dans notre expérience, une de mes consœurs est venue assister à 5 cas pratiques d’injection puis a suivi ces patientes pendant 6 mois par téléphone dans le cadre de son mémoire pour le DIU MMAA. Le résultat était excellent en termes d’efficacité à 6 mois sans effet indésirable à déplorer. Dans ma pratique, les résultats semblent tenir de 6 à 9 mois en moyenne parfois 1 an avant de procéder à une éventuelle nouvelle injection.
Il faudrait à l’évidence compléter cette analyse encourageante d’études à plus grande échelle pour affiner à la fois le choix du produit, le volume injecté, le gain en termes de réduction de la douleur et l’absence d’effet indésirable, ce qui ne devrait pas tarder du fait du grand nombre de praticiens et de patientes qui semblent s’intéresser à la technique.
Iconographie : Dr Eric Essayagh.
Cas pratique : Dr Eric Essayagh.
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