Publié le 10 jan 2011Lecture 5 min
La maladie de Bowen chez le greffé rénal. A propos d'un cas
N. ELKIHAL, K. SENOUCI, R. B. HASSAM, Service de dermatologie, CHU de Rabat-Salé, Maroc
Les transplantés rénaux ont un risque plus élevé de faire des cancers cutanés notamment non mélaniques. Nous rapportons le premier cas de maladie de Bowen dans notre série de patients greffés rénaux suivis au CHU de Rabat.
Observation Monsieur A.M., de phototype III, âgé de 42 ans, greffé rénal depuis 6 ans, à partir d’un donneur vivant (sa soeur), est actuellement sous prednisone (Cortancyl® 5 mg), ciclosporine (Equoral® 75 mg/50 mg) et mycophénolate mofétil (Cellcept® 1,25 g). Quatre ans après la greffe, et lors d’une consultation de dermatologie systématique, nous avons détecté une lésion hyperpigmentée plane du pénis de 1 cm sur 0,5 cm de diamètre, indolore, de surface finement squameuse. La biopsie cutanée avait révélé une infection virale à human papillomavirus (HPV) avec présence de koïlocytes. Un traitement local à base d’imiquimod a été proposé. Le patient n’a pas appliqué le traitement de façon régulière. Le patient a été mis ensuite sous Rétisol ® (trétinoïne) sans amélioration. Le malade a été ensuite perdu de vue. Il a consulté deux ans plus tard : la lésion a augmenté de taille (2 cm sur 1 cm), sans remaniements de surface (figure 1) ; l’examen des aires ganglionnaires satellites ne trouve pas d’adénopathies palpables. Figure 1. Maladie de Bowen cutanée à localisation pénienne. Une deuxième biopsie cutanée est réalisée, qui montre une désorganisation architecturale épidermique avec atypies cytonucléaires ne dépassant pas la membrane basale évoquant une maladie de Bowen (figure 2). L’exérèse chirurgicale a été recommandée et réalisée avec une marge de 5 mm (figure 3). Une diminution des doses des traitements immunodépresseurs est préconisée, mais expose le malade au risque de rejet. L’utilisation des inhibiteurs de la protéine m-TOR est prévue. Discussion Chez les greffés rénaux, la fréquence des carcinomes non mélaniques est élevée et en particulier des carcinomes épidermoïdes. Les patients transplantés ont un risque plus élevé principalement de carcinomes épidermoïdes : le rapport de fréquence épidermoïdes/ basocellulaires, qui est habituellement de 1/5 au sein de la population générale, est inversé chez le greffé (3/1) (1). L’incidence du carcinome épidermoïde est multipliée par 100, alors que l’incidence du carcinome basocellulaire est multipliée par 10, et ce 8 à 10 ans après transplantation(2). La maladie de Bowen (MB), ou carcinome épidermoïde in situ, est un carcinome malpighien intraépithélial susceptible de survenir à tout âge (âge moyen : 65 ans)(3), favorisée par des agents exogènes : l’exposition solaire, l’immunodépression, l’exposition à certains agents infectieux, notamment les papillomavirus humains (HPV), ou l’exposition aux radiations ionisantes(4-6). Le risque d’évolution vers un carcinome invasif est estimé entre 3 et 20 % selon les séries(7,8). La particularité de ces cancers chez le greffé rénal est qu’ils apparaissent à un âge plus précoce, sont multiples, et ont une évolution rapide avec une morbidité et une mortalité importantes. Plusieurs facteurs sont incriminés dans la carcinogenèse : le statut immunitaire, la durée et l’intensité de l’immunosuppression, la susceptibilité génétique et l’existence de verrues(9). Les papillomavirus (HPV) sont incriminés dans la genèse de la maladie de Bowen (10). Figure 2. Maladie de Bowen. Désorganisation architecturale épidermique ne dépassant pas la membrane basale ; x 10 (a) ; x 40 (b). Cela a été confirmé par la mise en évidence de lésions d’infections à HPV dans les mêmes zones que les carcinomes épidermoïdes, qui auraient alors un rôle précarcinomateux (11). Dans la série de C. Thurot-Guillou et coll., sur 436 greffés rénaux, 58 cas de maladie de Bowen ont été colligés dont 2 au niveau génital( 12). Soixante-seize maladies de Bowen ont été rapportées dans la série de R.P. Caroll et coll. (13). Dans notre série, 100 greffés rénaux ont bénéficié d’un suivi dermatologique sur 7 ans. Nous rapportons ici le premier cas de cancer cutané non mélanique (NMSC). La faible fréquence des cancers cutanés dans notre série est probablement due au faible recul (tableau). La prise en charge de la maladie de Bowen repose sur les traitements locaux, le 5-fluoro-uracile, l’imiquimod, la thérapie photodynamique ou les rétinoïdes, la chirurgie d’exérèse (chirurgie plastique ou chirurgie de Mohs) (14). Dans les 5 ans suivant la survenue d’un premier carcinome épidermoïde, 90 à 100 % des greffés développent de nouveaux carcinomes cutanés. Dans ce cas, la prise en charge des patients nécessite, en plus des traitements dermatologiques habituels, un changement de l’immunosuppression afin de réduire le risque tumoral, notamment en introduisant un inhibiteur de la protéine m-TOR (sirolimus et évérolimus). Figure 3. Exérèse de la lésion. Ces médicaments auraient un effet dans la prévention secondaire des carcinomes cutanés d’autant plus qu’ils ont une faible néphrotoxicité. Ils peuvent remplacer les anticalcineurines, mais ont eux aussi des effets secondaires non négligeables (atteinte unguéale, granulomes pyogéniques, acné, aphtes, épistaxis, xérose, etc.)(15,16). Une sensibilisation du patient visà- vis du risque de développer des tumeurs cutanées s’impose et devrait l’inciter à consulter régulièrement. Cela permettra au dermatologue de détecter les lésions plus tôt. Une étude réalisée par C. Thurot-Guillou et coll. a montré que seuls 31,2 % des patients avaient un suivi régulier(12). Et selon une étude américaine réalisée par E.W. Cowen et coll., seulement 27 % des patients ont vu le dermatologue une fois depuis la greffe, et seulement 14 % ont un suivi régulier(11-17). Dans notre série, 58 % des patients continuent à consulter, le rythme moyen des consultations étant variable (de 15 jours à 6 ans, avec une moyenne de 7,65 mois). Conclusion Notre population de patients greffés rénaux est encore jeune. Nous rapportons le premier cas de maladie de Bowen génitale sur lésion HPV révélée lors d’un examen systématique dermatologique. Une consultation dermatologique régulière nous permettra de détecter les lésions tumorales à un stade précoce.
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