Publié le 11 oct 2021Lecture 12 min
Détatouage laser
Michael NAOURI, Paris
Les lasers dits Q-Switched permettent de répondre à la demande croissante de retrait de tatouage. Une bonne formation pratique, la connaissance des situations à risques et une information éclairée du patient sont les clés de la réussite du traitement.
Otzi, célèbre guerrier des glaces, découvert dans les Alpes dans les années 1990, témoigne dans sa peau d’une pratique du tatouage vieille de plus de 5 000 ans. Ancienne marque d’opprobre, signe des anciens bagnards, stigmate indélébile des rescapés de la Shoah, son usage a paradoxalement été récemment popularisé par le show-business et les sportifs jusqu’à devenir phénomène de mode.
Les sondages IFOP permettent d’estimer une prévalence de 14 % de tatoués dans la population française en 2017, soit 50 % de plus qu’en 2010. La proportion de tatoués est plus importante chez les femmes (18 %) et surtout chez les jeunes (27 % des moins de 35 ans). Ceci reste très inférieur aux évaluations des pays anglo-saxons : 21 % des Britanniques et 31 % des Américains sont tatoués.
Cette augmentation de prévalence du tatouage, associée au caractère souvent immature de la prise de décision chez l’adulte jeune, explique la demande croissante de détatouage.
Différentes méthodes ont été proposées pour le détatouage : dermabrasion chimique, mécanique ou thermique et chirurgie principalement. Ces méthodes, si elles ont l’avantage de la rapidité, ont un effet délabrant et une rançon cicatricielle souvent plus inesthétique que le tatouage lui-même. Elles ne sont donc plus recommandées en 1re intention, mais peuvent être proposées dans certains cas exceptionnels (tatouage linéaire, exérèse au punch de faux nævi…).
Le retrait de tatouage par laser est actuellement le seul traitement qui puisse se prévaloir d’un rapport bénéfice/risque acceptable.
ASPECTS PHYSIQUES
Comme pour tout acte laser sélectif, 2 éléments essentiels sont à prendre en compte dans le choix du laser de détatouage : la durée d’impulsion du laser et sa longueur d’onde. La durée d’impulsion du laser est, dans le cas du détatouage, le paramètre fondamental. Elle doit être inférieure au temps de relaxation thermique de la cible. Découverte empirique de Goldman dans les années 1960, cette hypothèse a par la suite été validée par le principe de photothermolyse sélective. L’effet recherché est celui d’un effet de cavitation permettant une explosion des particules d’encre par effet photoacoustique. L’hétérogénéité de composition des encres rend l’extrapolation difficile, mais il est admis que cette fragmentation peut être observée avec des durées d’impulsion de l’ordre de la nanoseconde. Ces temps d’impulsion, très inférieurs à ceux des lasers classiquement utilisés en derma tologie, qui émettent en général en milliseconde, ne peuvent être obtenus que par des lasers déclenchés QualitySwitched dits « Q-Switched ».
L’autre élément important est la longueur d’onde, qui détermine la profondeur de pénétration du laser et sa sélectivité pour la cible. La plupart des longueurs d’onde disponibles ayant une pénétration suffisante et uneaffinité pour les encres foncées, il ne s’agit pas d’un élément essentiel pour les tatouages classiques de couleur noire. En revanche, en cas de tatouage coloré, il faudra disposer d’une palette maximale de longueurs d’onde pour espérer être efficace. C’est également un élément à prendre en compte en cas de peau foncée, où la compétition entre la couleur de l’encre et la mélanine peut jouer.
Actuellement, 4 longueurs d’onde natives sont disponibles sur les lasers de détatouage : Nd : Yag (1 064 nm), Alexandrite (755 nm), Ruby (694 nm) et KTP (532 nm). Les lasers associant 1 064 et 532 nm sont les plus utilisés. Des pièces à main à colorant à 650 nm et 585 nm peuvent également être proposées sur certains appareils Nd : Yag afin de modifier la longueur d’onde sortante, souvent au prix d’une diminution de puissance et de rapidité du laser.
MODALITÉS PRATIQUES
Les premières séances sont en règle générale les plus dangereuses et les plus douloureuses compte tenu de la haute densité en pigments. Une anesthésie de contact par crème de mélange équimolaire lidocaïne-prilocaine, à appliquer 2 heures avant le traitement est le plus souvent proposée.
La taille de spot à utiliser est l’objet de controverse. L’utilisation de spots de grande taille (4 à 8 mm) est souvent recommandée par les industriels, car elle permet un traitement plus rapide, un meilleur recouvrement et une profondeur de pénétration du rayonnement plus importants. Elle a cependant l’inconvénient d’un ressenti douloureux majoré et d’un risque plus élevé de complications immédiates (bulles…) ou retardée (plaie profonde à l’origine de cicatrices). Pour ces raisons, nombreux sont les dermatologues qui préfèrent privilégier de petites tailles de spots (2 à 3 mm), en particulier lors des premières séances.
Certains praticiens réalisent une anesthésie locale ou utilisent un refroidissement par air pulsé ou de contact pour diminuer la douleur lors des séances. Ces techniques sont le plus souvent inutiles lorsque le traitement est réalisé avec de petites tailles de spots.
L’hétérogénéité des encres et des techniques de tatouage rend caduque l’utilisation d’abaques pour déterminer l’énergie à utiliser. Il est conseillé, afin de limiter les risques de complications lors des premières séances, d’utiliser la fluence (énergie par unité de surface) minimale permettant d’obtenir l’end point recherché : aspect blanc floconneux de la zone d’impact associé à un bruit de claquement et à une odeur de poudre. Cet aspect est lié à l’émission de gaz lors de l’explosion du pigment et disparaît en vingt minutes environ. Un éclatement en surface signale une puissance trop importante et un risque cicatriciel significatif et nécessite de diminuer la fluence. Un discret saignement peut parfois survenir sur les zones où la densité d’encre est plus importante. Si le saignement est important ou consécutif à une plaie, là encore l’énergie devra être diminuée. De manière préalable au traitement sont ainsi réalisés quelques impacts-tests sur les zones les plus denses afin de visualiser leur réaction. Commencer par les zones plus claires peut en effet amener à choisir une énergie trop importante.
Il est conseillé d’augmenter l’énergie au fur et à mesure des séances. La diminution de la densité de pigment modifie l’end point, qui peut finir par se résumer à un blanchiment sur les zones encore denses, à un effet d’œdème ou à un saignement discret. Là encore, une plaie ou un saignement important doivent alerter sur une puissance inadaptée.
Les suites d’une séance de détatouage sont en règle générale beaucoup plus importantes que pour les autres actes lasers : la zone fragilisée par le laser est fréquemment pourvoyeuse de plaies, suintements, saignements secondaires, avec ensuite apparition de croûtes. Il convient de les gérer au mieux afin de limiter le risque de complications immédiates (surinfection… ) et secondaires (cicatrices, troubles pigmentaires…). La réalisation d’un pansement gras est utile pour créer un milieu chaud et humide propice à la cicatrisation. Les pansements devront être portés 15 jours environ, jusqu’à cicatrisation, et le patient devra être averti de ne pas arracher les croûtes. Sur de petites surfaces, un hydrocolloïde à changer à saturation peut également être prescrit. Afin d’éviter l’apparition d’anomalies pigmentaires, l’éviction solaire par vêtement ou pansement est également recommandée avant (vérifier l’absence de bronzage) et jusqu’à un mois après la séance.
La grande hétérogénéité des encres et des pratiques de tatouage rend l’estimation du nombre de séances très in certaine. Un tatouage professionnel nécessitera en moyenne 10 séances de laser pour parvenir à un résultat correct, mais avec un écart-type très important. Pour les tatouages amateurs, le nombre de séances est souvent moins important. La quantité d’encre, sa qualité, la taille du tatouage, sa localisation, sa couleur sont des éléments essentiels dans l’évaluation initiale du pronostic. Il a été montré qu’un espacement de traitement trop court, en plus de majorer le risque de complication, augmentait le nombre de séances. Pour cette raison, un espacement minimal de 2 mois entre 2 séances doit être respecté. Un autre élément pronostique intéressant est l’influence du tabagisme. Il a été montré que les patients fumeurs étaient beaucoup moins réceptifs au traitement, possiblement du fait d’un défaut d’activité de chimiotactisme et de phagocytose.
TATOUAGES PARTICULIERS
Les tatouages colorés sont un défi thérapeutique. Une même couleur pouvant être réalisée avec des composés très différents, il est impossible de prévoir de manière certaine l’interaction avec le faisceau laser. Des tests sur de petites zones sont donc indispensables pour l’évaluer avant de débuter le traitement. Classiquement, la couleur noire est accessible à toutes les longueurs d’onde primitives : Yag 1 064 nm, Alexandrite 755 nm ou Ruby 694 nm. Le Yag est à privilégier sur peaux foncées du fait du risque d’hypochromie avec les autres longueurs d’onde. Le rouge est traité par KTP 532 nm. Cette longueur d’onde est classiquement disponible sur les lasers Yag par modulation du faisceau de 1 064 nm. Le vert est accessible à l’Alexandrite, au Rubis et aux pièces à colorant 650 nm. Le bleu clair est accessible à la pièce à main 585 nm et parfois au Rubis voire à l’Alexandrite. Les tatouages dits cosmétiques réalisés par les esthéticiennes pour dessiner les sourcils, colorer les lèvres dans une optique de maquillage permanent ou par contre vérité « semi-permanent » posent d’autres difficultés. Les pigments utilisés dans cette indication sont pour la plupart composés d’oxydes de fer (« rouille ») pour la couleur rouge ou de titane pour la couleur blanche. Ces tatouages ont tendance à noircir ou à changer de couleur à la suite de l’impact du laser. Ce phénomène de « virage pigmentaire » est parfois recherché pour redonner à un vieux tatouage orangé son caractère foncé initial. Il a fréquemment tendance à régresser lors des séances suivantes, en particulier lorsqu’il s’agit de fer ; mais il peut être permanent en cas de tatouage au titane. Il est conseillé de prévenir le patient et réaliser un test avec son accord avant d’entreprendre les séances. De la même manière, il faudra être prudent sur les tatouages de recouvrement blancs ou beiges parfois utilisés par les esthéticiennes pour réaliser des « retouches », qui au final compliquent le traitement en augmentant la densité d’encre et en majorant le risque de virage pigmentaire.
Les tatouages par inclusion font souvent suite à des accidents de la voie publique, des particules de goudron ayant pu lors de l’accident s’insérer dans la peau. Ces lésions sont facilement accessibles et se traitent comme un tatouage classique. L’inclusion de particules de poudre est en revanche plus problématique, l’impact du laser pouvant déclencher une explosion de la poudre.
COMPLICATIONS
Le risque de complications inhérent à l’impact du laser sur le tatouage est significatif, compte tenu de l’agressivité du traitement pour la peau. Le laser Yag a l’inconvénient de son avantage : une profondeur de pénétration plus importante que les autres lasers, dépassant le derme papillaire. De ce fait, en cas de fluence inadaptée ou de fragilité particulière de la peau, l’apparition d’une modification de texture voire de cicatrices définitives est possible.
Ces cicatrices peuvent être poïkilodermiques, atrophiques ou hypertrophiques. Outre leur caractère inesthétique, elles ont l’inconvénient, par la fibrose engendrée, d’être une barrière aux futurs traitements par laser et de potentiellement être stimulées par ces derniers, avec apparition d’un cercle vicieux.
L’utilisation de petites tailles de spot et de fluences modérées au départ, le respect des intervalles entre les séances et possiblement de laser fractionné associé au laser Q-switched (cf. supra) limitent le risque. Il faudra également s’enquérir des ATCD cicatriciels du patient et connaître les zones à risque, particulièrement la face interne du poignet.
Le traitement de ces cicatrices est complexe : utilisation de lasers fractionnés, compression et injection d’acétonide de triamcinolone en cas d’hypertrophie. L’utilisation de laser long pulse (laser à colorant pulsé…) est proscrite du fait du risque de brûlure par impact sur l’encre restante.
Les lasers Alexandrite et Rubis — du fait de leur pénétration plus limitée — engendrent moins de cicatrices, mais sont souvent pourvoyeurs d’hypochromies, voire d’achromie définitive pouvant reproduire le dessin du tatouage. La prévention de ces complications est faite par le respect impératif de l’éviction solaire, de l’intervalle entre les séances, l’utilisation de fluences adaptées et dans la mesure du possible, le traitement de phototypes clairs uniquement par ces longueurs d’onde. Lorsqu’elle survient, un traitement par laser fractionné, UV et/ou tacrolimus peut se discuter.
Une autre cause d’insatisfaction peut être la disparition incomplète du tatouage ou la progression trop lente ; raison pour laquelle il faut toujours se montrer modeste et ne pas trop promettre lors de la consultation d’information.
VOIES D’OPTIMISATION
Plusieurs options ont été proposées afin d’optimiser la procédure de détatouage et d’améliorer son efficacité et/ou sa tolérance.
Afin de limiter les nombres de séances et le temps de traitement, une publication a proposé 4 passages consécutifs au lieu d’un seul, en attendant un délai de 20 minutes, délai de disparition des bulles de gaz sous la peau et de disparition du blanchiment entre chaque passage, d’où son appellation R20. L’auteur utilisait un laser Alexandrite avec des résultats sur photographies cliniques apparaissant spectaculaires. Malheureusement, depuis 8 ans, aucune autre publication n’a permis de confirmer l’utilité de ce protocole, qui dans l’expérience de nombreux laséristes ayant essayé de le reproduire, en particulier avec du laser Yag (majorité du parc laser français) s’est soldé par des résultats décevants. Une société américaine a néanmoins récemment commercialisé des patchs de perfluorodecaine ayant la propriété d’absorber le gaz de manière immédiate afin de ne pas attendre 20 minutes entre chaque passage. Quelques études de faible qualité méthodologique semblent montrer une efficacité relative de l’utilisation de ces patchs, là encore avec du laser Alexandrite, ce qui pourrait remettre prochainement cette méthode au goût du jour.
Une autre méthode est l’utilisation de lasers fractionnés ablatifs ou non ablatifs avant ou après le passage du laser Q-Swiched. Ces lasers permettent de réaliser des microzones de perforations ou de dommage thermique sur la peau. Très utilisés dans le traitement des cicatrices ou du photo-vieillissement, leur utilisation permettrait de favoriser l’extrusion du gaz émis, d’améliorer la qualité de la cicatrisation post-laser ; et d’accélérer la procédure de détatouage du fait d’une dermabrasion fractionnée, en améliorant les possibilités d’extrusion du pigment et en stimulant le système immunitaire par effet thermique. Une étude a montré qu’il valait mieux utiliser le laser CO2 fractionné après le laser Q-Switched.
L’apparition récente de laser Q-Switched émettant sur des durées d’impulsion de l’ordre de la picoseconde a été présentée comme une avancée majeure en termes de détatouage. Les études réalisées ex vivo et avec des dispositifs expérimentaux étaient très encourageantes. Malheureusement, aucune étude clinique de bonne qualité n’a encore permis de montrer leur supériorité sur les lasers nanosecondes ; la plupart s’accordant sur des résultats équivalents et au mieux une douleur moins importante. Ceci peut s’expliquer par le faible différentiel pico-/nano- des dispositifs commercialisés : les lasers picosecondes actuels émettent sur des durées d’impulsion de l’ordre de la centaine de picosecondes (300 à 900 ps), ce qui est seulement 10 fois supérieur aux dispositifs nanoseconde qui sont de l’ordre de l’unité, soit du millier de picosecondes (2 à 6 ns = 2 000 à 6 000 ps).
Ce différentiel est très inférieur à celui des dispositifs expérimentaux, qui avaient un rapport de 100 dans les études. Une autre limite des lasers picosecondes est souvent leur puissance limitée, leur faisant perdre en fluence leur avantage de durée d’impulsion.
Dans notre expérience, ces lasers peuvent néanmoins se révéler utiles dans le cas de tatouages résistants.
CONCLUSION
S’il est possible d’espérer une disparition complète du tatouage sans cicatrice, le détatouage laser reste un acte complexe de conclusion incertaine. La prudence s’impose dans le paramétrage, et il faut savoir être patient pour limiter les complications.
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