Publié le 28 jan 2021Lecture 7 min
Mélanome, innovations et adaptations thérapeutiques
Denise CARO, Paris
Au fil du temps les stratégies thérapeutiques du mélanome s’affinent. D’importants progrès sont apparus ces dernières années dans la prise en charge du mélanome métastatique. Simultanément, les stratégies thérapeutiques proposées dans les formes in situ se précisent.
Le développement de vaccins dans le traitement du cancer est un secteur dynamique de recherche. L’intérêt d’un vaccin basé sur une lignée de cellules dendritiques plasmocytoïdes (PDC) dans le traitement du mélanome métastatique a été évalué dans un essai de phase 1.
Une lignée cellulaire GEN, établie à partir de PDC leucémiques dotées de propriétés identiques aux PDC normales a été mise au point au CHU de Grenoble. Il a ensuite été possible de l’amplifier de manière standardisée (pour le système HLA-A2 qui concerne 50 % des patients en Europe). En effet, la lignée GEN chargée avec des peptides tumoraux est irradiée et mise en co-culture avec les cellules d’un patient HLA-A2 matchées. Les lymphocytes T CD8 spécifiques des antigènes d’intérêt peuvent ensuite être amplifiés de manière très puissante.
GENIUSVAC-MEL4, PREMIER ESSAI CHEZ L’HOMME
Le vaccin GeniusVac-Mel4, issu de la lignée GEN chargée de 4 peptides tumoraux (Tyr, Gp100, Melan-A et MAGE-A3) constitue un modèle de vaccination dans le mélanome ; modèle qui a fait l’objet de deux publications en 2011 et 2012, avant d’obtenir l’autorisation de l’ANSM pour un premier essai de phase 1 en 2013. À noter que les 4 peptides tumoraux inclus dans le vaccin concernent 98 % des mélanomes.
Les 9 patients, inclus entre juin 2013 et mars 2016, étaient atteints de mélanome stade IV en 2e ligne ou plus (HLA-A02).
Certains avaient déjà bénéficié d’une immunothérapie. GeniusVac-Mel4 était administré selon une escalade de doses en 3 cohortes, 4, 20 ou 60 millions cellules/injection. Les injections sous-cutanées étaient pratiquées en regard d’une aire ganglionnaire, à 1 semaine d’intervalle. Les patients étaient ensuite surveillés sans traitement d’entretien(1).
Les objectifs principaux de l’étude étaient la tolérance et la sécurité du vaccin. Elles ont été jugées satisfaisantes. La majorité des effets secondaires graves étaient liés à la progression de la maladie. Il n’y a pas eu de réponse immune allogénique dirigée contre le vaccin.
Concernant la réponse clinique (objectif secondaire), 4 patients ont atteint la 48e semaine de suivi dans le cadre de l’essai ; chez 4 patients la maladie était stabilisée, sans autre traitement pour deux d’entre eux.
Dans un cas, les lésions métastatiques sous-cutanées ont disparu au fil des injections.
L’amplification de la réponse lymphocytaire T CD8 spécifique des antigènes de mélanome a été observée chez plusieurs patients, et le passage d’un phénotype d’un T naïf à un phénotype T mémoire chez un patient.
En outre, une action synergique entre le vaccin et les anti-PD1 a été montrée in vitro.
L’ajout de pembrolizumab dans la culture a multiplié par 17 l’amplification des lymphocytes T spécifiques.
Les résultats encourageants de cet essai de phase 1 devraient déboucher sur le lancement d’un essai de phase 2 combinant le GeniusVac-Mel4 et un anti-PD1.
LES ANTI-PD1 REMETTENT LA DACARBAZINE AU GOÛT DU JOUR
L’arrivée de l’immunothérapie a constitué une avancée thérapeutique majeure dans le mélanome, en particulier les anti-PD1 (nivolumab et pembrolizumab) associés ou non aux anti-CTLA-4 (ipilimumab).
Reste qu’à 5 ans, la maladie progresse chez 2 patients sur 3 traités par immunothérapie. En cas d’échec des immunothérapies et des traitements ciblés, on a parfois une chimiothérapie historique du mélanome, la dacarbazine.
Si la dacarbazine a un effet modeste avec 10 à 15 % de réponses et une médiane de survie de 2,8 mois(2), quelques études suggèrent qu’elle a une meilleure efficacité quand elle est donnée après une immunothérapie(3).
Le travail présenté par Sarah Bouchereau a comparé l’efficacité (survie sans progression, survie globale, taux de réponse) et la tolérance de la dacarbazine selon que le patient avait reçu ou non une immunothérapie (IT) au préalable. Il s’agit d’une étude observationnelle (de 2006 à 2019), rétrospective, comparative, mono centrique, incluant 72 patients adultes, traités par da carbazine, pour mélanome avancé (stade III inopérable ou IV). La médiane de survie sans progression était de 2,0 mois dans le groupe IT vs 4,3 mois sans IT (p = 0,03) ; la médiane de survie globale de 6,9 mois sans IT et de 10,4 mois avec IT p = 0,11 NS ; les taux de réponses objectives étaient de 35,3 % dans le groupe IT vs 12,7 % dans le groupe sans IT p = 0,0007 ; il n’y avait pas de différence en termes de tolérance.
IMIQUIMOD ET LENTIGO MALIN
Le lentigo malin LM ou mélanome de Dubreuilh in situ, est une prolifération mélanocytaire des zones photo-exposées pouvant évoluer vers un mélanome invasif.
La chirurgie est le traitement de choix avec cependant certaines limites que sont : la grande taille des lésions (plus de 10 ou 15 cm), la localisation au visage, des difficultés à déterminer macroscopiquement les limites de la tumeur, un âge avancé du patient. Le risque de récidive doit être pris en compte.
Il n’y a pas de consensus international sur les limites d’exérèse qui sont de 10 mm en France, mais seulement de 5 mm en Australie et aux États-Unis.
Quelques travaux ont montré que l’imiquimod (IMQ) induit une régression partielle ou complète du LM. Ainsi, en activant l’immunité innée (notamment par la production IFN alpha) et en induisant l’apoptose des cellules tumorales, l’IMQ administrée en traitement néo-adjuvant, pourrait réduire la taille du LM et optimiser l’exérèse dès le 1er geste chirurgical avec une marge de 5 mm.
C’est ce qu’a évalué une étude collaborative du groupe de cancérologie cutanée (GCC) de la SFD. L’objectif principal de cet essai prospectif, contrôlé et randomisé était de montrer qu’un traitement néoadjuvant du LM avant chirurgie permettait de diminuer la fréquence des exérèses intralésionnelles dès le premier geste chirurgical avec une marge de peau saine de 5 mm.
Les objectifs secondaires (dont les résultats sont attendus pour mars 2022) sont : le nombre de reprises chirurgicales pour obtenir une rémission complète, la durée de la rémission complète, le taux de récidives dans les 3 ans après l’exérèse, le taux de rémissions complètes obtenues sous IMQ et histologiquement confirmées.
273 patients (âge moyen 71 ans) présentant un LM du visage, du cou ou du cuir chevelu, d’une surface de 1 à 20 cm2, confirmé par histologie, non opérés et sans traitement local depuis au moins 3 mois, ont été inclus. Ils étaient randomisés et recevaient soit de l’IMQ (5 %) soit un placebo (émollient), 1 fois par jour, 5 jours par semaine, pendant 4 semaines ; après quoi, on procédait à l’exérèse avec des marges de 5 mm. Les patients étaient suivis tous les 3 mois pendant 3 ans.
Les résultats (portant sur 238 patients en intention de traiter) ont montré qu’une excision extra-lésionnelle a été obtenue en 1re chirurgie chez 91,8 % des patients IMQ et 84,5 % du groupe Pl (p = 0,17) ; la surface du LM est passée de 4,2 cm2 à 2,3 cm2 dans le groupe IMQ et de 4,0 cm2 à 4,0 cm2 dans le groupe Pl (p < 0,0001).
Ce travail confirme l’intérêt d’un traitement néo-adjuvant avant chirurgie dans le LM ; les marges d’exérèse peuvent ainsi être réduites à 5 mm.
L’HÉLIODERMIE, MARQUEUR DE RÉPONSE AUX ANTI-PD1
Les UVA et UVB provoquent des dommages ADN qui favorisent le mélanome. La charge mutationnelle (TMB = tumor mutational burden) pourrait être un marqueur intéressant de la réponse aux anti-PD1. En effet, plus la TMB est élevée, plus la tumeur est susceptible de produire un néo-antigène tumoral, cible de la réactivation du système immunitaire.
Or les dommages ADN induits par les UV se traduisent par des signes cliniques d’héliodermie ou de photoaging : rides plus ou moins profondes, perte élasticité, amincissement, troubles pigmentaires lentigo, couleur jaunâtre de la peau, télangestasies, sur les zones exposées(4).
Les signes cliniques d’héliodermie à proximité d’un mélanome pourraient-ils être un facteur prédictif de réponse aux anti-PD1 comme l’est la TMB ?
Une étude analytique, rétrospective a cherché à répondre à cette question. Trente-quatre patients atteints de mélanome métastatique stade IV, traités en 1re ligne par anti-PD1 ou anti-PD1 + anti-CTL4 et pour lesquels on disposait de photos de la lésion primitive avant initiation du traitement, ont participé à ce travail. L’évaluation de l’héliodermie utilisait une échelle descriptive et une échelle photo-analogique.
Les auteurs ont montré que les grades d’héliodermie élevés étaient associés à une survie sans progression plus longue : RR = 0,32 (p = 0,0003) pour l’échelle descriptive et RR = 0,41 (p = 0,0004) pour l’évaluation photo-analogique, cela indépendamment de l’âge et du sexe des patients. La médiane de survie sans progression était de 4 mois pour le grade 0 d’héliodermie, de 7 mois pour le grade 1 et elle n’était pas atteinte au terme des 24 mois de l’étude pour les grades 2 et 3. L’évaluation photo-analogique montrait une association positive entre héliodermie élevée et survie globale (RR = 0,74, p = 0,03).
Les taux de réponses objectives étaient plus élevés chez les patients avec une héliodermie de grade 2 ou plus : 77 % vs 24 % pour échelle descriptive et 61 % vs 25 % pour échelle photo-analogique.
L’héliodermie autour d’un mélanome pourrait être un marqueur clinique simple et peu onéreux capable de prédire la réponse à une immunothérapie anti-PD1.
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