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Allergologie

Publié le 04 oct 2023Lecture 8 min

Prise en charge du prurit

Laurent MISERY, service de dermatologie du CHU de Brest, Centre expert français sur le prurit, Laboratoire Interactions épithéliums-neurones (LIEN), Chaire de dermatologie neuro-sensorielle Debradur

Principale plainte des patients en dermatologie, le prurit est une souffrance autant que la douleur. C’est un symptôme fréquent puisque 30 % de la population rapporte un prurit au cours d’une semaine donnée et que 10 % a besoin d’un traitement. Le prurit a un impact majeur sur le sommeil, l’apparence (lésions mais aussi mouvements de grattage), le bienêtre psychologique, la vie sexuelle et affective, la qualité de vie, etc. Il représente au total un fardeau personnel et socio-économique important. Mal compris jusqu’à présent, les effets des traitements étaient donc décevants.

Comment sortir du piège que représente le prurit ? Des recommandations européennes ont été publiées en 2012, actualisées en 2019(1), et sont en cours de réécriture. Il faut avant tout faire un traitement étiologique et donc un diagnostic étiologique. Ceci est plus facile lorsqu’il y a des lésions dermatologiques que lorsqu’il s’agit d’un prurit sine materia. Dans le cas d’un prurit sine materia, il faut alors rechercher une cause systémique (rénale, hépatique, endocrinienne, métabolique, hémopathique, paranéoplasique ou iatrogène), neuropathique ou psychogène, le prurit étant souvent d’origine mixte. Même si le traitement étiologique est efficace, un traitement symptomatique peut être utile. Il faut alors proposer une prise en charge comportant des règles générales, des traitements locaux et des traitements généraux. Les règles générales consistent à apprendre à remplacer le grattage par l’application d’anti-prurigineux, à avoir les ongles coupés court, à faire sa toilette avec de l’eau froide ou tiède en utilisant des syndets ou des pains surgras, à appliquer des émollients, à éviter les irritants tels que les antiseptiques et les anti-inflammatoires (stéroïdiens ou non), les vêtements trop serrés ou en laine, le chauffage excessif et la chaleur. Dans tous les cas, il faut se rappeler que l’effet placebo est important dans le prurit (comme dans la douleur) : il est de l’ordre de 30 % lorsque les traitements sont systémiques et jusqu’à 70 % avec les traitements topiques(2). Un effet placebo n’est pas lié à un trouble psychique sous-jacent du patient, mais il est surtout lié à la communication verbale ou non verbale du médecin ou d’un autre professionnel de santé (ou hélas parfois d’autres personnes). TRAITEMENT TOPIQUE   Des médicaments topiques doivent être prescrits. Les dermocorticoïdes ont alors bien entendu une place importante. Toutefois, ces traitements par dermocorticoïdes ne doivent être prescrits que s’il y a une dermatose inflammatoire. En l’absence de dermatose in lammatoire, l’application de dermocorticoïdes va au con traire entraîner et favoriser la pérennisation du prurit chronique. Les inhibiteurs de calcineurine tels que le tacrolimus peuvent au contraire avoir des effets favorables sur un prurit inflammatoire ou non inflammatoire, car ils ont aussi une action sur les terminaisons nerveuses. Des anesthésiques locaux peuvent être utilisés de manière transitoire, essentiellement dans le prurit lié au zona. La capsaïcine peut être un traitement topique très intéressant, sous forme de préparation magistrale en France. Une forme en patch à 8 % existe, mais elle est réservée aux prurits neuropathiques localisés et sa pose se fait en centre spécialisé (hospitalisation de jour).   TRAITEMENT GÉNÉRAL   Le traitement général du prurit peut reposer sur la photothérapie par UVA ou UVB, les antihistaminiques, la naltrexone, les gabapentinoïdes, la ciclosporine, les psychotropes, les psychothérapies ou l’acupuncture. Une nouvelle approche consiste en la prescription d’inhibiteurs du système JAK/Stat, car ces derniers peuvent agir dans de multiples causes de prurit, même si cela a été peu évalué. Actuellement sont commercialisés l’abrocitinib, le baricitinib et l’upadacitinib. Toutefois, l'utilisation de tels traitements se fait hors AMM et donc sous la responsabilité du prescripteur. Un staff collégial des dossiers difficiles est indiqué avant d'envisager de tels traitements, notamment quand vous envisagez d'utiliser des molécules non sans risque et hors de leur AMM. • Les antihistaminiques ne sont efficaces que s’il y a un rôle de l’histamine dans le prurit, ce qui représente environ 10 % des cas. C’est pourquoi leur autorisation de mise sur le marché (AMM) ne concerne que l’urticaire ou la rhinite allergique. Par exemple, il n’y a aucun intérêt à prescrire des antihistaminiques pour réduire le prurit dans la dermatite atopique (en dehors d’un effet placebo). Les anti histaminiques de première gé né ration sont souvent anxiolytiques, voire hypnotiques, mais leur usage doit être limité du fait des effets secondaires. En revanche, les antihistaminiques de deuxième génération sont souvent très efficaces et très bien tolérés s’ils sont prescrits dans une bonne indication. • La naltrexone est un antagoniste des récepteurs μ des opiacés. L’AMM concerne l’alcoolisme, mais des prescriptions hors AMM sont possibles. La prescription est simple : un comprimé par jour. La tolérance est bonne malgré quelques effets secondaires : nervosité, insomnie, asthénie, céphalées, intolérance digestive, arthralgies ou myalgies. • Les gabapentinoïdes sont la gabapentine et la prégabaline. L’AMM concerne l’épilepsie, l’anxiété et la douleur neuropathique. Ils peuvent donc être utilisés hors AMM dans le prurit neuropathique ou dans d’autres formes de prurit qui comportent une part neuropathique. Il faut augmenter progressivement les doses, jusqu’à 150 mg/jour de prégabaline (parfois 600 mg/jour) et 900 mg/jour de gabapentine (parfois 3600 mg/jour). La tolérance est bonne, mais des effets secondaires peuvent survenir : somnolence, vertiges, céphalées, ou prise de poids liée à une augmentation de l’appétit. Il faut toutefois signaler qu’une augmentation importante du nombre de cas de dépendance, de mésusage ou d’ordonnances falsifiées relatifs à la prégabaline a été repérée par l’ANSM. En conséquence, depuis 24 mai 2021, la prégabaline doit être prescrite sur ordonnance sécurisée, et la durée de prescription maximale est de six mois. • Les psychotropes peuvent être représentés par les anticholinergiques tels que l’hydroxyzine ou la doxépine. Les sérotoninergiques tels que les inhibiteurs de recapture de la sérotonine (paroxétine, fluoxétine, sertraline, citalopram, escitalopram, fluvoxamine) ou les inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (venlafaxine, duloxétine) sont aussi très fréquemment prescrits. Les benzodiazépines, les autres antidépresseurs ou les hypnotiques sont moins bien tolérés et doivent être prescrits pour une durée limitée. Enfin, rappelons que l’effet pharmacologique des psychotropes n’est pas uniquement psychotrope. Les psychotropes peuvent avoir un effet direct sur le prurit, car ils agissent sur des neuromédiateurs très impliqués dans le prurit comme l’histamine, l’acétylcholine, la sérotonine, la noradrénaline ou le GABA. Une prescription de psychotropes n’exclut pas une psychothérapie, et une utilisation concomitante est souvent très favorable. • L’approche psychologique et importante chez les patients souffrant de prurit. Si le prurit psychogène est rare, les facteurs psychogènes aggravant le prurit sont fréquents et la souffrance psychologique liée au prurit est très importante. Des psychothérapies peuvent être proposées. En fonction du patient, elles peuvent reposer sur la psychanalyse ou des psychothérapies d’inspiration analytique mais aussi sur les thérapies cognitives et comportementales (avec une efficacité démontrée), ou sur les techniques psychocorporelles telles que la relaxation, le biofeedback, le yoga, la sophrologie, l’hypnose ou la méditation. L’éducation thérapeutique est une forme de psychothérapie pour laquelle une efficacité a été démontrée sur le grattage et même sur le prurit. Enfin, tout médecin a un rôle de psychothérapie de soutien chez ces patients en grande souffrance. De même, l’entourage et la société doivent aider les patients ou au moins ne pas les stigmatiser avec phrases du style « Arrête de te gratter ! » • Parmi les approches médicamenteuses, l’acupuncture trouve ici une des rares indications où un effet a été démontré par des études contre placebo. De notre côté, nous avons été surpris par les effets très favorables que pouvait avoir la musicothérapie avec un protocole très particulier(3). Des études contre placebo ont démontré un effet de l’acupuncture dans le traitement du prurit.   CAS PARTICULIERS ET GRANDS ESPOIRS   Dermatoses inflammatoires Au cours des dermatoses inflammatoires, circonstances où le prurit est presque toujours présent, celui-ci doit être traité selon des schémas proposés en plusieurs étages(4). Dans le cas de la dermatite atopique, l’International Society of Atopic Dermatitis (ISAD) a proposé un arbre décisionnel en 2021(5) (figure 1, version mise à jour). Figure 1. Algorithme de prise en charge du prurit et de la douleur cutanée au cours de la dermatite atopique (d’après l’arbre décisionnel proposé par l’ISAD, 2021[5]).   La recherche sur le prurit a fait des progrès considérables au cours des dernières années, et de nombreuses cibles thérapeutiques ont été identifiées(6) (figure 2). Parmi celles-ci, il faut souligner les récepteurs des interleukines 4 et 13, qui peuvent être antagonisés par le dupilumab, le tralokinumab ou le lébrikizumab. Il faut aussi citer les récepteurs de l’interleukine 31 (qui peuvent être ciblés par le némolizumab ou le vixarelimab), le récepteur NK1 de la substance P (qui peut être antagonisé par l’aprépitant, le serlopitant ou le tradipitant), et les récepteurs des opiacés pour lesquels il est alors intéressant de proposer des antagonistes des récepteurs μ et/ou agonistes des récepteurs κ  (difélikefaline, nalbuphine, nalfurafine). Figure 2. Principaux médiateurs et récepteurs impliqués dans la physiopathologie du prurit(6). Prurigo Le prurigo chronique (ou prurigo nodulaire, figure 3) est une maladie distincte définie par la présence d’un prurit chronique depuis au moins six semaines, des antécédents et des signes de grattages répétés et de multiples lésions cutanées prurigineuses localisées ou généralisées à cause d’une sensibilisation neuronale au prurit et du développement du cercle vicieux prurit-grattage. Le prurit initial peut être de n’importe quelle origine, et le prurigo chronique est donc un peu le stade ultime du prurit chronique, quelle que soit la forme clinique (nodulaire, papuleuse, ombiliquée, en plaques ou linéaire)(7). Figure 3. Patient atteint de prurigo chronique.   L’International Forum for the Study of Itch (IFSI) a proposé un schéma thérapeutique en 2020(8) (figure 4, version mise à jour). En effet, le némolizumab a fait preuve de son efficacité de manière spectaculaire(9). Figure 4. Algorithme de prise en charge du prurigo chronique (d’après le schéma de l’International Forum for the Study of Itch[8]).   Les résultats concernant le dupilumab n’ont pas encore été publiés, mais ils ont permis à ce médicament d’être approuvé par les agences américaine et européenne, et nous disposons désormais d’un accès précoce. Le dupilumab a actuellement une AMM pour la dermatite atopique, l’asthme et la polypose naso-sinusienne. Une injection initiale de 600 mg doit être suivie d’injections de 300 mg toutes les deux semaines par voie sous-cutanée. La tolérance du traitement est bonne, les principaux effets secondaires étant représentés par les conjonctivites, les blépharites et la dermatite tête et cou. Ces effets secondaires sont toutefois surtout rencontrés chez les patients atopiques.   Prurit rénal Le prurit rénal est particulièrement difficile à traiter avec une première ligne représentée par les émollients et les règles générales ; une deuxième ligne par la capsaïcine ou le tacrolimus topiques ou les UVB ; une troisième par les gabapentinoïdes, les antidépresseurs et les antihistaminiques ; une quatrième ligne par la naltrexone ou les sétrons ; une cinquième par l’acupuncture ; une sixième par la thalidomide. Des essais cliniques ont montré des effets très intéressants de la difélikefaline chez les patients hémodialysés(10). Ce traitement par voie intraveineuse a été approuvé par les agences européenne et américaine, et un accès précoce est maintenant possible en France. La difélikefaline est un agoniste des récepteurs κ des opiacés. Il faut faire une injection intraveineuse de 0,5 μg/kg en fin de dialyse. La tolérance est bonne. Les principaux effets secondaires sont : une diarrhée, des vertiges ou des vomissements. Une forme orale et d’autres indications (dont la dermatite atopique) sont en cours de développement.

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