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Maladie de système, Médecine interne

Publié le 10 jan 2023Lecture 11 min

Sarcoïdose cutanée : quelle prise en charge ?

Camille FRANCÈS, Paris

La sarcoïdose est une maladie, d’étiologie inconnue, pouvant toucher tous les organes. Les manifestations dermatologiques y sont très polymorphes d’intérêt majeur sur le plan diagnostique. Elles seraient présentes dans 20 à 35 % des formes systémiques, isolées dans 25 % des cas environ. Il n’y a pas de corrélation stricte entre le type ou l’étendue de l’atteinte cutanée et l’extension ou l’évolutivité des lésions systémiques.

Il est classique de distinguer les manifestations dermatologiques non spécifiques, dominées par l’érythème noueux, des manifestations spécifiques, caractérisées en histologie par la présence de granulomes tuberculoïdes non caséeux.   Manifestations cutanées non spécifiques Elles sont considérées comme non spécifiques car ne présentant pas de granulomes épithélioïdes lors de l’examen anatomopathologique. L’érythème noueux en est la manifestation la plus fréquente, signalée dans 5 à 25 % des séries. Sa fréquence varie en fonction de l’origine géographique et des groupes ethniques, plus faible chez les personnes noires et aux États-Unis. Il atteint préférentiellement la jeune femme caucasienne au printemps et à l’automne. Il n’a pas de particularité séméiologique révélée par des nouures inflammatoires douloureuses des membres inférieurs. La biopsie cutanée n’est faite qu’en cas de doute diagnostique avec une vascularite ou une panniculite ; elle met en évidence une hypodermite avec un infiltrat septal composé de polynucléaires neutrophiles puis de lymphocytes et d’histiocytes. Dans près de trois quarts des cas, il est associé à des adénopathies médiastinales bilatérales, d’apparition parfois retardée de quelques semaines. Le parenchyme pulmonaire est normal ou présente déjà une infiltration réticulo-micronodulaire diffuse ou localisée. L’anergie tuberculinique associée est le dernier élément de la triade (érythème noueux, adénopathies hilaires et anergie tuberculinique), caractérisant le syndrome de Löfgren, révélateur de la sarcoïdose dans 20 % des cas. Dès ce stade, des lésions cutanées spécifiques peuvent être intriquées justifiant leur recherche systématique, notamment sur les anciennes cicatrices. L’ensemble de la symptomatologie est habituellement spontanément régressive. L’érythème noueux évolue vers les teintes de la biligénie locale avant de disparaître ; les adénopathies régressent en quelques mois. La présence d’un érythème noueux témoigne généralement du caractère aigu de la sarcoïdose, alors de pronostic favorable. Les autres lésions cutanées non spécifiques sont rares. Il s’agit de vascularites, de lésions d’érythème polymorphe, de prurigo...   Manifestations dermatologiques spécifiques À l’opposé, les manifestations spécifiques sont surtout l’apanage des formes chroniques, plus fréquentes sur peau noire(1,2). Malgré leur expression clinique variée, elles ont certaines caractéristiques communes. Elles sont indolores, non prurigineuses, souvent infiltrées, non inflammatoires, non œdémateuses, de couleur allant du jaune au violet, de topographie ubiquitaire, même si l’atteinte du visage est particulièrement fréquente et évocatrice. La vitropression fait disparaître l’érythème et apparaître des grains jaunâtres (figure 1), évocateurs d’un infiltrat épithélioïde, quelle qu’en soit la cause. Figure 1. Apparition de grains jaunes à la vitropression témoignant d’un infiltrat épithélioïde quelle que soit la cause. Contrairement à la clinique, l’aspect histologique est assez univoque avec des granulomes épithélioïdes non caséeux, assez bien limités dans le derme, pouvant s’étendre plus ou moins profondément (figure 2). Des cellules géantes sont présentes au sein de l’infiltrat entouré d’une couronne lymphocytaire avec quelques monocytes et éosinophiles (figure 3). Figure 2. Infiltrat épithélioïde bien limité dans le derme.   Figure 3. Infiltrat épithélioïde au fort grossissement avec cellules géantes.     La classification classique en petits nodules, gros nodules, nodules sous-cutanés, lésions en plaques ou sur cicatrice ne recouvre pas l’ensemble de leurs manifestations cliniques d’où la proposition d’une nouvelle classification fondée sur l’aspect de la lésion élémentaire, le regroupement des lésions et la topographie avec toutes les associations possibles. Selon l’aspect de la lésion, tous les intermédiaires existent entre des lésions en tête d’épingle (figure 4) jusqu’à de volumineux nodules cutanés pseudo-tumoraux (figure 5). Des lésions planes rouge foncé peuvent simuler une vascularite. L’aspect translucide de certaines lésions peut donner le change avec des lésions vésiculeuses. Ailleurs, les lésions peuvent être érythémato-squameuses, ichtyosiformes, achromiques, atrophiques ou ulcérées. Suivant le regroupement des lésions, elles forment des plaques plus ou moins infiltrées (figure 6) ou des lésions annulaires plus ou moins évocatrices (figure 7). Figure 4. Sarcoïdes en tête d’épingle des joues.   Figure 5. Sarcoïde pseudo-tumorale du tronc.   Figure 6. Placard infiltré d’un avant-bras correspondant à une sarcoïdose.   Figure 7. Sarcoïde annulaire d’une joue. Enfin, la topographie confère certaines particularités aux lésions de sarcoïdose. Le lupus pernio, touchant l’extrémité du nez, est souvent confondu avec une simple acrocyanose (figure 8) ; la pointe du nez y est cependant plus rouge que bleue et discrètement infiltrée. Figure 8. Lupus pernio La sarcoïdose angio-lupoïde réalise un placard érythémateux, infiltré et télangiectasique, localisé sur le nez, les joues, l’angle interne de l’œil, pouvant évoquer un lupus, du fait de la disposition en vespertilio (figure 9). Figure 9. Sarcoïdose angio-lupoïde. Les sarcoïdes sur cicatrices sont caractéristiques, permettant de faire le diagnostic de sarcoïdose avant la confirmation histologique. Il s’agit d’anciennes cicatrices qui brutalement changent d’aspect, devenant inflammatoires, infiltrées, d’allure pseudochéloïdienne (figure 10). Figure 10. Sarcoïdose cutanée sur cicatrice du front L’atteinte distale des doigts donne des déformations unguéales pseudo-lichéniennes définitives (figure 11). Figure 11. Anomalies pseudolichéniennes des ongles en rapport avec une sarcoïdose distale des doigts. Sur le cuir chevelu, les sarcoïdes peuvent conduire à des plaques d’alopécie cicatricielle, généralement infiltrées (figure 12). Dans la muqueuse buccale, l’aspect clinique est identique à celui de la maladie de Crohn à type de lésions polypoïdes ou d’hyperplasie oedémateuse et fissurée de la face interne des joues ou des lèvres, réalisant un aspect en pavé (cobblestone) ou une chéilite granulomateuse (figure 13). Sur les organes génitaux externes, les lésions papuleuses, éventuellement regroupées en anneaux sont les plus fréquentes. Certaines localisations sont associées préférentiellement à des atteintes systémiques. Ainsi, les lésions diffuses des doigts boudinés ou les atteintes unguéales sont associées à une atteinte osseuse sous-jacente. Le lupus pernio du nez doit faire pratiquer un scanner pour visualiser l’atteinte ORL sous-jacente. L’atteinte pulmonaire serait plus fréquente en cas de lupus pernio et de sarcoïdose sur cicatrice(1). Figure 12. Alopécie cicatricielle infiltrée sarcoïdosique.   Figure 13. Chéilite granulomateuse.   Sarcoïdoses induites par des traitements La symptomatologie clinique de la sarcoïdose est identique, que la sarcoïdose soit spontanée ou induite par des traitements. La liste des substances inductrices s’allonge régulièrement (tableau I) avec, ces dernières années, de nombreuses publications concernant les agents utilisés pour le traitement des mélanomes, notamment l’immunothérapie (anti-CTLA-4, anti-PD-1/anti-PD-L1) et les thérapies ciblées avec les inhibiteurs de BRAF et de MEK, souvent associées, rendant difficile l’imputabilité d’un seul médicament. La réaction sarcoïdosique est dans plus de 50 % des cas uniquement cutanée ou systémique, alors généralement bénigne, n’imposant pas systématiquement l’arrêt du traitement(3,4).  Elle apparaît en moyenne 10 mois après le début du traitement et justifie un traitement corticoïde topique, parfois systémique. D’autres réactions granulomateuses cutanées ont également été décrites telles qu’une dermatite interstitielle granulomateuse ou un granulome annulaire. Les anti-TNF (étanercept surtout mais aussi infliximab et adalimumab) ont également été incriminés. Le TNF est une cytokine jouant un rôle majeur dans la formation du granulome sarcoïdosien avec un effet bénéfique des anti-TNF dans de nombreuses observations. Paradoxalement, les anti-TNF sont également capables d’induire de novo ou de favoriser les récidives de sarcoïdose(5). Les maladies pour lesquelles, ils étaient prescrits étaient essentiellement des polyarthrites rhumatoïdes, mais aussi des spondylarthrites ankylosantes et des rhumatismes psoriasiques. L’incidence des sarcoïdoses induites par les anti-TNF varie de 1/2800 à 4/700 selon les série(5). Les principaux organes touchés sont le poumon, la peau et les ganglions. Le délai d’apparition des lésions est excessivement variable. Dans la majorité des cas, la sarcoïdose régresse à l’arrêt du traitement anti-TNF ; elle peut nécessiter une corticothérapie générale. L’interféron alpha est moins souvent en cause actuellement depuis les nouveaux traitements des hépatites C. Les autres médicaments sont plus rarement retrouvés. Diagnostics différentiels Le polymorphisme des lésions cliniques de sarcoïdose cutanée pourrait amener à discuter tous les diagnostics dermatologiques. Aussi est-il nécessaire de restreindre cette discussion aux lésions dermatologiques avec infiltrats épithélioïdes histologiques. Les infections doivent être éliminées prioritairement par les cultures sur milieux appropriés : tuberculose, mycobactéries atypiques, lèpre tuberculoïde, leishmaniose, mycoses. Nous ne ferons que les citer. Plus intéressants sont les granulomes à corps étrangers, qui peuvent être des xénobiotiques inorganiques, organiques, ou des substances endogènes (tableau II). Certaines de ces substances sont injectées dans le revêtement cutanéo-muqueux pour des raisons esthétiques. Lorsqu’ils sont en quantité abondante, ils peuvent induire des granulomes disséminés viscéraux simulant une sarcoïdose systémique (silicone, paraffine). Ailleurs, le granulome à corps étranger peut être la première manifestation cutanée d’une véritable sarcoïdose, systémique ou non, réalisant un phénomène de Koebner sur la zone injectée (tatouage, substances de comblement des rides). Les réactions à corps étranger peuvent apparaître de quelques semaines à de nombreuses années après les injections de produits de comblement des rides. Elles sont heureusement rares (0,01-1 %). Le caractère pustuleux des rosacées tuberculoïdes permet de les différencier des sarcoïdes. Les lésions métastatiques des entérocolites inflammatoires sont similaires à la sarcoïdose dans la bouche mais non sur les organes génitaux féminins ou le lymphœdème est beaucoup plus important. Enfin certains lymphomes épithélioïdes peuvent également simuler une sarcoïdose. Bilan devant une sarcoïdose cutanée Du fait de l’accessibilité des lésions cutanées, elles seront prélevées en priorité pour confirmation du diagnostic de la maladie. Une fois le diagnostic confirmé de sarcoïdose cutanée, il est légitime de rechercher une atteinte systémique par les examens reportés dans le tableau III. Celle-ci, souvent asymptomatique, existerait dans 30 à 40 % des cas. L’analyse de cohortes montre que les atteintes pulmonaires et oculaires sont recherchées dans plus de 90 % des cas par les dermatologues alors que l’atteinte cardiaque, pourtant deuxième cause de décès (13 à 25 %) après l’atteinte pulmonaire, liés à une sarcoïdose, est souvent négligée comme les dosages de vitamine D(6,7). Un taux élevé de l’enzyme de conversion de l’angiotensine est un marqueur peu sensible et peu spécifique de sarcoïdose systémique puisque présent dans 50 à 60 % des cas, comme l’hypercalcémie, présente seulement dans 10 % des cas. Un pet scan corps entier permet d’apprécier l’extension de l’atteinte systémique. La fréquence de répétition de ces examens au cours de l’évolution ne fait pas l’objet d’un consensus international. Elle dépendra de l’évolution des lésions cutanées ; en effet, s’il n’y a pas de liaison significative entre l’étendue des lésions cutanées et des lésions systémiques, elles évoluent grossièrement parallèlement d’où la nécessité de nouveaux bilans en cas d’extension cutanée. Un suivi régulier est dans tous les cas indispensable avec interrogatoire sur la présence de manifestations cliniques devant faire rechercher une atteinte des organes cibles (tableau IV). Traitement des sarcoïdes cutanées La décision de traiter un patient atteint de sarcoïdose dépend de 2 facteurs : le risque d’atteinte viscérale sévère, voire fatale, ainsi que son retentissement sur la qualité de vie. Or, l’atteinte cutanée est parfois mal supportée psychologiquement lorsqu’elle est affichante. La majorité des traitements a une activité uniquement suspensive avec récidives plus ou moins rapides après leur arrêt. Une rémission spontanée est observée chez deux tiers des malades à plus ou moins long terme alors que 10 à 30 % ont une évolution chronique. Le traitement de première intention de la sarcoïdose est la corticothérapie orale, efficace dans la majorité des cas, avec une dose seuil variable d’un malade à l’autre et en fonction des organes atteints. Lorsque l’atteinte cutanée est isolée ou persiste après guérison des atteintes systémiques, la corticothérapie générale ne semble pas justifiée du fait d’un niveau généralement trop élevé de cette dose seuil. Une corticothérapie locale ou intralésionnelle peut être prescrite. En cas d’inefficacité ou d’impossibilité de ces traitements, d’autres solutions thérapeutiques ont été proposées avec un niveau de preuve dans l’ensemble assez faible. Les antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine et chloroquine) ont été utilisés avec plus ou moins de succès dans les formes cutanées isolées, mais aussi dans les atteintes ORL peu sévères, neurologiques, et en cas d’hypercalcémie. Il me paraît logique de les utiliser en première intention dans des formes cutanées isolées avec les contrôles ophtalmologiques usuels. Les cyclines (minocycline ou doxycycline) pourraient avoir un effet sur certaines lésions cutanées. La doxycycline est à utiliser de préférence car moins pourvoyeur d’effets secondaires. Elles sont surtout prescrites dans les granulomes à corps étrangers, et non dans les sarcoïdoses. Parmi les immunosuppresseurs, le méthotrexate (10 à 25 mg/semaine) est le plus prescrit, seul ou comme moyen d’épargne cortisonique, considéré souvent comme un traitement de deuxième ligne après les corticoïdes. Les effets thérapeutiques sont retardés, après au moins 6 mois de traitement. La tolérance est bonne(9) avec une efficacité incontestable, difficile à évaluer du fait de la fréquente association à une corticothérapie générale. Son efficacité serait statistiquement nettement supérieure à celle de l’hydroxychloroquine comme médicament d’épargne des corticoïdes systémiques(10). L’azathioprine, le mycophénolate mofétil seraient encore moins efficaces sur l’atteinte cutanée. Les anti-TNF, en particulier l’infliximab ou l’adalimumab, se sont révélés encore plus efficaces(11), non seulement sur la peau mais aussi dans de nombreuses formes viscérales. Ils seraient surtout indiqués en dermatologie dans les lupus pernio. Enfin certains lasers ou photothérapies ont été utiles avec des résultats cosmétologiquement satisfaisants dans des cas isolés, notamment dans des lupus pernio ou des sarcoïdes sur cicatrice(12).   EN CONCLUSION Malgré la diversité des manifestations cliniques, le diagnostic de sarcoïdose cutanée est en règle générale facile, du fait de l’accessibilité de la biopsie cutanée. La recherche d’autres localisations de la maladie est indispensable, car leur présence peut inciter à des thérapeutiques plus agressives. Le traitement des sarcoïdes cutanées isolées ou résiduelles est parfois très difficile du fait de leur caractère chronique et affichant avec résistance aux traitements usuels.  

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