Publié le 09 juin 2020Lecture 10 min
Ces plantes qui veulent notre peau !
Martine AVENEL-AUDRAN, Angers
Certaines plantes provoquent des lésions cutanées lorsqu’elles entrent en contact avec la peau : il peut s’agir d’allergies de contact mais aussi de dermites d’irritation parfois sévères.
Il est important pour le dermatologue de savoir évoquer le diagnostic de phytodermatose et de connaître quelques-unes des plantes responsables.
Les plantes sont présentes partout dans notre environnement, dans la nature, dans nos jardins, dans nos intérieurs mais aussi, et de plus en plus souvent, dans les produits que nous nous appliquons sur la peau, surtout les produits dits « bio » ou « naturels » qui sont maintenant très en vogue. Il est intéressant pour le dermatologue d’avoir quelques idées des plantes qui comportent des risques lorsqu’elles sont au contact de la peau et de connaître les lésions qui peuvent en résulter. Ces phytodermatoses relèvent de deux grands mécanismes, l’irritation et l’allergie.
Phytodermatoses par irritation(1)
Certaines plantes agressent notre peau en nous piquant avec des épines ou de fins poils irritants, d’autres en nous brûlant avec des substances chimiques caustiques, d’autres encore, en provoquant une urticaire ou un coup de soleil localisé à leur contact.
Elles sont fréquentes et touchent tous les individus, en particulier les enfants.
L’irritation mécanique directe
C’est la plus banale. Les lésions sont à type de piqûres, griffures, provoquées par les épines ou coupures provoquées par des herbes coupantes. Elles constituent néanmoins une porte d’entrée infectieuse. De très nombreuses plantes peuvent être en cause, faciles à reconnaître comme les ronces, les chardons, les rosiers, la laitue sauvage (figure 1). Moins évidentes sont les lésions provoquées par de fins poils comme les glochides (figure 2) des cactus ou les trichomes de certaines plantes comme l’orge ou la bourrache. Ces poils peu visibles, se détachent facilement au contact et pénètrent la peau comme de fines aiguilles occasionnant un prurit (pseudogale des cueilleurs de figues de Barbarie) voire des granulomes à corps étrangers (Cactus dermatitis).
Figure 1. Épines de laitue sauvage.
Figure 2. Glochides de cactus.
L’irritation par des substances chimiques
Des substances chimiques irritantes présentes dans les plantes sont à l’origine de phytodermatoses pas toujours faciles à reconnaître. L’oxalate de calcium se retrouve dans plus de 200 familles de plantes sous forme de spicules microscopiques qui pénètrent la peau occasionnant un prurit (Hyacinth itch des ramasseurs d’oignons de jacinthes), voire des brûlures avec érythème et bulles (Diffenbachia ; figure 3). Associé à la broméline dans l’ananas, un protéolytique dont il potentialise l’action, il est responsable, chez les récoltants en contact avec le jus du fruit, de dermites des mains avec perte des empreintes digitales. Il est aussi présent dans les agaves, associé à des sapogénines, elles aussi irritantes : le « mal des agaveros » est une dermatite érythémato-vésiculeuse décrite chez les cueilleurs d’Agava tequilana Weber qui sert à la fabrication de la téquila. Des dermites purpuriques ont été aussi rapportées chez des jardiniers qui coupaient les agaves avec une tronçonneuse (figure 4)(2). Les plantes de la famille des Brassicacées comme la moutarde, le raifort, contiennent des thiocyanates ce qui explique leur goût piquant, et aussi l’irritation de la peau provoquant érythème et brûlures, pouvoir inflammatoire qui était utilisé autrefois dans les cataplasmes.
Figure 3. Dermatite due au Diffenbachia (photo : G. Ducombs).
Figure 4. L’agave peut provoquer des dermites purpuriques.
Les Renonculacées comme le bouton d’or ou la clématite contiennent une lactone insaturée, la protoanémonine libérée par la plante fraîche dès qu’on la coupe et responsable de brûlures d’apparition retardée. Quant à la capsaïcine, elle est à l’origine du goût poivré des poivrons et piments et, sur la peau, elle peut provoquer de violentes sensations de brûlures qui peuvent durer plusieurs jours. Ces chilis burns se voient surtout chez les personnes qui préparent des piments en grandes quantités. La capsaïcine est aussi utilisée en topique à visée antalgique. Enfin, les substances les plus redoutables sont celles qui sont contenues dans le « latex » des plantes de la grande famille des Euphorbes (plus de 7 000 espèces dans le monde). Ce liquide blanc visqueux (figure 5) qui suinte lorsqu’on coupe la plante contient du phorbol, du daphnane et des composés diterpéniques hautement irritants, potentiel irritant utilisé pour le traitement des kératoses actiniques (ingénol mébutate d’Euphorbia peplum). Il provoque une dermatite bulleuse, douloureuse, d’apparition retardée après contact. Ces plantes se retrouvent dans divers environnements, bords des chemins, campagne (Euphorbe réveil matin et petit cyprès), jardins (Euphorbe de Corse), intérieur (Poinsettia) (figure 6). Le plus à craindre, et d’ailleurs cerclé de rouge pour le repérer, est le mancenillier qui pousse aux Antilles. Une simple goutte d’eau tombée de l’arbre peut provoquer des lésions qui ne sont parfois constatées qu’au retour de vacances (figure 7).
Figure 5. Latex Euphorbe.
Figure 6. Poinsettia.
Figure 7. Dermatite du mancenillier (photo : M. Avenel-Audran).
L’urticaire de contact non immunologique
Cette urticaire est déclenchée au contact de certaines plantes, bien connues comme les orties, moins comme la jolie fleur de Loasa literitia (figure 8) ou les redoutables dendrocnides qui poussent dans les forêts humides d’Australie, plus connus sous le nom de stinging trees, dont le contact est mortel pour les petits animaux. Les orties possèdent de fins poils rigides (parce qu’ils contiennent de la silice), attachés à un bulbe qui contient des substances proinflammatoires comme l’histamine et la sérotonine. Lors du contact avec la plante, le poil se casse et agit comme une aiguille intradermique qui injecte le contenu du bulbe. La papule ainsi provoquée lors de cette urticaire « mécanicochimique » est d’ailleurs plus douloureuse que prurigineuse ; elle ne dure que quelques minutes avec l’ortie, mais plusieurs heures avec les dendrocnides.
Figure 8. Urticaire due à la fleur de loasa (photo : J.-P. Gislard).
Les phytophotodermatoses
Elles sont dues au contact avec des plantes contenant des furocoumarines ou psoralènes, conjugué à l’exposition au soleil, en l’occurrence les UVA. Il s’agit d’une réaction phototoxique qui potentialise les effets des UVA sur la peau et se traduit par un coup de soleil, un érythème, des bulles, suivis de pigmentation. Cette propriété est utilisée dans la PUVAthérapie. En cas de contact avec les plantes, les lésions restent localisées à la zone de contact ce qui reproduit parfois le dessin de la plante.
• La dermite des prés
C’est la phyotophotodermatose la plus anciennement connue, décrite par Oppenheim en 1932 chez des baigneurs en rivière qui s’étaient ensuite allongés dans l’herbe. Un contact très bref avec ces plantes est suffisant et de nos jours ce sont plutôt les projections d’herbe lors de la tonte de la pelouse (figure 9) ou la taille d’un figuier qui provoquent ces lésions reconnaissables par leur disposition linéaire, figurée, d’intensité variable (figure 10) qui laissent une pigmentation durable. Les plantes classiquement responsables sont les Apiacées, reconnaissables par leurs fleurs en ombelles (anciennes Ombellifères), telles que la redoutable grande Berce, le panais, le céleri, etc. Le contact avec le figuier donne des lésions similaires.
Figure 9. Dermite des prés après tonte de pelouse (photo : M. Avenel-Audran).
Figure 10. Dermite des prés due au figuier (photo : M. Avenel-Audran).
• La lime disease
C’est le nom donné à la dermatite provoquée par le contact avec le jus de citron vert, particulièrement trompeuse pour qui ne la connaît pas, en particulier chez l’enfant. Des diagnostics de brûlures(3), d’herpès, d’impétigo et même de sévices à enfants peuvent être portés à tort(4). Hormis les enfants, ce sont souvent aussi des professionnels, serveuses, barmen qui sont touchés.
Toutes les autres plantes de la famille des Rutacées sont aussi photosensibilisantes. Ainsi la bergamote était responsable de la dermite en breloque avec ces coulées pigmentées du cou et du décolleté qui se voyaient chez les utilisateurs d’Eau de Cologne qui allaient au soleil. Elle avait été aussi ajoutée, pour mieux bronzer, à une gamme de produits de protection solaire dans les années 1970 puis retirée en raison de taches pigmentées séquellaires après son utilisation. La rue (Ruta graveolens) qui pousse à l’état sauvage dans les garrigues et est cultivée pour ses propriétés médicinales est aussi responsable de brûlures sévères, en particulier chez les amateurs d’escalade non loin du pic St Loup (figure 11). Il a été aussi rapporté une dermite en breloque chez une enfant traitée pour une pédiculose avec une pommade « maison » à base de cette plante.
Figure 11. Dermatite due à la rue (photo : A. Du Thanh).
Phytodermatoses allergiques
Certaines plantes contiennent de puissants allergènes responsables d’eczéma sévère ou même d’érythème polymorphe, d’autres des allergènes moins forts provoquant des eczémas trompeurs, simulant, en particulier aux mains, une dermatite d’irritation. De très nombreuses plantes peuvent être à l’origine d’un eczéma de contact. Celui-ci peut être typique, aigu, vésiculeux, ou d’aspect plus trompeur ressemblant à une dermatite d’irritation, en particulier aux mains. Des eczémas aéroportés et des aspects érythème polymorphe-like ou de vrais érythèmes polymorphes ont été rapportés avec des allergènes forts, comme la primine ou la tea tree oil.
Les Anacardiacées
Les plantes les plus hautement sensibilisantes, puisqu’elles le sont dès le premier contact, sont celles de la famille des Anacardiacées, dont l’allergène est l’urushiol. Le poison ivy (Toxicodendron radicans), qui porte bien son nom, pousse à l’état sauvage en Amérique du Nord où il est responsable d’un vrai problème de santé publique. Sous nos climats, il ne se trouve heureusement que dans les jardins botaniques. Cependant, son cousin, Rhus toxicodendron est utilisé en homéopathie, en granules ou même en pommade, pour le traitement des douleurs rhumatismales et des réactivations d’eczéma chez des sujets préalablement sensibilisés ont été rapportées après son utilisation.
Les Astéracées
Les plantes de la famille des Astéracées contiennent des lactones sesquiterpéniques très sensibilisantes. L’eczéma peut survenir lors de la manipulation de ces plantes, en particulier chez des professionnels ou les enfants(5), mais aussi lors de l’application de topiques en contenant. Le souci (Calendula officinalis), l’arnica, les camomilles sont encore très utilisées pour leurs propriétés « calmantes » et souvent associées dans ces topiques. Des réactivations d’eczéma ont aussi été rapportées lors de la préparation ou la consommation de tisanes à base de ces plantes. Les lactones sesquiterpéniques se trouvent aussi dans l’huile de laurier noble qui entre dans la composition de nombreux savons ou crèmes et dans les frullanias, qui parasitent les troncs d’arbres, chênes en particulier, et sont responsables d’eczéma aéroporté.
Les tulip fingers correspondent à un eczéma sec et fissuraire des 3 premiers doigts qui touche les professionnels qui manipulent des tulipes ou des alstroemères dont l’allergène commun est l’alpha méthylène gamma butyrolactone. La primevère d’intérieur (Primula obconica) donne des eczémas plus violents, volontiers bulleux et des éruptions érythème polymorphe-like. Ce risque est bien connu des professionnels. L’allergène, la primine, fait encore partie de la batterie standard européenne, mais en sera retiré bientôt puisque cette allergie ne devrait plus se voir grâce à l’arrivée sur le marché de nouveaux cultivars de la plante sans primine. Ail et oignons contiennent un allergène le diallyldisulphide, rendu responsable d’eczéma des mains et du scrotum, en particulier chez les cuisiniers…
Plantes d’autres familles
D’autres plantes peuvent occasionner des eczémas avec une moindre fréquence. L’eczéma à l’hortensia dont l’allergène est l’hydrangénol et dont l’aspect est celui des tulip fingers (figure 12) est une spécialité angevine car la ville et ses environs assurent 90 % de la production des plants d’hortensia qui nécessitent beaucoup de manipulation(6). Des cas ponctuels d’eczémas de contact ont été rapportés avec des topiques à visée antihémorroïdaire contenant du petit houx (ruscogénines) ou calmante contenant des extraits de Centella asiatica. Les huiles essentielles Une source importante d’eczéma de contact sont les huiles essentielles obtenues par distillation, le plus souvent à la vapeur, des feuilles et fleurs de plantes aromatiques, en particulier de la famille des Lamiacées. Elles contiennent des dérivés terpéniques qui s’oxydent facilement à l’air et sont fortement sensibilisants. Certains comme les hydroperoxydes de limonène et de linalol se retrouvent aussi dans les parfums. Elles sont aussi utilisées telles quelles ou comme excipients de topiques médicamenteux, en particulier anti-inflammatoires, voire dans des préparations « maison ». L’essence de lavande est la plus employée mais la plus redoutable est la tea tree oil extraite d’un arbre australien Melaleuca alternifolia, de plus en plus utilisée en médecine « naturelle » pour ses propriétés, antiseptiques surtout. Elle occasionne des eczémas sévères (figure 13), voire des érythèmes polymorphes. Des eczémas ont été rapportés aussi avec les essences de menthe, eucalyptus, cannelle, etc. Enfin, les huiles obtenues par pression des graines ou fruits peuvent aussi être responsables d’eczémas de contact, comme l’huile de neem, l’huile d’argan ou l’huile de nigelle, cette dernière ayant aussi occasionné des syndromes de Stevens Johnson (figure 14), en particulier lorsque l’application était associée à l’ingestion(7).
Figure 12. Eczéma dû à l’hortensia (photo : M. Avenel-Audran).
Figure 13. Eczéma aigu dû à la tea tree oil (photo : M. Avenel-Audran).
Figure 14. Syndrome de Stevens Johnson dû à l’huile de nigelle (photo : C. Bara).
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