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Dermatologie pédiatrique

Publié le 01 mar 2010Lecture 7 min

Ictère au lait de mère

M. ODIÈVRE, Châtenay-Malabry

L’ictère de l’enfant au lait de mère est une entité clinique et évolutive bien définie. Sa physio-pathologie reste encore discutée, avec plusieurs hypothèses. Les règles de la conduite à tenir sont relativement simples.

Cadre clinique L’ictère, lié à une hyperbilirubinémie non conjuguée, apparaît vers le 5-6e jour de vie chez un nouveauné allaité au sein. Il est isolé, le reste de l’examen clinique étant normal ; on note que les urines sont claires et les selles normalement colorées. La bilirubinémie s’élève jusqu’à 100-150 mg/l entre le 10e et le 20e jour. Il n’a jamais été observé de complication neurologique. Évolution Cet ictère entre dans le cadre des ictères prolongés, c’est-à-dire cliniquement appréciables au-delà du 10e jour de vie. Il persiste tant que dure l’allaitement même s’il régresse peu à peu. Le sevrage entraîne la disparition de l’ictère en moins de 5 jours. Si l’allaitement est repris au bout de 4-5 jours, l’ictère ne réapparaît pas ; en revanche, un rebond de l’hyperbilirubinémie a pu être observé si l’enfant est remis au sein après seulement 2 jours d’interruption. Fréquence La fréquence reste imprécise. Pour J.E. Clarkson et coll.(1), 2 à 4 % des nouveau-nés à terme au sein ont une hyperbilirubinémie non conjuguée supérieure à 100 mg/l durant la 3e semaine de vie. L.P. Brown et coll.(2) font état de 10,3 % d’enfants ictériques au 13e jour de vie, 2,6 % au 19e jour et 0,6 % au 21e jour dans un groupe de 155 nouveau-nés au sein. Physiopathologie Les hypothèses doivent tenir compte des points suivants : – l’ictère évoluant avec l’allaitement, le lait incriminé contient un facteur responsable de sa survenue ; – le caractère précoce et non conjugué de l’hyperbilirubinémie fait penser que ce facteur retarde la maturation physiologique de la conjugaison hépatique ou augmente la réabsorption intestinale de la bilirubine ; – les recherches in vitro concernant ce facteur peuvent dépendre des conditions de recueil et de conservation des échantillons. ● Inhibition de la conjugaison de la bilirubine ? L’activité de conjugaison peut être mesurée in vitro. L’addition de lait humain normal au milieu d’incubation inhibe faiblement l’activité enzymatique. En revanche, l’addition de lait provenant de mères dont l’enfant présente un ictère au lait de mère inhibe cette activité de plus de 50 %. I.M. Arias et coll. (3) ont isolé un isomère du prégnandiol, le 3- alpha-20-bêta-prégnandiol qui s’est révélé inhibiteur de l’activité glucuronyltransférase du foie de rat et de cobaye. Administré par voie orale au nouveau-né au cours des premiers jours de vie, il entraîne une élévation de la bilirubine, mais reste sans effet s’il est donné après l’âge de 7 jours(4). Cette hypothèse n’a pas été confirmée par d’autres auteurs qui n’ont pu retrouver ce dérivé dans les laits incriminés (5,6), ou parce que celui-ci n’inhibe pas in vitro la conjugaison de la bilirubine par du foie humain (7). C’est en fait la fraction saponifiable du lait qui est douée des propriétés inhibitrices in vitro (8,9). L’inhibition est due à la présence d’acides gras non estérifiés normaux en quantité élevée, alors que la plupart des constituants lipidiques du lait (lipides totaux, cholestérol, phospholipides et triglycérides) sont sans effet (9,10). Cette libération in situ d’acides gras non estérifiés est due à une des enzymes lipolytiques du lait, la lipoprotéine lipase, enzyme présente en grande quantité dans les échantillons incriminés dès leur recueil, c’est-à-dire à l’état frais (11). Les laits riches en acides gras inhibent aussi, in vitro, la liaison de la bromosulfophtaléine (BSP) à la protéine Z du cytosol hépatique (12).  Une augmentation de la réabsorption entérohépatique de la bilirubine ? Elle s’appuie sur des recherches encore controversées menées chez le rat, faisant ou non jouer un rôle aux acides biliaires. Le lecteur intéressé trouvera l’essentiel des résultats de ces recherches dans une mise au point parue en 1998(13).  Une sécrétion lactée anormalement précoce ? Cette hypothèse repose sur le fait que les phénomènes d’inhibition observés in vitro en étudiant les laits de mères d’enfants ictériques sont aussi constatés dans des laits provenant de mères d’enfants non ictériques (14). Chez celles-ci, le pouvoir inhibiteur apparaît progressivement dans les semaines qui suivent l’accouchement, en rapport avec la teneur de ces laits en acides gras non estérifiés et en lipoprotéine lipase. En fait, l’inhibition observée est le témoin de la sécrétion progressive d’un lait de plus en plus abondant et « mature ». Cette hypothèse se trouve confirmée par les faits suivants : – l’interrogatoire de 15 mères dont l’enfant au sein présentait un ictère néonatal prolongé a permis de retrouver chez 14 d’entre elles la notion d’une abondante sécrétion lactée dès l’accouchement. À titre anecdotique, l’une de ces mères avait été surprise par l’émission en jet de lait à partir d’un sein stimulé par son enfant dans les minutes suivant la naissance (15) ; – la disparition de l’ictère après un sevrage brutal en période d’abondante lactation ; – la non-reprise de l’ictère après quelques jours de sevrage, à un moment où la sécrétion lactée peine à redevenir abondante ; – la disparition en peu de jours de l’ictère si l’enfant, au lieu d’être au sein, se voit proposer le même lait préalablement chauffé au bainmarie à 56 °C, c’est-à-dire à une température détruisant l’activité de la lipoprotéine lipase. Conclusion L’ictère de l’enfant au lait de mère apparaît ainsi lié à l’ingestion précoce d’un lait anormalement riche en constituants retardant la maturation physiologique de la conjugaison de la bilirubine. Il reste cependant à comprendre ce qui se passe réellement in vivo et à faire l’hypothèse qu’à cet âge de la vie, les acides gras non estérifiés traversent facilement la paroi intestinale. Les raisons, probablement hormonales, expliquant le caractère anormalement précoce de la sécrétion lactée chez certaines mères, restent à découvrir. La possibilité que ce phénomène puisse s’observer chez d’autres enfants d’une même fratrie n’a pas été explorée.   Pour la pratique, on retiendra Devant un ictère néonatal prolongé potentiellement lié à l’allaitement, il convient :  de s’assurer qu’il n’existe pas d’autres causes (hémolyse, résorption d’hématome, hypothyroïdie congénitale, maladies héréditaires du métabolisme de la bilirubine) ;  d’éliminer la possibilité qu’il s’agisse d’un ictère simple plus fréquemment observé chez les nouveau-nés au sein que chez ceux recevant un lait artificiel. Les facteurs responsables d’un tel ictère, parfois abusivement décrit comme un ictère au lait de mère, relèvent de la technique de l’allaitement plutôt que de la qualité du lait. On incrimine ainsi une fréquence insuffisante des tétées éventuellement remplacées par des suppléments d’eau, faisant parler d’ictère par « déprivation » calorique, avec pour conséquence un ralentissement de la motricité intestinale facilitant la réabsorption entérohépatique de la bilirubine ;  de recueillir la notion d’une sécrétion lactée précocement abondante, argument majeur pour le diagnostic ;  de convaincre les parents de l’innocuité de l’ictère et des avantages de poursuivre l’allaitement ;  de s’abstenir de toute recherche complémentaire (mesure du pouvoir inhibiteur in vitro dont les résultats sont tellement dépendants des conditions de recueil et de conservation des échantillons de lait) ;  de s’abstenir de proposer un chauffage du lait, techniquement difficile (c’est le lait qui doit être porté à 56 °C et non l’eau du bain-marie…), pouvant interférer avec la reprise ultérieure d’une sécrétion lactée suffisante.

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