Cancérologie
Publié le 16 déc 2010Lecture 4 min
Carcinome épidermoïde bilatéral chez un patient psoriasique non traité. A propos d'un cas.
M. MEZIANE, K. BEQQAL, B. HASSAM, Service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc
Le carcinome épidermoïde cutané est une tumeur cutanée fréquente survenant principalement chez le sujet âgé de plus de 60 ans, de phototype clair et sur les zones photo-exposées. Cette tumeur a été fréquemment décrite chez les patients suivis pour psoriasis. Les thérapeutiques instaurées, notamment la PUVAthérapie, semblent augmenter le risque de survenue de ces tumeurs(1). Chez le sujet non traité pour son psoriasis, le risque reste exceptionnel et encore mal élucidé. Nous rapportons un cas de carcinome épidermoïde bilatéral chez un jeune patient atteint de psoriasis jamais traité.
Observation Un patient de 38 ans, de phototype clair, droitier, vendeur ambulant, s’est présenté en consultation pour une prise en charge de deux tumeurs des membres supérieurs évoluant depuis un an. Le patient avait comme antécédent un psoriasis, évoluant depuis 20 ans traité uniquement par des émollients et des kératolytiques salicylés devant son refus d’utiliser un traitement général et son incapacité de se présenter régulièrement en consultation. L’examen dermatologique retrouvait une masse ulcéro-bourgeonnante mesurant 12 cm de grand axe, saignant facilement au contact, à base indurée et à bordure surélevée. Cette lésion siégeait au niveau de la face dorsale de la main gauche, débordait latéralement sur la face interne du poignet et s’accompagnait de lésions de kératose actinique. Au niveau du bras droit, existait une lésion grossièrement annulaire, mesurant 4 cm de grand axe, à bordure surélevée et parsemée de lésions nodulaires. Par ailleurs, il existait des lésions érythémato-squameuses diffuses prédominant au niveau du tronc, des coudes et des genoux. Deux biopsies cutanées réalisées au sein des deux lésions tumorales concluaient à des carcinomes épidermoïdes en retrouvant une prolifération épithéliale maligne faite de kératinocytes atypiques et dyskératosiques par endroits, formant des globes cornés au sein des lobules tumoraux (figure 1). Figure 1. Prolifération épithéliale maligne faite de kératinocytes atypiques et dyskératosiques formant des globes cornés au sein des lobules tumoraux (hématéine-éosine x 200). La radiographie de la main et de l’avant-bras droit montrait un envahissement osseux confirmé à la tomodensitométrie. La radiographie pulmonaire, l’échographie des aires ganglionnaires de drainage ainsi que l’échographie abdomino-pelvienne étaient normales. Le bilan biologique (numération formule sanguine, bilan hépatique et lactico-déshydrogénases) était sans particularités. Une amputation de la main gauche emportant le poignet et une exérèse totale de la lésion de l’avant-bras droit avec une marge de 10 mm ont été décidées. Les suites postopératoires étaient simples et les marges d’exérèse étaient saines. Le recul actuel est de 2 ans. Aucune récidive tumorale n’a été notée. Discussion L’incidence des tumeurs cutanées chez les patients psoriasiques traités est nettement élevée par rapport à la population générale (2,3). Ce risque s’explique d’une part par des facteurs liés à l’hôte, notamment l’âge, l’obésité, le phototype et l’exposition aux rayons ultraviolets (2,4), et d’autre part par le rôle des thérapeutiques générales qui induisent une immunosuppression sous-jacente. Le rôle carcinogène de la PUVAthérapie dans l’apparition des tumeurs cutanées est bien documenté (5). Il existe en effet une relation entre la dose cumulée d’UVA et le risque de développer ces cancers, en particulier les carcinomes. Ce risque est d’autant plus important en cas d’association à la ciclosporine ou si le sujet présente un BMI (Body Mass Index) élevé (2,4). Le rôle carcinogène des biothérapies reste incertain (2), même si ce rôle a été suggéré par certains auteurs(6). Notre cas est original car il rapporte la survenue d’un carcinome épidermoïde cutané bilatéral chez un jeune sujet psoriasique n’ayant jamais reçu de PUVAthérapie, de traitement immunosuppresseur ou de biothérapie. À notre connaissance, un seul cas a été rapporté dans la littérature ; il s’agissait d’un carcinome épidermoïde en regard du sternum survenant chez un sujet de 32 ans (3). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer la survenue concomitante de ces tumeurs chez notre patient. D’abord le rôle des ultraviolets, comme en atteste la présence de kératoses actiniques au niveau de la face dorsale de la main gauche. Le rôle de l’inflammation chronique peut également être évoqué puisque, en comparant des groupes de patients ayant un psoriasis modéré et ceux atteints d’une pathologie inflammatoire type eczéma chronique, D. Margolis et coll. ont établi que le risque de voir apparaître une tumeur cutanée était identique (4). Le rôle de l’HPV (Human Papilloma Virus) peut aussi être souligné depuis la découverte du virus, essentiellement l’HPV de type 5, au niveau des plaques psoriasiques (7) ; cependant, son implication dans la genèse des lésions tumorales n’est pas clair. A. Rust et coll. suggèrent que l’HPV pourrait agir en association avec les ultraviolets pour induire l’apparition de carcinomes épidermoïdes (8). La recherche des HPV par hybridation moléculaire n’a pu être réalisée chez notre patient. Notre cas illustre le risque de survenue de cancers cutanés chez le psoriasique en l’absence de traitement systémique. La conjonction de plusieurs facteurs a probablement permis le développement de ces tumeurs chez notre patient.
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