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Pathologie vasculaire

Publié le 25 fév 2010Lecture 14 min

Diagnostiquer une nécrose cutanée

M.-O. RIOU-GOTTA, Service de dermatologie, hôpital Saint-Jacques, Besançon
La nécrose est définie par la mort cellulaire ou tissulaire. Elle se caractérise par le développement sur le tégument de zones noires, ayant perdu toute sensibilité et qui vont progressivement s’éliminer pour laisser place à des ulcérations. Il s’agit toujours d’urgence diagnostique et thérapeutique.
Plusieurs mécanismes peuvent être responsables de nécrose : – un trouble vasomoteur, avec vasospasme ; – une étiologie embolique avec occlusion de la lumière artériolaire ; – une étiologie thrombotique ; – des anomalies au niveau de la paroi vasculaire. Les nécroses cutanées peuvent être classées en grandes catégories : – les nécroses cutanées fébriles, généralement infectieuses ; – les nécroses cutanées non fébriles ; – les nécroses induites par les traitements anticoagulants ; – les nécroses par agression externe. Les nécroses cutanées fébriles  Dermo-hypodermite bactérienne et fasciite nécrosantes Il s’agit d’une nécrose superficielle qui va secondairement envahir le derme sous-jacent (figure 1). Figure 1. Dermohypodermite bactérienne nécrosante. Elle constitue toujours une urgence médico-chirurgicale. Des terrains favorisants peuvent être retrouvés comme un âge élevé, une immunodépression, un diabète, un éthylisme chronique, une toxicomanie, un traumatisme, une brûlure, un cancer, la prise d’antiinflammatoires non stéroïdiens, une varicelle. Cliniquement, la douleur est constante, généralement associée à une hypoesthésie superficielle, et la présence d’une crépitation sous-cutanée ou d’une odeur nauséabonde est en faveur d’une gangrène gazeuse à Clostridium perfringens. Si elle est disponible, l’IRM permettra d’apprécier l’étendue des lésions. Cependant, elle ne doit en aucun cas retarder la prise en charge thérapeutique. Il s’agit d’une urgence médico-chirurgicale, impliquant après la réalisation de prélèvements bactériologiques, la mise en route rapide d’un traitement antibiotique, associée à un débridement chirurgical. En cas de gangrène gazeuse clostridienne, une oxygénothérapie hyperbare pourra être indiquée. Une dermo-hypodermite bactérienne nécrosante est une urgence médicochirurgicale.  Ecthyma gangréneux Figure 2. Ecthyma. C’est une ulcération nécrotique avec un pourtour inflammatoire, débutant généralement par une lésion bulleuse (figure 2). Due à Pseudomonas aeruginosaa, elle survient essentiellement chez les sujets immunodéprimés ou débilités. Les régions atteintes avec prédilection sont les régions périnéales, axillaires et les membres.  Mucormycoses cutanées Ce terme désigne une infection opportuniste cosmopolite due à des champignons (mucor, rhizomucor…). Elles touchent avec prédilection les sujets immunodéprimés, les diabétiques ou les patients sous corticothérapie au long cours. Cliniquement, l’infection prend l’aspect d’une gangrène noire, entourée d’un halo inflammatoire (figure 3). Le diagnostic est confirmé par l’histologie et la mise en culture. La prise en charge thérapeutique repose sur un traitement antifongique systémique, associé à une exérèse chirurgicale de la lésion.  Infection par le virus varicelle- zona ou Herpes simplex virus Les lésions nécrotiques dues au virus du groupe VZV sont présentes essentiellement chez les patients immu nodéprimés. Figure 3. Mucormycose. Elles réalisent cliniquement des lésions étendues nécrotiques, voire hémorragiques. L’état général peut être altéré, avec possibilité d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) ou de localisations viscérales. Le traitement repose sur l’administration en urgence d’aciclovir par voie intraveineuse (10 mg/kg pour 8 heures). Les nécroses cutanées dues au virus du groupe VZV sont présentes essentiellement chez les patients immunodéprimés.  Infection à Bacillus anthracis, ou maladie du charbon Il s’agit d’une infection généralement transmise par le contact avec des déchets animaux atteints (peau, laine, os contaminés). Il s’agit d’une maladie professionnelle, le plus souvent rencontrée chez les équarrisseurs, les bouchers. Cliniquement, l’atteinte débute par une vésiculo-pustule au niveau du point d’inoculation, suivie ensuite d’une évolution vers une escarre noirâtre. Il y a généralement des adénopathies satellites. Le diagnostic est confirmé par la réalisation de prélèvements bactériologiques.  Purpura fulminans et CIVD Il s’agit d’une urgence thérapeutique suspectée devant un tableau clinique associant une fièvre et un purpura extensif et nécrotique. Des signes de choc ou des troubles de la conscience peuvent être également présents. Une coagulopathie de consommation est généralement associée. Les germes impliqués sont le plus souvent le méningocoque, mais également des bacilles gram négatif, et plus rarement le streptocoque et le pneumocoque. Des prélèvements bactériologiques doivent être réalisés, sans retarder l’instauration d’une antibiothérapie en urgence par céphalosporine de 3e génération. Les nécroses cutanées non fébriles  Angiodermite nécrosante Il s’agit d’une cause fréquente d’ulcères de jambe, touchant avec prédilection la femme âgée, hypertendue. Cliniquement, la plaie est nécrotique, douloureuse, souvent localisée sur le bord externe de la jambe (figure 4), pouvant être favorisée par un traumatisme. Figure 4. Angiodermite nécrotique. À l’histologie, il existe un aspect d’artériolo-sclérose. La physiopathologie est encore mal élucidée. La prise en charge thérapeutique est souvent difficile, les greffes en pastille permettent souvent de soulager rapidement les patients.  Vasculopathie livédoïde Elle touche le plus souvent la femme jeune ou d’âge moyen avec une évolution chronique par poussées. Cliniquement, les lésions sont localisées au niveau des membres inférieurs, on note la présence de zones d’atrophie blanche, associée à des lésions purpuriques, rapidement nécrotiques, souvent très douloureuses. La biopsie cutanée montrera un aspect de vasculite hyalinisante segmentaire non inflammatoire. Cette pathologie survient généralement sur un terrain particulier : insuffisance veineuse, connectivite, diabète, tabagisme, syndrome des antiphospholipides, artériosclérose. La prise en charge thérapeutique est souvent difficile, reposant généralement sur les antiagrégants plaquettaires, les anti-vitamine K, les corticoïdes, voire les immunosuppresseurs.  Embolies de cholestérol Ce diagnostic est à évoquer chez un malade avec des facteurs de risque cardiovasculaires devant l’association d’un orteil pourpre, ou d’un livedo, ou d’un purpura des extrémités, à une nécrose  ou à une ulcération des orteils (figure 5). Généralement, les pouls périphériques sont perçus, il n’y a pas d’anomalie de la chaleur du membre inférieur. L’interrogatoire retrouve généralement une circonstance déclenchante dans les jours ou semaines précédentes (explorations vasculaires, mise en route d’un traitement anticoagulant). Biologiquement, il note classiquement une hyperéosinophilie, une thrombopénie, ainsi qu’une augmentation transitoire de la créatinine. Figure 5. Embols de cristaux de cholestérol. La biopsie cutanée recherchera la présence de cristaux de cholestérol. Un examen du fond d’oeil peut également être préconisé pour objectiver les cristaux de cholestérol. Le traitement repose sur les antiagrégants plaquettaires, ou la colchicine, voire une corticothérapie dans les formes sévères. Lorsque les AVK sont en cause, leur utilisation est contre-indiquée. ● Syndrome myéloprolifératif Des nécroses cutanées, essentiellement acrales, peuvent accompagner un syndrome myéloprolifératif, voire le révéler. Cliniquement, il existe fréquemment un livedo associé, voire des ulcérations ou des hémorragies. Le traitement est essentiellement étiologique. Les antiagrégants plaquettaires et une anticoagulation peuvent être proposés. ● Déficit en prolidase Il s’agit d’une maladie génétique rare autosomique récessive. Ce déficit enzymatique est responsable d’un déficit en proline au niveau des tissus. Cliniquement, les patients se présentent avec une dysmorphie faciale, un retard psychomoteur, une susceptibilité importante aux infections. Au niveau cutané, on note une fragilité avec des ulcères fréquents, souvent nécrotiques. Ce diagnostic doit être évoqué de principe devant tout ulcère chez un enfant. Le diagnostic repose sur le dosage des acides aminés urinaires (augmentation des iminopeptides). ● Vascularites nécrosantes Ce diagnostic doit être évoqué devant la présence d’un purpura infiltré. Il sera confirmé par l’analyse histologique. Des examens complémentaires rechercheront une extension viscérale et des signes de gravité (en particulier rénaux, pulmonaires, neurologiques, cardiaques ou digestifs). De même, un bilan étiologique des différentes causes de vascularites doit être réalisé. ● Coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) Elle résulte d’une activation anarchique du système de la coagulation, générant des dépôts de fibrine puis des thromboses au niveau des petits vaisseaux, associée dans le même temps à une consommation des protéines de la coagulation responsable du saignement. Cliniquement, on note l’apparition d’ecchymoses associées à des hémorragies en nappe, des nécroses extensives dans un contexte d’altération rapide de l’état général et de défaillances multiviscérales. Biologiquement, une thrombopénie est associée à une chute des facteurs II, V, VIII de la coagulation, ainsi que du fibrinogène et de l’antithrombine III. Il existe une augmentation des produits de dégradation du fibrinogène. Le traitement est essentiellement étiologique. En cas de gravité, des perfusions de concentré plaquettaire, voire de plasma frais congelé, pourront être proposées surtout s’il existe un fort risque hémorragique. ● Déficits en facteur de la coagulation Ces déficits peuvent être héréditaires (déficit homozygote en protéine C et protéine S, résistance à la protéine C activée) ou acquis (CIVD, étiologie infectieuse). ● Syndrome des antiphospholipides Il peut être primitif ou secondaire. Il est associé cliniquement à des thromboses vasculaires, des complications obstétricales, à la présence d’anticorps antiphospholipides sur deux prélèvements successifs à 6 semaines d’intervalle. Les manifestations cliniques peuvent être variées à type de nécroses cutanées, de livedo, d’acrocyanose, d’orteils pourpres, etc. ● Calciphylaxie Il s’agit d’une nécrose cutanée liée à une calcinose vasculaire et tissulaire aiguë (figure 6). Elle se voit généralement chez des patients insuffisants rénaux chroniques avec troubles du métabolisme phosphocalcique (hyperparathryroïdie secondaire). Figure 6. Calciphylaxie. Les manifestations cliniques peuvent être variables ; on décrit généralement trois tableaux cliniques possibles : – un livedo nécrosant, douloureux, symétrique, qui se compliquera ensuite de plaques violacées et de nodules indurés ; – une panniculite calcifiante avec nécrose du tissu adipeux et nodules sous-cutanés ; – une nécrose acrale (doigt ou orteil). La biopsie cutanée montrera une occlusion thrombotique des petits vaisseaux associée à une calcification des parois vasculaires, mais également extra-vasculaires. Le traitement repose essentiellement sur l’augmentation de la dialyse, l’arrêt des apports calciques et une anticoagulation par héparine. ● Oxalose primitive ou secondaire Il s’agit d’une anomalie métabolique rare, autosomique récessive. Le diagnostic est évoqué devant la notion d’antécédents de lithiase rénale et d’antécédents personnels ou familiaux d’insuffisance rénale terminale. ● Cryoglobulinémies Elles peuvent être responsables de nécrose, surtout les cryoglobulines de type 1 présentes au cours des syndromes myéloprolifératifs (figure 7). Cliniquement, elles sont généralement associées à d’autres signes comme un livedo, un syndrome de Raynaud, une acrocyanose ou un purpura. ● Hémoglobinurie paroxystique nocturne Il faut savoir évoquer ce diagnostic devant une nécrose des extrémités (nez, oreilles, orteils) survenant chez un sujet jeune au cours de la nuit. Il s’agit d’une maladie clonale acquise des cellules souches hématopoïétiques caractérisée par une anémie hémolytique corpusculaire, une aplasie médullaire et par la survenue fréquente de thromboses. Figure 7. Cryoglobulinémie. Les nécroses nocturnes seraient expliquées par une baisse du TH au cours du sommeil, responsable d’une hémolyse intravasculaire. ● Embolie graisseuse Il faut savoir évoquer ce diagnostic devant la présence de pétéchies ou de nécroses cutanées survenant chez un sujet polytraumatisé. L’examen du fond d’oeil permettra d’aider au diagnostic avec mise en évidence de dépôts graisseux. ● Phlébite bleue Le diagnostic est évoqué devant la triade clinique : douleur, cyanose, oedème (figure 8). Elle peut survenir d’emblée ou dans les suites d’une phlébite (50 à 60 % des cas). Il existe une compression du secteur artériel ou artériolaire liée à un mauvais retour veineux induit par la phlébite. Les pouls périphériques peuvent être perçus. La température locale est généralement abaissée. Des pétéchies voire des bulles hémorragiques peuvent être présentes. Les déficits neurologiques sont absents ou modérés au stade initial. Au niveau systémique, l’examen peut révéler la présence de signes de déshydratation, d’hypotension artérielle pouvant aller jusqu’au collapsus (présent dans 28 % des cas). Les nécroses cutanées des traitements anticoagulants ● Nécroses cutanées aux AVK Ce diagnostic est à évoquer systématiquement devant une nécrose cutanée survenant chez un patient traité par anti-vitamine K. La survenue est généralement précoce, entre le 3e et le 6e jour de traitement. Elle survient généralement chez une femme obèse. Figure 8. Phlébite bleue. Les localisations atteintes préférentiellement sont les zones adipeuses (seins, cuisses, fesses, abdomen), également la région génitale chez l’homme. Cliniquement, il existe une douleur importante associée à un placard érythémateux, puis rapidement, l’apparition de taches ecchymotiques, bulleuses, nécrotiques ou ulcérées. La survenue d’une nécrose cutanée aux AVK est généralement précoce, entre le 3e et le 6e jour de traitement. La physiopathologie évoquée est une hypercoagulabilité relative lors de l’instauration du traitement. En effet, le taux de protéine C (facteur anticoagulant de demi-vie courte) diminue très rapidement alors que les autres facteurs pro-coagulants dépendants de la vitamine K, et dont la demivie est plus longue, sont encore normaux. Cette hypercoagulabilité relative peut être aggravée lors de l’arrêt trop précoce de l’héparine avant le 4e jour ou en cas de déficit en protéine C ou S. Des formes tardives, survenant plusieurs mois après l’instauration d’un traitement par AVK, sont également décrites. Elles résultent d’un déficit acquis en protéine C, par exemple au cours d’une insuffisance rénale ou hépatique ou en cas d’interactions médicamenteuses. Ce diagnostic est également à évoquer devant la présence d’un syndrome des orteils ou des doigts bleus survenant chez un patient sous AVK, instauré pour la prise en charge d’un trouble du rythme cardiaque ou une cardiomyopathie. Figure 9. Nécrose par brûlure chimique. Cette symptomatologie résulterait soit d’un effet direct toxique des AVK sur la paroi vasculaire, soit de la présence d’embols de cholestérol. Le traitement de ces nécroses cutanées aux AVK repose sur l’arrêt des AVK, la supplémentation en vitamine K, éventuellement associée à la perfusion de concentré en protéine C. Une exérèse chirurgicale des nécroses peut également être proposée si besoin. Le traitement préventif consiste en un relais héparine-AVK long. ● Nécroses cutanées aux héparines Elles surviennent entre le 5e et le 10e jour de traitement, généralement au niveau du point d’injection. Elles sont liées à la présence d’IgG anti-plaquettes (anti-complexe plaquettes-héparine). Le traitement repose sur l’arrêt de l’héparinothérapie et sur la poursuite de l’anticoagulation par un inhibiteur direct de la thrombine (par exemple Orgaran®). Il s’ensuit une contre-indication à l’héparine. ● Nécroses cutanées par agressions externes Parmi des étiologies de nécroses cutanées, on retrouve les brûlures (figure 9), les gelures, les radionécroses aiguës témoignant d’un surdosage, les envenimations (serpents, scorpions, araignées), les extravasations de produits type chimiothérapie, les intoxications au monoxyde de carbone, aux barbituriques (à évoquer devant la présence de nécroses aux points d’appui chez un patient dans le coma), la dermite de Nicolau survenant après une injection intramusculaire ou sous-cutanée. Enfin, les nécroses cutanées peuvent résulter d’une pathomimie.

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