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Cancérologie

Publié le 24 mai 2010Lecture 13 min

La prise en charge des radiodermites aiguës

S. BENOMAR*, S. BOUTAYEB**, H. ERRIHANI**, B. HASSAM* *Service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat **Institut national d’oncologie, Rabat, Maroc

La radiodermite aiguë est la complication la plus fréquente de la radiothérapie. Elle constitue parfois une toxicité limitante imposant l’arrêt du traitement avec perte du bénéfice thérapeutique. Il n’existe pas actuellement de consensus concernant la prise en charge des radiodermites, que cela soit sur le plan curatif ou préventif. Nous proposons de faire le point sur les données actuelles de la prise en charge des radiodermites aiguës et de déterminer le rôle probant ou non des différents principes actifs topiques ou généraux prescrits ou recommandés à visée radioprotectrice.

Les radiodermites aiguës correspondent aux lésions cutanées précoces induites par les radiations ionisantes. Contrairement aux radiodermites dites « chroniques » qui se déclarent plusieurs mois, voire plusieurs années après l’irradiation, les radiodermites aiguës apparaissent dans les jours, les semaines ou les premiers mois qui succèdent à la radiothérapie. En 1896, Henri Becquerel faisait la première description de la radiodermite aiguë en rapportant les effets qu’avait eus sur sa peau un tube contenant de la matière radioactive oublié dans la poche intérieure de son veston. Pendant longtemps, la radiodermite a constitué le risque majeur et la principale toxicité limitante de la radiothérapie conventionnelle. Aujourd’hui, avec l’avènement des accélérateurs de haute et moyenne énergie, cette complication est devenue moins courante et moins sévère, mais elle n’en demeure pas moins une toxicité fréquente de la radiothérapie et une source d’angoisse, d’inconfort et de douleur pour le patient puisque très souvent mal prise en charge. Actuellement, de plus en plus d’études s’intéressent aux moyens de prendre en charge la radiodermite aiguë de la manière la plus optimale. Nous proposons de faire le point sur la prise en charge actuelle des radiodermites aiguës tant sur le plan préventif que curatif. Rappel histopathologique L’effet biologique d’une radiothérapie aiguë sur des tissus sains se manifeste par la souffrance, voire la mort cellulaire. Ces effets aigus s’observent dans les tissus à renouvellement rapide, tels que l’épiderme, les épithéliums des muqueuses ou la moelle osseuse. Le plus souvent, ces effets sont suivis d’une restitution « ad integrum » du tissu initial. La radiodermite aiguë représente l’expression clinique de ces effets toxiques aigus sur l’épiderme (1). Des effets peuvent survenir tardivement après l’irradiation des tissus à renouvellement plus lent tels que les cellules du derme et du tissu conjonctif sous-cutané. Ces effets ne sont alors observés qu’au moment où la division cellulaire des cellules lésées se produit. Cela se traduit par une inflammation chronique aboutissant à des phénomènes de fibrose progressive, de rétraction et de sclérose. Ces phénomènes correspondent aux radiodermites chroniques et apparaissent longtemps après l’irradiation. L’intensité des manifestations cliniques est proportionnelle à l’importance des phénomènes de létalité cellulaire, notamment des cellules souches de la couche basale proliférative de l’épiderme. La réparation de tels phénomènes est rapide et souvent quasi complète. L’intensité des symptômes dépend essentiellement des modalités de l’irradiation, à savoir, la dose totale, le fractionnement, la nature du rayonnement et de son énergie, ainsi que du site anatomique irradié. L’administration concomitante de certains produits de chimiothérapie (anthracyclines, gemcitabine) favorise la survenue de ces réactions (2). Rappel clinique Les lésions aiguës induites par la radiothérapie sont exprimées selon trois degrés de gravité, un peu comme le sont les brûlures. ● La radiodermite de premier degré se manifeste par un érythème d’intensité variable allant de la simple coloration rosée de la peau jusqu’à l’érythème congestif violacé. L’érythème survient en quelques jours à 3 semaines, et dès 12 Gy chez les sujets à phototype clair. Il est souvent accompagné de prurit, d’oedème et d’une dépilation non définitive. D’autres signes cliniques, moins constants, peuvent également se voir au cours de la radiodermite de premier degré : une desquamation fine et sèche fréquemment prurigineuse pouvant déterminer un aspect craquelé sensible de la peau et une pigmentation d’intensité variable. Cette pigmentation est d’origine inflammatoire et régresse le plus souvent dans un délai allant de quelques semaines à quelques mois. ● La radiodermite de deuxième degré succède habituellement à l’érythème lorsque l’irradiation est poursuivie au-delà de 40 Gy. Elle se caractérise par des lésions exsudatives, oedémateuses, suintantes et par une nécrose strictement épidermique aboutissant à un décollement de l’épiderme qui se manifeste par des bulles et des ulcérations mettant à nu le derme sous-jacent (figure 1). Figure 1. Radiodermite de grade 2 (oedème ne prenant pas le godet) suite à une radiothérapie néo-adjuvante  d’un cancer ORL. Souvent très algique, elle peut être hémorragique et secondairement impétiginisée. La ré-épithélialisation se fait en quelques semaines parfois en plusieurs mois selon le siège et ce, au prix d’une dyschromie et d’une dépilation, le plus souvent définitives, contrairement à la radiodermite de premier degré. ● La radiodermite de troisième degré correspond à des ulcérations nécrotiques qui s’étendent au-delà de l’épiderme au tissu sous-épidermique. Elle apparaît en quelques jours sous forme d’un placard inflammatoire très douloureux évoluant vers la nécrose des tissus irradiés et nécessitant, le plus souvent, un parage chirurgical. Les conditions habituelles de radiothérapie n’exposent pas à ce risque. Ainsi, la radiodermite de troisième degré témoigne le plus souvent d’un surdosage. En plus de cette classification, essentiellement rapportée dans les traités de dermatologie, il existe plusieurs classifications des réactions cutanées aux radiations ionisantes, la plus utilisée est la classification NCI Bethesda (tableau). Cette classification reprend les différents degrés de radiodermites aiguës, comme les décrivent les dermatologues, mais en distinguant au sein des radiodermites de deuxième degré entre deux grades différents en fonction de l’étendue des lésions et l’importance de l’oedème associé. La classification NCI Bethesda a le grand avantage d’être plus simple et d’unifier le langage oncologique en matière de toxicité cutanée du traitement. Traitement curatif • Les radiodermites de grade 1 doivent conduire à la prescription d’une crème apaisante. La crème à base de prolamine (Biafine®) est la plus utilisée. Elle est aussi la seule crème ayant l’AMM en France pour le traitement des radiodermites (3). • Une inflammation douloureuse et mal tolérée au cours d’une radiodermite aiguë de grade 1 ou 2 justifie la prescription d’une corticothérapie locale en cure courte (4,5). Au cours d’une radiodermite exsudative (grade 2 et 3), la priorité est donnée aux antiseptiques asséchants, dont le but est d’obtenir un assèchement des lésions avant de prendre le relais par les crèmes hydrantes apaisantes ou les dermocorticoïdes. Il faut cependant éviter les asséchants colorés, type éosine aqueuse, qui masquent les lésions et qui, de plus, sont souvent photosensibilisants. • En cas de radiodermites avec signes de surinfection cutanée (croûtes jaunâtres mellicériques, adénopathies locorégionales, etc.), une antibiothérapie locale par l’acide fusidique ou un sulfamide est suffisante si l’infection est strictement localisée, sans signes généraux. Cependant, en regard du contexte d’immunodépression du patient cancéreux, on a souvent recours à une antibiothérapie générale à base de pristinamycine ou d’acide fusidique. • Les radiodermites de grade 4, sous forme de placards inflammatoires évoluant vers la nécrose du tissu irradié, nécessitent le plus souvent un parage chirurgical(6). • Dans tous les cas, et dans un second temps, après régression de l’inflammation aiguë, l’aide à la cicatrisation des lésions pourra faire recourir aux topiques cicatrisants à base d’acide hyaluronique ou de colloïdes (7). • Bien entendu, les radiodermites avec une forte composante algique imposent l’usage des antalgiques pour un meilleur confort du patient. Prévention Les patients candidats à une radiothérapie doivent être sensibilisés à certaines règles d’hygiène à observer avant et après le début des séances d’irradiation. Cette étape d’ordre préventif reste du ressort du radiothérapeute et/ou de l’oncologue traitant, le dermatologue n’intervenant qu’après la survenue des lésions. Avant le début du traitement Le patient doit être préalablement informé, avec des termes adéquats, du fait que les rayons risquent « d’abîmer » sa peau au niveau de la zone irradiée. Ces explications simples concernant les causes d’apparition des lésions cutanées, les divers aspects cliniques qu’elles peuvent revêtir et les délais variables d’apparition, permettront au patient de mieux appréhender cet effet secondaire. Figure 2. Radiodermite de grade 3 (oedème ne prenant pas le godet) suite à une radiothérapie adjuvante d’un cancer du sein opéré. Cet entretien initial sera aussi l’occasion de relever certains facteurs de risque (tabac, phototype clair, exposition solaire importante, prise de certaines molécules de chimiothérapie radiosensibilisantes ou autres antibiotiques ou principes actifs photosensibilisants) et visera à adopter les attitudes destinées à supprimer ces facteurs de risque : photoprotection stricte, arrêt ou diminution du tabagisme, arrêt ou substitution des médicaments photosensibilisants, révision de la prescription en cas de chimiothérapie radiosensibilisante. Enfin, cet entretien avec le patient sera aussi l’occasion de corriger certaines idées fausses qui circulent encore, à tort, dans la population, telles que la nécessité du rasage de la zone irradiée et l’interdiction de bain ou de toilette à l’eau. Il faudra au contraire encourager la toilette soigneuse à l’eau et l’utilisation des savons neutres et des crèmes hydratantes. Le cancérologue devra aussi sensibiliser le patient quant à la nécessité de consulter dès l’apparition des premiers signes cutanés et de ne rien appliquer sans l’avis préalable du cancérologue traitant ou du dermatologue ; en effet, de nombreuses radiodermites de grade 1 ou 2 sont aggravées par des topiques irritants ou des substances corrosives utilisées en automédication. Pendant le traitement Il sera demandé au patient, jusqu’à la clôture de ses séances de radiothérapie, de s’astreindre à certaines règles strictes d’hygiène (8,9,10) : – se laver quotidiennement en évitant les bains chauds et en privilégiant des douches tièdes et courtes avec utilisation d’un savon neutre non irritant ; – bannir le port de vêtements synthétiques serrés et leur préférer des vêtements amples en coton avec, pour les femmes, des sousvêtements sans armature afin d’éviter l’irritation causée par la transpiration et la macération ; – éviter l’application de parfums et le rasage de la zone irradiée. Si le rasage n’est pas évitable, l’utilisation du rasoir électrique est préférée au rasoir à main mécanique ; – observer de bonnes règles de photoprotection ; – prendre soin de la peau irradiée en évitant les traumatismes et les frottements. Le moment de l’hydratation quotidienne de la zone traitée doit être l’occasion de traquer une rougeur débutante et de la signaler au médecin ; – ne jamais appliquer de topiques locaux ou prendre des médicaments par voie orale sans l’aval du médecin traitant ; – n’utiliser les facteurs de croissance épidermiques que s’ils sont nécessaires, vu que des données récentes montrent une majoration du risque de radiodermite en cas d’usage concomitant de ces facteurs avec la radiothérapie (11). Figure 3. Radiodermite de grade 4 (zones de nécrose) suite à une irradiation pelvienne. Après la fin du traitement Le patient continuera à hydrater et surveiller sa peau même après la fin des séances de radiothérapie car des réactions tardives peuvent s’observer. Il protégera du soleil la zone irradiée pendant un an et évitera, dans les mois qui suivent l’arrêt du traitement, les bains en piscine souvent caustiques. L’apparition de lésions secondaires sur la zone traitée doit pousser le patient à consulter car la survenue de lésions de radiodermite chronique, de kératoses pré-épithéliomateuses et de carcinomes cutanés est possible. Place des principes actifs topiques ou généraux dans la prévention Le rôle radioprotecteur préventif des topiques locaux en matière de radiodermites aiguës reste discuté. Différentes études ont tenté d’évaluer l’efficacité des substances radioprotectrices utilisables par voie systémique ou topique. Néanmoins, la plupart de ces études ont été réalisées chez l’animal ou de façon non contrôlée chez l’homme. De plus, les rares études contrôlées chez l’homme ont abouti à des résultats négatifs. Divers topiques à visée antiinflammatoire, apaisante ou antioxydante ont été utilisés à titre préventif, sans faire véritablement la preuve de leur efficacité. Ils ne sont d’ailleurs pas tous dénués d’effets secondaires, notamment allergisants. Les topiques utilisés sont des crèmes à base de prolamine (Biafine®), de dexpanthénol (Bepanthen®), des préparations à base de camomille, d’amande douce, d’aloe vera ou d’acides gras insaturés ou essentiels. Ces molécules sont connues pour leur rôle dans la structure et la fonction des protéines membranaires (12,13,14). Dans un essai randomisé du Radiations Therapy Oncology Group, J. Fisher et coll. ont montré l’inefficacité du traitement à base de prolamine (Biafine®) à visée préventive après irradiation pour carcinome mammaire (15). De nombreuses firmes pharmaceutiques tentent de promouvoir des crèmes à principe antioxydant, notamment à base de vitamine C et E ou à base de sucralfate pour la prévention des radiodermites aiguës. L’efficacité de ces produits et leur supériorité aux préparations hydratantes n’ont jamais été formellement démontrées (16). Certains auteurs ont tenté d’utiliser les dermocorticoïdes à titre préventif mais sans résultat probant (17). Enfin, et concernant le rôle éventuel des principes actifs radioprotecteurs par voie systémique, ni les études utilisant des antioxydants oraux (18), ni celles expérimentant les corticoïdes par voie générale n’ont montré de bénéfice dans la prévention des radiodermites aiguës (19). L’emballement qu’ont montré certaines études rétrospectives concernant le rôle préventif de l’amifostine mériterait d’être confirmé par des essais randomisés (20). En pratique, les topiques à base de calendula, de trolamine, de dexpanthénol, ou d’acides gras insaturés peuvent être appliqués deux fois par jour en évitant leur application dans les 8 heures qui précèdent l’irradiation. Ils maintiendront ainsi la peau normalement hydratée et donc mieux préparée au traitement et plus confortable pour le patient. Il n’y a pas lieu de prescrire des corticoïdes topiques ou généraux ou encore des antioxydants à titre préventif pour les radiodermites aiguës. Conclusion La radiodermite aiguë demeure la principale toxicité limitante des radiations ionisantes. Il est important de connaître les mesures hygiéno-diététiques à prodiguer à tout patient candidat à la radiothérapie. Ainsi, la sensibilisation avant le début de ses séances de radiothérapie et la prise en charge thérapeutique dermatologique rapide et adéquate dès l’apparition des premiers signes cutanés constituent les deux piliers fondamentaux de la bonne prise en charge de cette complication.

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