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Troubles pigmentaires

Publié le 09 jan 2012Lecture 10 min

Hypopigmentations sur peau noire : les causes courantes

C. FITOUSSI, Paris

La demande d’uniformité du teint est un motif fréquent de consultation sur peau noire, auquel les dermatologues ne sont pas préparés et qui peut, à première vue, apparaître comme insolite, voire futile, en tout cas toujours déroutant.

C’est pourtant, et de loin, la première cause de consultation sur peau noire : « J’ai des taches, je veux retrouver mon teint ». Et s’il est vrai que les hyperpigmentations sont les plus fréquentes, les hypopigmentations sont également très courantes et encore plus mal vécues, avec la crainte omniprésente du vitiligo et pour les plus âgés, la hantise de la lèpre.

Il faut avoir bien présent à l’esprit que la demande des patients est avant tout symptomatique : la peau est perçue comme un tissu dont les inégalités de couleur peuvent être facilement corrigées, idée entretenue par un vaste marché cosmétique de « l’uniformité du teint ». Il est souvent difficile de faire admettre que le traitement nécessite une démarche étiologique rigoureuse car les causes sont très diverses (figure 1), la mélanogenèse étant un mécanisme continu complexe, très sensible sur peau noire, où de nombreux phénomènes peuvent entraîner une altération. L’ensemble de ces causes relève de deux types de mécanismes bien distincts : – les hypopigmentations mélanopéniques, les plus fréquentes et les plus réversibles, au cours desquelles le défaut de pigmentation est fonctionnel, avec des mélanocytes conservés, mais lié à un trouble, le plus souvent inflammatoire, du transfert et/ou de la répartition de la mélanine ; – les hypopigmentations mélanocytopéniques où le défaut pigmentaire est lié à une inactivation ou à une disparition des mélanocytes : c’est avant tout le cas du vitiligo. Il arrive que les deux mécanismes soient intriqués.  Figure 1. Algorithme « taches claires » (A. Mahé, forum JDP du Groupe thématique peau noire de la SFD, 10 décembre 2010). Causes courantes dites « physiologiques » ou presque… La grande diversité de teintes et des métissages fait observer un certain nombre de taches claires sans signification pathologique.   Figure 2. Lignes de Fuchter-Voigt de démarcation pigmentaire des faces antéro-internes des bras.   Figure 3. Ligne hypochrome médiosternale. Notons qu’elles se révèlent ou se majorent souvent sous nos latitudes avec la réduction de l’exposition solaire : – au visage, où la zone médiane est constamment plus claire que le front, le menton et les côtés ; – sur les membres, les lignes de démarcation pigmentaire, ou lignes de Fuchter- Voigt, qui correspondent à la jonction de deux territoires d’innervation : face antérointerne des bras (figure 2) plus rares, face externe des jambes. De plus, en raison de l’épaisseur de la couche cornée, les paumes et les plantes sont constamment plus claires ; – au thorax, où il peut exister une ligne verticale médiosternale (figure 3), qui n’inquiète pas.  L’hypomélanose confluente médiothoracique (dyschromie créole) (figure 4, tableau). Elle est très fréquente, touchant surtout les jeunes adultes à peau plutôt claire et les métis.   Figure 4. Hypomélanose confluente médiothoracique, à ne pas confondre avec un pityriasis versicolor. Il s’agit de grandes macules hypochromes non achromiques à limites floues, situées sur le milieu du thorax et la partie inférieure de la région lombaire, souvent confluente et formant une nappe symétrique mal limitée inter- et sous-mammaire et lombaire. Elle est souvent confondue avec une mycose (les « lota » des Antilles) et traitée inutilement. Elle est plus souvent observée en métropole et s’améliore lors des retours au soleil ; elle est rare après 40 ans. Elle est souvent confondue avec une forme diffuse de pityriasis versicolor, mais la topographie est nettement différente, plus bas située, les contours sont moins nets, la fluorescence en lampe de Wood négative et surtout elle reste stable après plusieurs traitements antifongiques bien conduits. Cependant il existe des associations. L’aspect parfois évocateur d’eczématides disséminées peut conduire à une courte corticothérapie locale. La présence de corynébactéries a conduit certains auteurs à préconiser une antibiothérapie ou un peroxyde de benzoyle. La dyschromie créole est souvent confondue avec une forme diffuse de pityriasis versicolor.  L’hypomélanose prétibiale en confettis des jambes des femmes Elle est très fréquente, constatée sur plus d’un quart des femmes de plus de 50 ans ayant passé leur enfance aux Antilles, et faisant évoquer un facteur d’exposition solaire. Figure 5. Hypomélanose prétibiale en confettis de la jambe. Les lésions siègent principalement sur la face antérieure des jambes, elles sont habituellement de petite taille, rondes et bien limitées, totalement achromiques, plus ou moins nombreuses (figure 5), parfois même coalescentes, pouvant alors donner un aspect moucheté ou tigré tout à fait inesthétique. Un prurit modéré peut être présent. Plus rarement, on observe quelques éléments sur les membres supérieurs ou le thorax. Histologiquement, on constate un aspect cicatriciel avec hypopigmentation de la couche basale alors que les mélanocytes sont normaux. Il faut rassurer en écartant le vitiligo, encore que certaines formes profuses aboutissent au même aspect. Des touches d’essai d’azote liquide peuvent être tentées, mais il semble difficile de produire un résultat favorable, surtout si les lésions sont très nombreuses. Les dermocorticoïdes peuvent être prescrits en cas de prurit. Dans les formes étendues, il est possible de conseiller un fond de teint couvrant pour les jambes que l’on peut se procurer dans les boutiques spécialisées et qui est adapté à toutes les nuances habituelles. Les dermatoses dépigmentantes courantes Les dartres (eczématides) dépigmentantes Comme sur peau blanche, elles touchent surtout les enfants et les adolescents, avec le plus souvent un terrain atopique personnel ou familial.   Figure 6. Dartres dépigmentantes coalescentes de la joue. Elles sont précédées de plaques sèches transitoires de couleur gris clair qui évoluent en macules claires, parfois presque blanches, à contours flous ; elles sont habituellement isolées, peu nombreuses, situées principalement sur les joues mais aussi le haut des membres, le ventre, les faces latérales du tronc.   On observe parfois des formes profuses où les plaques sont coalescentes et peuvent donner un aspect globalement inhomogène surprenant (figure 6). Les dartres sont la cause la plus fréquente et la plus transitoire de dépigmentation chez les Noirs. Proche de l’eczéma, il s’agit d’une inflammation qui perturbe le transfert et la distribution de la mélanine, sans atteinte mélanocytaire. Histologiquement, on retrouve cette hypopigmentation de la couche basale avec mélanocytes normaux. La dépigmentation, particulièrement visible par contraste au retour des vacances, car elle ne bronze pas — faisant souvent porter à tort le diagnostic de réaction au soleil, alors que celui-ci ne fait que la rendre visible — s’atténue en hiver et disparaît progressivement. On peut observer des formes très claires, presque achromiques, d’évolution prolongée, pouvant faire craindre un vitiligo, dont elles se différencient cependant par une topographie plus latérale, des bords flous, la notion d’atopie, et parce qu’elles débutent par des plaques sèches parfois prurigineuses. Bien que le traitement repose classiquement sur les émollients, force est de constater que cela suffit rarement, et ce d’autant plus que traditionnellement les mamans en appliquent régulièrement sur leurs enfants ; c’est souvent après échec d’une prescription de Dexeryl ® que l’enfant est vu en dermatologie. Le meilleur traitement est la corticothérapie locale de classe 3, pendant 2 à 3 semaines. Il réduit les phénomènes inflammatoires et normalise ainsi la distribution de la mélanine. Cependant, très souvent, les mères sont réticentes devant le terme « cortisone », et ce d’autant plus qu’elles ont ellesmêmes utilisé des corticoïdes pour se dépigmenter, et fait l’expérience de taches claires consécutives à leur application. Il nous revient alors de devancer cette objection en expliquant que les eczématides sont par nature dépigmentantes et que l’utilisation des dermocorticoïdes réduit, et non provoque, cette dépigmentation. Certains dermatologues préfèrent ou ajoutent un antifongique, dont l’efficacité est plutôt liée à l’action anti-inflammatoire plutôt qu’à un effet anti-infectieux. Prévention : c’est ici que le traitement émollient, ainsi que les précautions habituelles pour les peaux atopiques, ont leur intérêt. Point important, si un séjour au soleil est envisagé, il convient de traiter par principe les lésions avant le départ pour éviter la majoration par contraste lors de l’exposition. Le pityriasis versicolor (« lota » des Antillais) Rappelons que la levure responsable, du groupe Malassezia, est présente chez tous à l’état normal dans les follicules pilaires et ne devient pathogène que dans certaines conditions locales (sudation, sébum). Elle envahit alors la couche cornée sous forme pseudo-filamenteuse, entraînant dans un premier temps une hyperkératose avec des plaques classiquement « chamois », plutôt grises ou brun foncé sur peau noire (figure 7/illustration), puis inhibant la mélanogenèse par production d’acide azélaïque, avec alors des macules très claires, à bords nets, localisées sur les épaules et le haut du dos (figure 8), mais pouvant sur peau noire être extensives et toucher le cou, le visage, l’ensemble du dos et même les membres. C’est aussi sur ce terrain que les formes très récidivantes sont observées.  Figure 8. Macules claires de pityriasis versicolor. En cas de doute, le dermatologue peut s’aider de l’examen de la peau en lumière UV ou de l’examen mycologique. Sous la lampe de Wood, les plaques sont visibles sous forme d’une fluorescence jaune vert très caractéristique, bien visible sur peau noire. Le prélèvement mycologique classique a peu d’intérêt, cette levure étant présente en abondance chez tous ; en revanche, seul l’examen direct par scotch-test affirme la présence de formes pseudo-filamenteuses. Le traitement est à la fois simple et difficile. Cette levure fragile est très sensible aux antifongiques : le problème n’est donc pas tant la résistance au traitement que celui des récidives et de la persistance de la dépigmentation, qui peut être prolongée. Le traitement repose sur l’utilisation des médicaments antifongiques. L’efficacité du gel de kétoconazole monodose en fait le traitement de première intention, en insistant sur la nécessité d’un temps de pose de 15 minutes, sans oublier le cuir chevelu, et de répéter l’application 1 semaine après pour certains patients. Ce n’est que dans les formes diffuses que les traitements systémiques peuvent être utilisés : selon les auteurs, le fluconazole en dose unique de 400 mg, ou répété après 1 semaine, est préféré au kétoconazole comprimé (pourtant très efficace, mais redouté en raison du risque hépatique) ou à l’itraconazole. Dans les formes récidivantes, le traitement d’entretien est souvent utile : selon les auteurs, kétokonazole local 1 fois par mois ou fluconazole en une prise unique mensuelle ou bimensuelle. La dermatite séborrhéique   Figure 9. Hypochromie centrofaciale due à une dermite séborrhéique. C’est une cause fréquente de lésions hypochromiques touchant les adultes dans les localisations classiques centrofaciales (figure 9) et du liseré frontal. Il s’y associe presque toujours une atteinte prurigineuse du cuir chevelu, tandis que celle-ci peut s’observer de façon isolée. L’hypochromie survient parfois secondairement après une phase hyperchromique et squameuse. Chez les Noirs, cet état est très fréquent, souvent déclenché à l’arrivée en métropole par un ensemble de facteurs d’environnement à la fois climatique (amélioration lors des retours en climat humide et ensoleillé) et de conditions de vie. Le traitement est classique, reposant sur les crèmes antifongiques à action anti-inflammatoire (Fazol®, Mycoster®, Kétoderm®) et les dermocorticoïdes faibles (Locapred®, Tridésonit®) pendant quelques jours.  Figure 10. Mycosis fongoïde hypochromiant. Compte tenu du terrain et du caractère chronique exposant aux rechutes, le traitement d’entretien quotidien est essentiel : – dermocorticoïde faible et crème antifongique sur les plaques pendant quelques jours ; – nettoyant doux, éventuellement enrichi en actifs antifongiques : lotion Cétaphil® (peau sèche), Gel DS® (Uriage), gel Hyfac® ou Bactopur ® (peau grasse) ; – application quotidienne sur les zones sensibles de crèmes apaisantes antifongiques : Pityval® (la Roche-Posay), Emulsion DS® (Uriage). Conclusion À côté des causes courantes, voire banales, d’hypopigmentation sur peau noire ou métissée que nous venons de décrire, qu’il faut distinguer des achromies (ex. vitiligo), il existe des causes moins fréquentes (ex. mycosis fongoïde, figure 10) ; et seule une démarche étiologique sérieuse permet d’éviter les erreurs diagnostiques (figure 1).

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