Publié le 27 juil 2010Lecture 7 min
Dermatite à Paederus. A propos de 3 cas en République démocratique du Congo
M. ER-RAMI, B. LMIMOUNI, W. ELMELLOUKI, Laboratoire de parasitologie-mycologie, Hôpital militaire d’instruction Mohamed V, Rabat, Maroc
La dermatite à Paederus est une affection érythémateuse de la peau fréquente dans les régions tropicales et décrite dans beaucoup de pays tels que la Turquie, l’Iran, l’Italie, le Nigeria, l’Égypte, la Tanzanie, l’Australie, le Sri Lanka, le Malaysia, le Brésil, l’Inde et le Congo. L’insecte en cause est du genre Paederus. L’écrasement de ce dernier sur la peau induit la libération d’une toxine appelée pédérine qui cause des lésions vésiculeuses guérissant spontanément au bout de deux semaines environ.
La dermatite à Paederus est une inflammation érythémateuse cutanée qui se développe quand un insecte du genre Paederus est écrasé sur la peau, libérant une toxine appelée pédérine (1,2). Nous rapportons ici trois observations de cas survenus pendant les mois d’avril et mai 2006 parmi le personnel de l’hôpital marocain situé dans la ville de Bunia en République démocratique du Congo. Le rappel des caractères morphologiques et biologiques de l’insecte, l’origine de sa toxine, ses effets histopathologiques ainsi que les aspects cliniques, thérapeutiques et préventifs de cette dermatite, nous permettront de mieux la prévenir et surtout de ne pas la méconnaître. Observation 1 B.A., de sexe masculin, âgé de 30 ans, médecin, sans antécédents pathologiques particuliers, présente des lésions érythémateuses étendues au niveau d’une joue. Il a rapporté la veille l’écrasement d’un insecte sur sa joue sans rien sentir à ce moment. Il a traité ses lésions par une pommade à base d’acétonide de triamcinolone et de néomycine (Cidermex®). Deux mois après, il garde toujours des tâches hyperchromiques au niveau de la joue. Observation 2 S.M., de sexe masculin, âgé de 28 ans, cuisinier, sans antécédents pathologiques particuliers, présente des lésions érythémateuses étendues au niveau du visage ayant l’aspect de brûlures, sans vésicules ni pustules. Ce patient ne s’est pas rendu compte du moment de l’écrasement de l’insecte sur son visage. Au bout d’une dizaine de jours, ses lésions ont disparu sans traitement. Observation 3 L.A., de sexe masculin, âgé de 38 ans, préparateur en pharmacie, sans antécédents pathologiques notables, présente des lésions érythémateuses avec des vésicules ainsi que des pustules au niveau de la région rétro-auriculaire (figure 1). Figure 1. Lésion rétro-auriculaire. Dermatite à Paederus. Ce patient rapporte bien la notion d’écrasement d’un insecte à ce niveau sans rien sentir dans l’immédiat. Ces lésions ont disparu sans traitement au bout de 2 semaines environ. Discussion Le Paederus est un insecte venimeux passif. Ce genre comprenant plus de 622 espèces appartient à l’ordre des coléoptères et à la famille des Staphylinidae (1,3-5). Il a une forme allongée, étroite et aplatie dorso-ventralement. Long de 10 à 15 mm, il possède un thorax et un abdomen segmentés (5). Ces segments abdominaux colorés en rougeorange sont souples et l’insecte les redresse fréquemment en « queue de scorpion ». La tête, une partie du thorax et l’extrémité postérieure sont noires (Illustration). L’insecte possède des petites ailes pliées, mais ne vole que rarement. Le Paederus est très actif pendant la saison des pluies. Il est attiré par les éclairages fluorescents. La dermatite à Paederus est rapportée dans de nombreux pays : Turquie, Iran, Italie, Nigeria, Égypte, Tanzanie, Australie, Sri Lanka, Malaysia, Brésil, Inde et Congo (5,6). Concernant nos trois observations, l’espèce n’a pas pu être déterminée, et nous avons remarqué une pullulation remarquable à la fin du mois de mars après une chute abondante de pluies. Écrasé sur la peau, l’insecte libère une toxine irritante et vésiculante contenue dans son liquide coelomique appelée pédérine. Cette toxine est de nature polypeptidique et est utilisée apparemment par le genre Paederus comme une défense chimique contre les prédateurs (7). Sa biosynthèse est un caractère éminent des Paederus femelles (4). Toutefois, toutes les femelles ne parviennent pas à élaborer cette substance car sa synthèse dépend de l’existence d’une bactérie vivant en symbiose avec l’insecte dite endosymbiotique(7,8). Les bactéries qu’abritent les deux types de femelles, celles qui peuvent synthétiser la pédérine et celles ne le pouvant plus (dites aposymbiotiques), ont été évaluées par analyse PCR de l’ARN ribosomal 16S. Un certain fragment, qui n’était pas retrouvé chez les femelles aposymbiotiques, est hautement dominant chez les autres femelles synthétisantes. L’endosymbiotique a été identifié comme étant une bactérie du genre Pseudomonas, très apparentée au Pseudomonas aeruginosa, ayant acquis plusieurs éléments génétiques étrangers par transfert horizontal. Cette bactérie est à présent incultivable (9-11). Maintenant, cette substance paraît avoir un effet cytotoxique pouvant être utile pour un usage thérapeutique (11). Les essais cliniques concernant ce composé ont été gênés du fait de sa disponibilité en faibles quantités d’origine naturelle. Depuis une dizaine d’années, cette substance est obtenue par synthèse totale grâce aux progrès biotechnologiques du génie génétique(12). Des essais sur des lignées de cellules carcinomateuses humaines ont montré un effet antiprolifératif important (13). Les sites d’affection les plus communément concernés par la dermatite à Paederus sont la face et la nuque et parfois aussi l’oeil (2,14). L’écrasement de Paederus sur la peau engendre une dermatite de contact irritante aiguë dans les 24 heures. Les lésions ont l’aspect de brûlures avec parfois des vésicules ou des pustules (5). La forme et la dimension de ces lésions correspondent à la surface affectée par la pédérine. Quand la toxine touche une région flexible telle que le pli du coude, on observe des lésions « en miroir » de part et d’autre de la zone de flexion. Au niveau de l’oeil, elle induit une dermatite péri-orbitale ou une kératoconjonctivite le plus souvent par transfert de la toxine de la peau par les doigts (5,6). Au début, les lésions sont vésiculeuses, au bout de quelques jours, elles deviennent croûteuses et guérissent complètement en 10 à 12 jours avec des taches hyperchromiques post-inflammatoires transitoires (1,2). Le diagnostic différentiel se pose avec la dermatite de contact allergique, les brûlures cutanées et l’herpès cutané (5). Mais l’interrogatoire rapportant souvent la notion d’écrasement de l’insecte et l’observation de sa pullulation surtout en saison humide permet de rattacher facilement les lésions à l’exposition cutanée à la pédérine. Sur le plan histologique, la dermatite à Paederus se manifeste par une vésication intra-épidermique et sub-épidermique ainsi qu’une nécrose épidermique et une acantholyse (1). Quelques conseils Une bonne connaissance de l’insecte par les militaires en mission à la République démocratique du Congo peut aider à se protéger de l’exposition cutanéomuqueuse à la pédérine. Il faut éviter le réflexe d’écraser avec la main tout insecte senti sur la peau ou sinon ne pas répandre la toxine avec les doigts à d’autres zones du corps comme les yeux. L’usage de moustiquaires sur les fenêtres et les portes est un moyen de prévention aussi bien contre le Paederus que l’anophèle, vecteur du paludisme (la coexistence de ces deux insectes est fréquente). Si l’insecte a été écrasé, il faut laver la surface touchée par le liquide coelomique de l’insecte avec l’eau et du savon, puis appliquer une pommade à base de sulfadiazine argentique (Flammazine ®) (15). Conclusion En Afrique tropicale et dans les autres zones d’endémie, la dermatite à Paederus ne doit pas être méconnue par le personnel médical afin d’informer les gens sur sa prévention, la traiter et surtout éviter des investigations supplémentaires pouvant être peu utiles (prélèvements pour examens histopathologiques, tests de sensibilisation, etc).
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