Publié le 30 déc 2008Lecture 11 min
La dépigmentation volontaire : fréquente et dangereuse !
J. LEVANG *, F. EYGONNET ** *CCA, service de dermatologie, CHU de Besançon **Médecin généraliste libéral, Besançon
La dépigmentation volontaire (DV) est une pratique par laquelle un individu s’emploie à diminuer la pigmentation physiologique de sa peau par l’usage cosmétique de produits dépigmentants. Elle est également appelée dépigmentation artificielle ou sauvage. En Afrique, la DV est diversement nommée selon les pays : au Sénégal, il s’agit du xessal (mot dont l’origine serait le « décapage », en arabe) ; le tcha-tcho au Mali (du mot bambara « bigarré ») ; le maquillage au Congo. Le nom de cette pratique reprend souvent directement le nom d’une marque de produit très utilisée : c’est le cas à Mayotte, où la pratique s’appelle pandalao.
La dépigmentation volontaire (DV) est une pratique par laquelle un individu s’emploie à diminuer la pigmentation physiologique de sa peau par l’usage cosmétique de produits dépigmentants. Elle est également appelée dépigmentation artificielle ou sauvage. En Afrique, la DV est diversement nommée selon les pays : au Sénégal, il s’agit du xessal (mot dont l’origine serait le « décapage », en arabe) ; le tcha-tcho au Mali (du mot bambara « bigarré ») ; le maquillage au Congo. Le nom de cette pratique reprend souvent directement le nom d’une marque de produit très utilisée : c’est le cas à Mayotte, où la pratique s’appelle pandalao. Une pratique en expansion Apparue à la fin des années 50, la dépigmentation volontaire s’est considérablement développée. Elle est devenue un véritable phénomène de mode touchant essentiellement les femmes de peau noire d’Afrique et des pays occidentaux, mais aussi celles à peau plus claire d’Asie et du Moyen- Orient. Pourtant, cette pratique est méconnue, et peu d’études lui ont été consacrées. En Afrique de l’Ouest, la prévalence d’utilisatrices de dépigmentants dans la population féminine est élevée et estimée entre 25 % à Bamako (1) et 59 % à Lomé (2). Malheureusement, les produits employés, essentiellement les dermocorticoïdes et l’hydroquinone, peuvent être à l’origine d’effets secondaires sévères. La DV serait apparue avec la première production de dépigmentants à l’hydroquinone aux États- Unis en 1955. Elle aurait d’abord été pratiquée par les Afro-Américains et les Africaines d’Afrique du Sud, deux pays où la ségrégation raciale est alors en vigueur. Les premières descriptions dermatologiques de la DV datent du début des années 70, mais le phénomène s’est surtout considérablement étendu ces vingt dernières années : la DV est pratiquée en Asie (Inde), au Moyen-Orient, sur tout le continent africain, aux Antilles, aux États-Unis et en Europe. La DV, en pleine expansion depuis les années 80, est pratiquée quasi exclusivement par les femmes, préférentiellement entre 15 et 45 ans (3). La presse africaine grand public dénonce cette pratique chez des célébrités du monde artistique ou politique, illustrant l’extension du phénomène dans les couches sociales très élevées. Le phénomène s’est étendu ces 20 dernières années à tous les continents. Un marché florissant et opaque D’innombrables produits dépigmentants sont recensés, mais les connaissances sur leur composition sont limitées car les produits sont souvent déconditionnés, leur étiquetage est mensonger, les contrefaçons sont légion… Obtenir des informations des producteurs et distributeurs est difficile, ceux-ci protégeant leurs intérêts commerciaux, contrariés par la législation de plus en plus sévère dans certains pays. La Gambie, par exemple, a décidé l’interdiction complète des produits dépigmentants. La DV y est officiellement interdite, et les contrevenantes encourent des amendes, le renvoi de la fonction publique…, mais cette pénalisation est notoirement inefficace. La DV alimente des circuits de contrebande internationaux aboutissant à des marchés parallèles(3). Les produits peuvent être fabriqués dans des pays à la législation souple, ou aux contrôles inefficaces (Inde, Nigéria…), mais aussi dans des pays occidentaux censés contrôler leur production, comme la France, ou le Royaume- Uni. Les produits terminent sur les étalages d’un marché africain, à la sortie d’une bouche de métro parisien, dans le quartier de Château- Rouge, ou cachés derrière le comptoir d’un magasin « exotique ». Les produits sont souvent déconditionnés, leur étiquetage est mensonger, les contrefaçons sont légion. Les dermocorticoïdes Acné secondaire à la dépigmentation volontaire chez des Mahoraises. Les dermocorticoïdes sont apparus en 1952 avec la démonstration par M.B. Sulzberger et V.H. Witten de l’efficacité de l’hydrocortisone topique sur les dermatoses inflammatoires. L’effet dépigmentant des dermocorticoïdes a été démontré en 1976 par J.-P. Marchand et coll. (4) qui les ont testés sur des cobayes noirs. Les dermocorticoïdes ne sont théoriquement disponibles que sur prescription médicale, partout dans le monde. Certains, utilisés en France pour la DV, proviennent du détournement de médicaments (c’est le cas de Diprosone ®). D’autres sont des imitations (Diprosone®, fabriqué en Inde). Mais la majorité sont uniquement destinés au marché de la DV (Movate®, Civic®, Fashion Fair®…) et seraient fabriqués en Italie, puis distribués dans de nombreux pays. Les effets secondaires des dermocorticoïdes sont locaux et généraux : localement, une atrophie cutanée est retrouvée avec une prévalence inférieure à 10 % en 1998 à Lomé (2), et supérieure à 25 % au Sénégal en 2001 (5). • Les vergetures corticoinduites qui se distinguent par leur largeur, leur profusion et l’atteinte de zones inhabituelles, sont présentes chez 40 % des patientes dans l’étude de A. Mahé et coll. en 2003(6). • Une hypertrichose du visage est notée chez 10 % des patientes de A. Mahé et coll.(6). • L’acné, dans l’étude de E. Raynaud et coll.(7), est présente chez 19 % des femmes qui se dépigmentent contre 5 % des témoins. La prévalence est plus élevée (44 %) dans la série de A. Petit et coll.(8), mais ceux-ci tempèrent ce résultat puisque l’acné représente le tiers des motifs de consultation dermatologique des sujets noirs en région parisienne. • La dermite péri-orale, complication classique des corticoïdes, est rarement observée (< 5 %)(6,8). Appliqués dans la zone péri-oculaire, les dermocorticoïdes peuvent favoriser cataracte et glaucome. • Les dermocorticoïdes, par leur effet immunosuppresseur, favorisent les infections cutanées : E. Raynaud et coll.(7) notent 22 % d’infections bactériennes superficielles, et 22 % de mycoses superficielles profuses (dermatophyties essentiellement) chez les femmes se dépigmentant contre respectivement 1,2 % et 3,5 % dans le groupe témoin. Ils rapportent également des cas de dermohypodermites nécrosantes. • Le passage systémique des corticoïdes peut être responsable d’effets généraux graves. L’importance des risques dépend de la surface traitée, de la topographie, de la fréquence des applications, et de la puissance du dermocorticoïde employé. E. Raynaud et coll.(7) ont comparé la prévalence du diabète et de l’HTA chez des patientes hospitalisées à Dakar selon qu’elles pratiquaient la DV ou non. Pour le diabète, le risque relatif associé à la DV était de 3,63 si la DV était pratiquée depuis moins de 10 ans, et de 6,48 si elle était pratiquée depuis plus de 10 ans. Pour l’HTA, le risque relatif était de 1,34 (DV < 10 ans) et 2,65 (DV > 10 ans). Des cas d’insuffisance surrénalienne à l’arrêt des dermocort icoïdes ont également été signalés(9), mais aussi des cas d’ostéonécrose ou de crise aiguë hypertensive(3). L’hydroquinone L’hydroquinone est un dérivé phénolique, initialement utilisé comme antioxydant du caoutchouc dans les usines de fabrication de pneus : son pouvoir dépigmentant a été découvert fortuitement suite à une dépigmentation des zones exposées à l’hydroquinone observée chez les ouvriers noirs d’une fabrique en 1939. L’hydroquinone a été par la suite produite sous forme de topiques contre les hyperpigmentations pathologiques, et sous formes de produits cosmétiques. Il s’agit du premier agent dépigmentant commercialisé, mais sa vente est désormais réglementée dans de nombreux pays. En Europe, la concentration d’hydroquinone dans les cosmétiques était limitée à 2 % jusqu’en 2000, puis, à partir de 2001, la vente de cosmétiques à base d’hydroquinone a été interdite. Notons cependant que la production européenne perdure, ces produits étant destinés à l’exportation (vers l’Afrique essentiellement…). En France, l’hydroquinone est donc désormais délivrée sous forme de préparation magistrale, sur prescription médicale, et à un taux ne dépassant généralement pas les 5 %. Certains pays africains, comme l’Afrique du Sud, ont des lois encore plus restrictives puisque l’hydroquinone n’y est autorisée que sur prescription et à une concentration inférieure à 2 %. Cette limitation est notamment due au potentiel carcinogène de l’hydroquinone in vitro(10), dont l’effet n’a jamais été démontré par les études cliniques. Les produits cosmétiques à base d’hydroquinone mis sur le marché africain sont innombrables et échappent souvent à toute réglementation : parmi eux, certains n’affichent pas leur concentration en hydroquinone, d’autres la sous-estiment, certains producteurs mentionnent même sur l’emballage l’absence d’hydroquinone alors qu’ils en contiennent à forte concentration. En 2003, A. Mahé et coll.(6) ont trouvé dans certains produits de Dakar une concentration de 8,7 %, et A. Petit(3) rapporte une concentration de 16,7 % dans une crème saisie par les douanes en France : il s’agissait d’une contrefaçon d’un produit n’en contenant habituellement pas, le sérum Amiwhite®. Les produits cosmétiques à base d’hydroquinone mis sur le marché africain sont innombrables et échappent souvent à toute réglementation. Les effets secondaires à l’application d’hydroquinone sont essentiellement représentés par les dermites d’irritation, et dermites eczématiformes (5 à 10 % des cas)(6), et les dyschromies, fréquentes et parfois irréversibles, qui concernent plus de 25 % des cas de DV(3,6). • La dépigmentation vitiligoïde « en confettis » est de prévalence variable, inférieure à 10 % dans l’étude de A. Mahé et coll.(6), jusqu’à 18 % dans celle de A. Petit(3). • L’ochronose exogène est une hyperpigmentation irréversible, en nappes noires, au relief granuleux, touchant les zones photoexposées. L’ochronose exogène ne survient généralement qu’en cas d’utilisation prolongée. Sur l’ensemble des études récentes, l’ochronose est présente chez 0 à 13 % des pratiquantes(5,6,7), corrélée à la durée de la DV. Parfois, un cercle vicieux s’installe, les femmes augmentant leurs applications pour faire disparaître leurs lésions d’ochronose. Les sels de mercure Les sels de mercure exposent surtout au risque de complications systémiques graves : néphropathies, encéphalopathie, atteintes hématologiques, intoxications foetales(11). Ils ont donc été retirés du marché dans de nombreux pays : en France depuis 1986, au Kenya depuis 1990… et ne sont désormais qu’exceptionnellement en cause dans les études sur la DV. Les substances caustiques Les substances caustiques détruisent l’épiderme partiellement ou totalement, entraînant un décapage mécanique (abrasif) ou chimique (produit acide, alcalin). Une fois l’épiderme décapé, un autre produit est généralement appliqué afin de limiter la colonisation du nouvel épiderme en croissance par les mélanosomes. Cette technique très agressive, décrite dès 1976 par J.-P. Marchand et coll.(12), fait appel à des substances variées : eau de Javel et autres produits d’entretien, sable, ciment, désinfectants, jus de citron, acide de batterie, etc. En 1989, J. Ondongo(13) décrit un rituel de décapage chez les futures épouses congolaises qui doivent présenter une peau très claire le jour du mariage, et subissent donc une « réclusion » d’une semaine environ, pendant laquelle elles ne sortent pas de chez elles : elles appliquent d’abord sur l’ensemble du corps une préparation caustique. Une fois la peau brûlée, un corps gras sert à retirer les croûtes d’épiderme nécrosé : c’est le « rabotage ». Puis vient le « blanchissement » qui est l’application d’un mélange contenant, entre autres, dermocorticoïdes et hydroquinone. Ce rituel est pratiqué à d’autres occasions importantes (deuils, baptême…), et peut s’étendre à toute la famille qui fait « retraite » avant un événement social important. Ces techniques anciennes semblent heureusement aujourd’hui abandonnées. Les rituels agressifs de décapage et de blanchissement des femmes à l’occasion d’événements importants semblent heureusement aujourd’hui abandonnés. Les cosmétiques éclaircissants Les cosmétiques éclaircissants en vente libre contiennent généralement des alpha-hydroxy-acides (AHA), communément appelés acides de fruit, qui sont des acides carboxyliques naturels, présents dans la pomme, le citron, le raisin… Leur action est kératolytique, ils accélèrent donc simplement la desquamation cutanée et sont associés à des principes hydratants. Ces produits réglementés sont inoffensifs, mais plus onéreux et d’une faible efficacité. Conclusion L’ampleur prise par la dépigmentation volontaire dans le monde est considérable et pourtant méconnue. La DV est maintenant en France, comme en Afrique, une réalité notoire. La pratique de la DV doit ainsi être systématiquement recherchée chez les femmes à peau foncée devant des dermatoses faciales compatibles avec l’application de produits dépigmentants, particulièrement l’acné et les dyschromies. La dépigmentation volontaire aurait d’abord été pratiquée par les Afro-Américains et les Africaines d’Afrique du Sud, deux pays où la ségrégation raciale était alors en vigueur...
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