Publié le 20 aoû 2012Lecture 9 min
La pelade : une drôle de maladie auto-immune ?
P. ASSOULY, Centre Sabouraud, hôpital Saint-Louis, Paris
L’hypothèse auto-immune de la physiopathologie de la pelade s’affirme et se confirme. Pour autant, ses caractéristiques cliniques en font une maladie peu facile à circonscrire. Compte tenu de l’absence d’un traitement souverain et de la tendance de la pelade à récidiver, il est nécessaire de réunir toutes les conditions pour optimiser sa prise en charge.
Illustration/figure 1 : Pelade en plaques. La pelade est-elle une maladie auto-immune ? La réponse ne peut aujourd’hui qu’être affirmative, pour plusieurs solides raisons. Arguments épidémiologiques La prévalence de certaines autres maladies auto-immunes est augmentée au sein de la population présentant ou ayant présenté une pelade : thyroïdite (de Hashimoto le plus souvent), dont le pourcentage est discuté, vitiligo (4 à 6 %), diabète de type 1, polyarthrite rhumatoïde, maladie coeliaque (on suspecte 3 fois plus de risque), lupus, anémie de Biermer, MICI, etc. Pour ce qui concerne le syndrome des polyendocrinopathies autoimmunes de type 1 (APECED), 30 % des sujets qui en sont affectés présenteraient également une pelade. La trisomie 21, par le biais du gène AIRE (autoimmune regulator gene, situé sur le chromosome 21) prédisposant, est associée à une pelade dans 4 à 9 % des cas. Arguments biologiques • Il existe une augmentation de fréquence des auto-anticorps (AAN, antithyroïdiens, antipariétaux gastriques, etc.). • D.J. Tobin et J.C. Bystryn(1) ont mis en évidence la présence d’anticorps anti-follicules pileux dans 100 % des cas, comparativement aux 44 % des témoins. • Il existe un infiltrat CD4+ et CD8+ in situ dans les biopsies. • Dans un modèle expérimental, A. Gilhar et G.G. Krueger observent la repousse de cheveux de patients peladiques greffés sur une souris nude (donc en l’absence de lymphocytes T)(2) ; à l’opposé, on obtient une chute des cheveux après injections de lymphocytes cultivés(3). • La perte d’un « privilège immunitaire » du follicule pileux(4) semble être un point clé de la physiopathologie de la pelade. L’épithélium folliculaire normal n’exprime pas les antigènes du complexe majeur d’histocompatibilté (MHC) du groupe I (HLA A, B, C) ; en revanche, en cas de pelade, les groupe HLA A, B, C s’expriment, et sont reconnus par les lymphocytes T. Arguments génétiques • Le gène AIRE (présent sur le chromosome 21q22.3) a été incriminé (cf. supra). • Les études récentes de l’équipe new yorkaise d’A. Christiano (5) puis de H. Kang (6) ont confirmé d’une manière magistrale une implication de l’auto-immunité dans la pelade. Figure 2. Pelade avec maintien des cheveux blancs (syndrome Marie-Antoinette). Une étude (5) faisant appel à la technique GWAS (Genome Wide Association Study) et portant sur 1 054 patients et 3 278 témoins confirme l’association connue avec certains groupes HLA, l’association génétique avec le diabète de type 1, la PR et la maladie coeliaque ; mais elle met aussi en évidence, entre autres, une association avec des gènes codant pour l’activation et la régulation des lymphocytes T, une association avec des régions contenant des gènes exprimés par le follicule pileux lui-même et, notamment, une forte association avec un groupe de gènes nommés ULBP codant pour certains récepteurs des lymphocytes NK. ULBP3 est en l’occurrence surexprimé localement en phase active de la pelade. De fait, sous une influence génétique, deux mécanismes dysimmunitaires seraient impliqués : un mécanisme inné (lymphocytes NK) et un mécanisme adaptatif (rupture de la tolérance immunitaire). Argument thérapeutique Les traitements employés dans la pelade sont généralement ceux que l’on utilise dans les maladies auto-immunes (et inflammatoires). La rémission ou le déclenchement d’une pelade après greffe de moelle plaident aussi en faveur de la théorie auto-immune de la physiopathologie de la pelade(7,8). Deux cibles semblent concernées par le phénomène autoimmun : les kératinocytes et les mélanocytes, comme en atteste un relatif respect des cheveux blancs. Pour certains auteurs (V. Descamps), le type de mélanine entrerait en ligne de compte, et la pelade serait rare chez les sujets roux. Pourquoi la pelade serait-elle une « drôle » de maladie auto-immune ? • La pelade évolue par épisodes, parfois par cycles, sans explication rationnelle apparente. C’est en fait le cas de nombreuses maladies auto-immunes, mais elles ne se manifestent pas toujours « à ciel ouvert » comme pour la pelade. • La pelade se présente sous des formes diverses (plaques réparties sans logique apparente, caractère centrifuge, etc.). Il existe parfois une atteinte en des zones de prédilection (pelade ophiasique par exemple). Là encore, nous ne voyons pas de manière aussi simple ce qu’il se passe quand il s’agit d’une pathologie touchant un organe interne ou toute structure cachée attaquée par des lymphocytes. C’est aussi le cas de bon nombre de maladies autoimmunes cutanées comme des bulloses par exemple. • Certains traitements sont inefficaces, c’est le cas de la ciclosporine, du tacrolimus ou du pimécrolimus qui sont sans effet dans les essais contrôlés, alors qu’on attendrait plutôt qu’ils soient efficaces. L’auto-immunité dans la pelade, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Pas très bonne • La pelade est une maladie générale du système pileux et des ongles. Mais, elle peut être associée à d’autres maladies autoimmunes chez un même patient. • La composante génétique de ce type de pathologie prédispose les descendants à d’autres maladies (la « mosaïque autoimmune »). • Les traitements en sont limités et seulement suspensifs. La pelade peut être associée à d’autres maladies auto-immunes chez un même patient. Plutôt bonne • L’auto-immunité constitue une explication rationnelle de la maladie, ce qui devrait nous éloigner d’un certain irrationnel qui a souvent entouré la pelade. • La composante « psychologique » entre en ligne de compte comme dans toute pathologie auto-immune, pas moins et pas davantage (elle est incriminée raisonnablement dans le diabète de type 1, la thyroïdite ou la sclérose en plaques). Le retentissement sur la qualité de vie, sur l’humeur du patient ne fait aucun doute, mais il ne paraît en rien en cause dans la pérennisation d’un épisode de pelade. Comme pour un diabète de type 1, une SEP, une PR ou une thyroïdite, la prise en charge du patient peladique doit se faire de manière globale. Figure 3. Pelade décalvante chez un enfant. L‘absence de traitement souverain ou le fait que les poussées soient sans explication simple ou logique ne doit pas nous faire envisager « spécialement » cette pathologie. • Le traitement de la pelade constitue une occasion d’action pour de nouveaux moyens thérapeutiques, dans lequel l’industrie pharmaceutique peut trouver un intérêt de recherche et financier, avec des références possibles à d’autres maladies autoimmunes. Une des difficultés dans la pelade réside dans le fait que l’on ne peut pas simplement supplémenter (cf. thyroïdite) ou remplacer une fonction (cf. diabète) ; on ne peut, jusqu’à présent, que tenter de bloquer un phénomène inflammatoire dans l’attente de traitement plus ciblé. Réunir les conditions d’une bonne prise en charge Pour simplifier notre attitude face à une pathologie telle que la pelade comme pour les autres maladies pour lesquelles il n’existe pas de traitement souverain, il paraît essentiel de réunir certaines conditions favorables en vue d’une bonne prise en charge, et que nous symboliseront par la construction d’une « maison ». • Il faut avant tout établir le diagnostic de pelade, et donc éliminer d’autres pathologies par un interrogatoire et un examen clinique approfondi (avec dermatoscopie) ; il faut entre autres être certain qu’il ne s’agit pas d’une trichotillomanie ou d’une d’une alopécie cicatricielle débutante. Poser le diagnostic est en quelque sorte un « toit » qui protégera d’éventuelles erreurs. • Puis, on expliquera simplement au patient, et à sa famille s’il s’agit d’un enfant, ce que l’on connaît de la pelade, et quels sont les traitements dont on dispose : les épisodes, les fréquentes rémissions spontanées, une plus grande difficulté à traiter les formes étendues en particulier chez l’enfant, etc. C’est à cette occasion que l’on abordera le fait que la pelade est une maladie auto-immune. Ces connaissances apportées au patient (et/ou à sa famille) constitueront en quelque sorte les murs et les fondations d’une « maison » qui protégera le patient des nombreuses questions inquiétantes qu’il se pose ou que pose l’entourage, ou encore des conseils déstabilisants qui, sans être ni bien ni mal intentionnés, sont eux aussi sources de trouble et d’inquiétude. • Se pose la question d’un bilan paraclinique : il est en fait injustifié en l’absence de signe évocateur. • Notre but est donc très schématiquement de construire au mieux cette maison, en réexpliquant régulièrement qu’un nouvel épisode peut survenir sans que l’on puisse le prévoir ou connaître sa cause. • Les traitements peuvent permettre une repousse, et parfois, même dans les formes sévères pour certaines thérapeutiques. Dans tous les cas, la repousse ne doit pas être vue par le patient comme un miracle ni comme un phénomène acquis. Une rechute peut survenir de manière imprévue ou à l’arrêt du traitement. C’est un des problèmes de la photothérapie, traitement plutôt efficace (repousse complète dans plus d’un tiers des cas de pelade décalvante), mais qui ne peut (et ne doit) pas être maintenue sur le long terme. C‘est le cas de la corticothérapie générale, le plus efficace des traitements, mais qui est seulement suspensif et ne peut être longtemps poursuivi (la dose nécessaire au maintien des cheveux est souvent élevée). C‘est aussi le cas du méthotrexate, traitement intéressant, qu’il paraît difficile de maintenir ad vitam aux doses nécessaires à son effet. Il faut donc prévenir patient et famille du risque de rechute (puisque nous ne pouvons pas prévenir cette rechute) ; l’ignorance de ce risque est une grande source de déstabilisation et de déception qu’il faut chercher à limiter. La repousse ne doit pas être vue par le patient comme un miracle ni comme un phénomène acquis. La prise en charge de la pelade doit donc être globale et pragmatique, en tenant compte des diverses facettes de cette « drôle » de maladie auto-immune.
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