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Thérapeutique

Publié le 31 oct 2022Lecture 8 min

Anti-JAK en dermatologie - Une classe thérapeutique en pleine expansion

Michèle DEKER, Neuilly-sur-Seine

Les anti-JAK ont fait la preuve de leur efficacité en dermatologie dans plusieurs indications. D’autres sont explorées, comme en témoignent les très nombreux essais en cours dans les maladies inflammatoires à tropisme cutané partiel ou total. Ils représentent un espoir majeur pour des maladies difficiles à traiter, tels la pelade et le vitiligo. Il restera à préciser leur place dans la stratégie thérapeutique et la durée du traitement, en précisant le bénéfice/risque à moyen terme.

L'inflammation implique de nombreuses cytokynes, produites par les kératinocytes ou par des cellules immunitaires, et chimiokines, molécules permettant de recruter d’autres molécules inflammatoires. Différentes voies de signalisation ont été identifiées, qui permettent à ces molécules de se lier à la membrane des cellules : voies des MAP-kinases, du SYK, du NF B et JAK STAT. Les Janus kinases, JAK ou « just another kinase », permettent la transmission des signaux vers le noyau de la cellule. Chez l’homme, il en existe 4 isoformes, JAK1, JAK2, JAK3 et TYK2 ayant une structure commune en 4 portions, situées près de la membrane cellulaire ; toutes sont ubiquitaires, hormis JAK3 dont l’activité est restreinte aux cellules hématopoïétiques. Ces molécules n’agissent jamais seules et forment des paires (homo-ou hétérodimères), variables selon les cytokines impliquées. Des inhibiteurs JAK1 sélectifs ont été développés afin de ne pas bloquer à l’excès la signalisation JAK2 qui est impliquée dans l’hématopoïèse. Les pathologies inflammatoires chroniques ont chacune une signature cytokinique, impliquant les JAK. Par exemple, la dermatite atopique (DA) est une maladie inflammatoire à prédominance de type 2. Les anti-JAK sont de petites molécules, 300 fois plus petites que des anticorps monoclonaux. Leur petite taille autorise leur entrée dans les cellules et une pénétration transcutanée. Les premiers anti-JAK développés sont des inhibiteurs non sélectifs. Des inhibiteurs sélectifs ont ensuite été formulés. Le mécanisme d’action est basé sur une inhibition compétitive et réversible, qui peut être rapidement stoppée (effet on-off). La sélectivité est néanmoins relative et dose-dépendante. Ces molécules sont administrées par voie orale, 1 ou 2 fois par jour, ou par voie topique. Leur demi-vie est courte.   > Dermatite atopique : une indication d'entrée Parmi les anti-JAK non sélectifs, le baricitinib a été développé dans la DA et est disponible depuis mars 2021. D’autres, comme le ruxolitinib ou le delgocitinib, sont en développe- ment avancé dans la DA en topique. Parmi les JAK1 sélectifs, l’upadacitinib (15 et 30 mg) devrait arriver sur le marché en 2022, suivi par l’abrocitinib en développement avancé. La stratégie thérapeutique reste en première ligne les soins locaux. Les anti-JAK pourront être envisagés lorsqu’un traitement systémique est considéré, conventionnel ou plus innovant (biomédicaments). Aujourd’hui, nous disposons, chez l’adulte, de la ciclosporine, et, en cas d’échec ou d’intolérance, du du- pilumab et du baricitinib (2 mg et 4 mg/jour). Chez l’enfant (≥ 6 ans), on peut d’emblée prescrire le dupilumab. Le baricitinib à la dose de 4 mg, associé aux dermocorticoïdes, a permis à 4 mois, pour près de 50 % des patients, d’obtenir un score EASI 75 avec une efficacité presque immédiate sur le prurit. Les effets indésirables principaux sont des infections (attention aux infections herpétiques), des troubles digestifs, des céphalées, des éruptions papuleuses du visage ; une augmentation asymptomatique des CPK est également observée. L’upadacitinib aux doses de 15 mg ou 30 mg, associé aux dermocorticoïdes, a permis d’atteindre un EASI 90 chez plus de 40 % et plus de 60 % des patients respectivement à 4 mois, avec un effet très rapide sur le prurit. Le profil de tolérance est bon. Comparativement au dupilumab chez l’adulte, l’upadacitinib montre un gain d’efficacité. Des données en vraie vie seront bientôt disponibles (étude JAKI- GREAT). Deux anti-JAK topiques sont en développement, le delgocitinib et le ruxolitinib, qui pourraient trouver un intérêt dans des indications particulières comme l’eczéma des mains.   > Psoriasis : en attente d'AMM Le tofacitinib a arrêté son développement dans le psoriasis mais conserve son indication dans le rhumatisme psoriasique. En revanche, un anti-TYK2, le deucravacitinib est en développement avancé. Les inhibiteurs de TYK2 ont un mécanisme d’action très particulier ; ils se fixent sur la partie régulatrice si bien qu’ils n’ont pas d’effet sur les JAK et bénéficient d’une grande sélectivité. Deux études du deucravacitinib versus aprémilast et placebo ont été présentées à l’EADV dans le psoriasis, qui montrent la supériorité du TYK2 inhibiteur.   > Pelade et vitiligo : deux indications phares des anti-JAK Les premières publications concernant la pelade datent de 2015, sur des petites séries, en ouvert, qui avaient montré de bonnes, voire très bonnes réponses ; la tolérance était correcte en traitement relativement court. Le traitement par les anti-JAK s’était avéré efficace sur des pelades anciennes ne répondant plus à aucun traitement. D’autres publications évaluant les anti-JAK par voie locale donnaient des repousses de moins bonne qualité. Une métaanalyse a montré que les trois quarts des patients étaient répondeurs, près de la moitié avaient une bonne réponse et un quart une réponse partielle. La voie orale est significativement plus efficace que la voie topique. Une récente publication a évalué deux anti-JAK, le ridecitinib et le brepocitinib versus placebo pendant 24 semaines (JAD 2021 ; 85 : 379-87). Les meilleures réponses ont été obtenues avec le brepocitinib, inhibiteur de JAK1/TYK2, chez des patients dont la plaque de pelade n’était pas trop ancienne. En revanche, le bénéfice du traitement disparaît assez rapidement à l’arrêt, ce qui confirme le fait que le traitement ne cible pas la cause mais uniquement les mécanismes inflammatoires. La tolérance est correcte.   Une autre étude avec un inhibiteur JAK1/2 a montré 58 % de repousse à forte posologie ; 36 % de patients ont une amélioration de 90 % de leur pelade. Comme le vitiligo est formé de lésions superficielles, l’utilisation d’une forme topique est conceptuellement plus indiquée et permettrait peut-être un traitement plus prolongé en évitant des effets indésirables. Le ruxolitinib topique a été évalué dans un essai randomisé de phase 2 en double aveugle versus placebo(1). À la dose maximale testée en une application 2 fois par jour, près de 58 % des patients ont obtenu une réponse F-VAS150 à 1 an de traitement. La tolérance était bonne, hormis des réactions folliculaires, auto-involutives, sur les zones d’application du traitement. Mais qu’en est-il du caractère suspensif ou non du traitement ?   > Autres indications explorées en dermatologie Les interféronopathies désignent des modifications à la hausse des voies de transmission utilisant les interférons : lupus érythémateux, dermato-myosite voire d’autres maladies systémiques auto-immunes. Dans le lupus érythémateux, une seule étude randomisée a évalué le baricitinib 2 mg ou 4 mg/jour, avec des résultats ambigus : pas de réelle modification des scores d’activité de la maladie mais significativement davantage de patients sans signes cutanés ou articulaires, pas d’effet indésirable inattendu, notamment cardiovasculaire(2). Quelques séries de cas concernent la dermatomyosite, traités par tofacitinib, ruxolitinib et baricitinib. Hormis un bénéfice sur les signes cutanés, une amélioration des signes respiratoires – et peut-être des calcifications – a été observée. Quelques essais ont été menés dans les granulomatoses, en particulier dans la sarcoïdose avec le tofacitinib. Le granulome annulaire traité par le tofacitinib a montré une bonne amélioration. La GVH cutanée est une indication très prometteuse, et de nombreux essais ouverts ont été réalisés avec le ruxolitinib oral, qui montrent 81 à 85 % de réponses rapides, et une bonne tolérance, supérieure à celle des immunosuppresseurs. De nombreux essais sont en cours avec divers anti-JAK. D’autres maladies inflammatoires pourraient être améliorées par les anti-JAK, notamment l’hidrosadénite suppurée.   > Un traitement suspensif Dans toutes ces indications cutanées inflammatoires, il apparaît que les anti-JAK sont un traitement suspensif. À l’arrêt, la maladie rechute très régulièrement, apparemment sans effet rebond, ce qui pose la question de l’efficacité en cas de reprise du traitement, de la durée optimale du traitement (quid des effets indésirables cumulés dans le temps ?) et du ratio bénéfice/risque. Sans doute faudra-t-il vérifier la tolérance de ces molécules qui interfèrent avec les voies de l’inflammation et de la réponse immunitaire, antitumorale et anti-infectieuse. La voie orale est surtout en cause, et les effets indésirables sont principalement observés avec les anti-JAK de 1re génération à spectre large. Certains effets indésirables sont strictement liés au mécanisme d’action (réponse immune anti-infectieuse et antitumorale, voies de l’inflammation, hémostase, hématopoïèse, voies métaboliques diverses) ; d’autres ne sont pas liés au mécanisme d’action, de type « allergologique » ou autre, mal identifiés (gastro-entérologiques, céphalées, etc.). Les effets indésirables infectieux sont les plus fréquents mais pas forcément graves (infections des voies aériennes supérieures). D’autres infections sont plus sérieuses : le risque de tuberculose est très bas hors zones d’endémie ; herpès ou zona disséminé et autres viroses – d’où l’importance de mettre à jour les vaccinations et de prescrire un traitement préventif antiherpétique en cas d’antécédent d’herpès sévère. Une analyse de tolérance du tofacitinib dans la polyarthrite rhumatoïde réalisée par la FDA a révélé un surrisque d’événement cardiovasculaire (IDM, AVC, mort subite) qui a conduit à mettre une « black box » pour le tofacitinib, le baricitinib et l’upacitinib, en incitant à la prudence en cas de facteurs de risque; il en est de même du risque thromboembolique veineux. Un risque tumoral, non identifié dans les études pivots, a aussi été mis en évidence, avec une alerte sur des cancers bronchiques non à petites cellules et sur des lymphomes. En dermatologie, il y a probablement un surrisque de carcinome épidermoïde (HR de 2,3 à 6). Les effets indésirables biologiques sont en général réversibles et de bas grade, à type de cytopénie, altération de la fonction rénale, cytolyse hépatique, élévation des CPK, élévation des LDL. La surveillance sera donc régulière, clinique (variations de poids, signes infectieux, signes fonctionnels cardiovasculaires, etc.) et biologique (bilan lipidique tous les 3 mois, hépatique et NFS tous les 3 mois, surveillance de la troponine) en cas de facteurs de risque. Le traitement sera interrompu temporairement ou non en cas d’altération du bilan biologique. Une attention doit être portée sur les risques d’interaction avec les inhibiteurs CYP2C19/3A4, et aux associations avec d’autres immunosuppresseurs (azathioprine, ciclosporine, tacrolimus, etc.). D’après «Les anti-JAK : les dermatologues aussi!» avec la participation de A. Nosbaum, D. Saumont-Sallé et O. Dereure

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