Publié le 18 déc 2024Lecture 9 min
Identifier, traiter et prévenir les piqûres et morsures d’insectes
Catherine OLIVERES-GHOUTI, dermatologue, Paris
Les piqûres et les morsures d’insectes et d’arachnides sont des motifs de consultation fréquents en dermatologie. Elles peuvent conduire à des irritations très importantes, à des infections et à des réactions allergiques graves voire mortelles. L’interrogatoire et l’examen clinique doivent donc être réalisés avec une rigueur scientifique pour établir un diagnostic précis et pouvoir ainsi adapter la conduite thérapeutique et les mesures préventives.
Très régulièrement, des patients arrivent en con sultation avec une ou plusieurs lésions de « piqûres d’insectes » ou de « piqûres d’araignée ». Sur ce point, comme le rappelle le Dr Jean-Luc Bourrain du CHU de Montpellier, « nous sommes alors d’emblée loin de l’hypothèse la plus probable », car les araignées n’ont pas de dard et donc « ne piquent pas ». « Devant une suspicion de piqûre ou de morsure, il est donc important […] d’aborder les choses de façon objective et scientifiques et de savoir colliger les éléments sémiologiques et les circonstances de sur venue pour aboutir à un diagnostic », précise-t-il. Ainsi, il arrive que la soi-disant « piqûre d’araignée » se révèle être un zona. À l’examen, la sensation de brûlure et de douleur sur un trajet nerveux et unilatéral ne fait pas de doute et conduit rapidement au diagnostic.
Piqûre avec un dard, morsure avec la bouche
On entend donc par « piqûre » une blessure causée par un animal avec son dard et par « morsure » une blessure causée avec sa cavité buccale. Aussi, schématiquement, les abeilles, les guêpes ou les fourmis piquent tandis que les araignées et les moustiques mordent.
Schématiquement aussi, mâles et femelles mordent alors que seules les femelles piquent. La raison est à chercher dans l’histoire de l’évolution : le dard servait aux insectes femelles à neutraliser leur proie pour nourrir leur progéniture. Avec l’évolution et la socialisation, il est devenu un outil de défense.
Il existe différents modes de morsures dont les conséquences sur la peau varient :
– les morsures par ponction capillaire directe (moustiques, punaises, etc.) ;
– les morsures par dilacération des tissus (taons, phlébotomes, simulies, etc.) ;
– les morsures par digestion externe (tiques).
Jean-Luc Bourrain rappelle également que, si certains insectes peuvent mordre et piquer simultanément, d’autres peuvent aussi causer des dermatoses par contact, à distance (par voie aéroportée, comme pour les chenilles processionnaires du pin classées parmi les « nuisibles à la santé » depuis 2022 en France) ou par écrasement.
L’interrogatoire clinique essentiel
L’aspect d’une lésion n’est souvent pas suffisant pour distinguer une piqûre d’une morsure – il y a peu de lésions spécifiques – et identifier l’animal mordeur ou piqueur (figures 1 et 2). L’interrogatoire permet d’obtenir un faisceau de renseignements pour émettre des hypothèses et poser un diagnostic. Il permet de tenir compte du contexte « environnemental », de la durée d’exposition (ponctuelle ou répétée), de préciser si l’insecte en cause est volant ou rampant, s’il y avait un seul insecte ou plusieurs…
Figures 1 et 2. Réactions à des piqûres d’insectes.
Comme le détaille le Dr Bourrain, lors de l’interrogatoire, il faut rechercher et tenir compte :
– de la zone géographique de survenue ;
– de la saison de survenue ;
– du moment de la survenue (nuit, jour) ;
– du lieu de survenue (en extérieur, dans une maison, un appartement) ;
– de l’environnement fréquenté récemment par le patient (présence d’élevages, d’animaux domestiques, d’oiseaux, forêts, champs, marécages, de bois ancien ou vermoulu, etc.) ;
– de la description de l’agresseur s’il a été vu et du contexte de la morsure/piqûre ;
– des autres personnes de l’entourage piquées ou pas.
L’examen clinique, lui, permet de décrire :
– le nombre de lésions (unique, multiple) ;
– l’aspect de la lésion ;
– la topographie de la lésion (sur peau non protégée ou sous un vêtement) ;
– la disposition de la lésion ;
– l’aspect clinique (papuleux, urticarien, vésiculeux, érythémateux, nécrotique, etc.) ;
– la présence de symptômes associés (douleurs, fièvre, évolution locale, érythème migrant).
Pourquoi ces agressions ?
Si l’environnement peut expliquer la présence d’insectes piqueurs ou mordeurs, il faut comprendre le pourquoi de ces agressions.
Pour se défendre
Ainsi, penser qu’une araignée mord volontairement relève d’une peur infondée, pas d’une réalité scientifique. Mordre est pour elle un mécanisme de défense actionné lorsqu’elle se retrouve dans une situation d’où elle ne peut pas s’enfuir. L’une des raisons qui poussent insectes et arachnides à piquer ou à mordre est donc la défense, un moyen d’assurer leur protection individuelle ou sociale.
• Les hyménoptères. Il existe des milliers d’espèces d’hyménoptères, mais les piqûres que nous rencontrons sont surtout w dues aux quelques espèces comme les abeilles ou les guêpes solitaires. Peu agressives, elles ne piquent qu’en dernier recours, lorsqu’on s’assoit sur une fleur où elles se sont posées par exemple. Leur piqûre est douloureuse et il y a un risque d’anaphylaxie.
• Les araignées. Le mythe de l’araignée qui vient nous mordre pendant notre sommeil est un fantasme, car les araignées ne sont pas agressives avec l’homme. Les morsures sont rares mais peuvent néanmoins survenir lors de travaux de bricolage, de jardinage, etc. La morsure est en général indolore, mais certaines peuvent créer une plaie nécrotique cicatrisant mal ou entraînant un abcès nécessitant une intervention chirurgicale, comme c’est le cas de l’araignée violoniste, appelée aussi « recluse brune » (Loxosceles reclusa) (figure 3).
Figure 3. Incision chirurgicale sur abcès causé par la morsure d’une araignée violoniste.
• Les scorpions. Comme l’araignée, le scorpion – dont la queue est pourvue d’un aiguillon relié à une glande à venin – pique surtout en extérieur ou lorsque, réfugié dans une chaussure ou un pyjama par exemple, il cherche à se défendre. Ses piqûres sont essentiellement nocturnes, car le scorpion est actif la nuit. Si les piqûres de scorpion sont pour la plupart relativement sans danger en France – elles ne sont pas toujours accompagnées d’une injection de venin –, elles peuvent selon les es pè ces provoquer une douleur locale, un œdème mini - me, une lymphangite avec lymphadénopathie satellite, une augmentation de la température cutanée locale et une sensibilité autour de la blessure.
• La scolopendre peut elle aussi mordre par accident pour se défendre. Sa morsure, nocturne et douloureuse, peut provoquer un gonflement et des rougeurs qui persistent rarement au-delà de 48 heures.
Pour se nourrir
D’autres piquent ou mordent pour se nourrir, c’est le cas des moustiques, des taons, des puces, des acariens, des tiques, des aoûtats ou des punaises.
• Les diptères sont représentés par les moustiques, taons, phlébotomes, certaines mouches, « moucherons piqueurs ». Les piqûres des arthropodes hématophages sont douloureuses et peuvent s’accompagner de saignements. C’est le cas de celles du taon qui sécrète un anti - coagulant pour pouvoir pomper le sang de sa victime. Celles des insectes solénophages – de solen, « tuyau » – induisent peu de douleur par leur finesse et w l’ajout d’un anesthésiant, mais la réaction qui suit est souvent inflammatoire et prurigineuse.
• Les siphonaptères, communément appelés « puces », sont aussi des insectes au mode de vie parasite qui se nourrissent principalement du sang d’autres espèces et sont connus comme des vecteurs de maladies. Leurs piqûres entraînent des macules ou des papules prurigineuses, parfois centrées avec un point de piqûre, parfois vésicobulleuses, croûteuses, dans les zones exposées ou les zones de striction vestimentaire.
• Les piqûres de punaises de lit (figure 4) sont assez identifiables. Le diagnostic est en règle générale facile pour les dermatologues, grâce à l’interrogatoire (piqûres nocturnes), à leur aspect très urticarien et à une réaction inconstante polymorphe.
Figure 4. Éruption cutanée d’aspect urticarien et en ligne causée par des piqûres de punaises de lit.
• Chez les acariens, ce sont parfois les larves qui mordent. C’est le cas des aoûtats, larves de trombidions, présents dans l’herbe ou sur les feuilles à la fin de l’été et à l’origine de trombiculoses. Ils sont responsables de lésions très prurigineuses, papulovésiculeuses au niveau des plis ou des zones de striction vestimentaire (figure 5).
Quant à la cheyletiellose, une maladie parasitaire d’origine animale (chien, chat, lapin), elle est due à un acarien du genre Cheyletiella, et se manifeste par l’apparition de macules essentiellement dans les zones de contact avec l’animal.
Figure 5. Morsures d’aoûtats, réaction cutanée en ligne.
• Les tiques dures (Ixodidae) et molles (Argasidae) sont elles aussi responsables de piqûres chez l’homme. Si nous connaissons bien les piqûres de tiques dures et la possibilité de transmission de borréliose, celles de tiques molles – surtout présentes dans l’intérieur des maisons (plinthes, fissures) – entraînent des papules non spécifiques.
Par contact accidentel
Enfin, il existe des cas où les piqûres et morsures ne sont causées ni par nécessité de se défendre ni pour se nourrir. Ces cas de contacts accidentels concernent en particulier les lépidoptères et des insectes coléoptères de la famille des staphylonidés.
• La chenille processionnaire du pin (une espèce de la famille des lépidoptères) et maintenant celle du chêne peuvent provoquer des réactions très urticariennes par contact direct ou aérien, lorsque des poils urticants tombent des arbres où les chenilles se déplacent. Les lésions sont de type eczématiformes ou urticariennes.
• Les Paederus (sous-famille des staphylinidés) contiennent dans leur carapace de la pédérine, une substance toxique à l’origine de dermatites de contact chez l’homme. Le contact se fait en cas d’écrasement (même partiel) et provoque un érythème avec sensation de brûlure puis vésicule ou bulle. Le diagnostic est clinique et anamnestique.
Signes cliniques particuliers orientant le diagnostic
Nous ne reviendrons pas ici sur les piqûres de tiques ou sur la gale, dont la symptomatologie est bien connue des dermatologues. Intéressons-nous en revanche à des signes particuliers, plus méconnus, que l’on peut rencontrer en consultation et à certains diagnostics différentiels.
• Les piqûres de Pyemotes ventricosus, ces parasites de la vrillette du bois, entraînent la formation d’une macule érythémateuse plus ou moins urticarienne, avec une petite vésicule au centre. La macule est typique avec un prolongement linéaire « en queue de comète » (figure 6)
Figure 6. Réaction cutanée en forme de queue de comète causée par une piqûre de pyemote (acarien parasite de la vrillette).
• Le pou rouge (Dermanyssus gallinae) est un parasite des poules, des pigeons, des chauves-souris responsables chez l’homme d’infestations appelées « gamasoïdoses ». Les morsures multiples entraînent des papules prurigineuses du tronc ou des membres.
• Des piqûres répétées de moustiques peuvent induire un syndrome de Skeeter chez l’enfant – qui n’a pas encore acquis une tolérance naturelle – se traduisant par des réactions très inflammatoires et œdémateuses.
• La puce du canard peut être responsable d’infections cutanées (papuleuse ou érythématopapuleuse, parfois vésiculeuse, très prurigineuse) connues sous le surnom de « dermatite du baigneur » ou dermatite cercarienne. Celle-ci est provoquée par la larve d’un ver plat (et non d’une puce au sens littéral) dans les heures suivant une baignade en eau douce et persistant quelques jours.
• Autre diagnostic différentiel, le syndrome d’Ekbom, bien connu des dermatologues également, se traduit par un délire d’infestation parasitaire.
Prise en charge thérapeutique et mesures préventives
En dehors des traitements spécifiques pour la gale, la pédiculose ou la borréliose, le traitement est symptomatique. Il consiste en des applications de dermocorticoïdes et en cas de prurit par la prise d’antihistaminiques.
Chez l’enfant, on peut être amené à prescrire un traitement antihistaminique en continu pendant la saison estivale dans le Skeeter syndrome. Les morsures de certaines araignées, qui entraînent un abcès sur une grosse plaque très inflammatoire, peuvent nécessiter un débridage chirurgical (figure 3). Les réactions allergiques systémiques se voient surtout avec les piqûres d’hyménoptères. Il est prudent pour les personnes se sa chant allergiques qu’elles aient toujours avec elles un stylo d’adrénaline.
Enfin, la désensibilisation au venin d’hyménoptère en France n’existe que pour le venin des abeilles Apis mellifera et des guêpes Vespula et Polistes. Cette désensibilisation se fait en milieu hospitalier à proximité d’un service de réanimation.
En matière de prévention, on rappellera les consignes de base pour se protèger des insectes et de leurs piqûres ou morsures :
– port de vêtements (parfois imbibés de répulsifs) ;
– moustiquaires au-dessus des lits ou des berceaux ;
– utilisation de répulsifs sur la peau.
Enfin, dans le cas où il existerait un foyer environnemental, celui-ci doit être éradiqué (punaises de lit, gale, pyemotes, etc.).
D’après la présentation du Dr J.-L. Bourrain (Montpellier), « Piqûres d’insectes : quand y penser et que faire », Gerda 2024.
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