Publié le 30 oct 2024Lecture 6 min
Les kératoses actiniques et leur traitement en ville
Catherine OLIVERES-GHOUTI, dermatologue, Paris
Les kératoses actiniques sont considérées comme des précurseurs du carcinome épidermoïde. Ces kératoses prénéoplasiques sont la conséquence de nombreuses années d’exposition au soleil.
Liées à une exposition prolongée au soleil, les kératoses actiniques se voient dans les zones les plus exposées, à savoir le visage, les oreilles, le cou, le dos des mains, les bras et les jambes, et le cuir chevelu en cas de calvitie. Leur diagnostic est clinique et leur prévalence très élevée augmente au fur et à mesure que les patients vieillissent. Aussi, pour que ceux qui présentent une héliodermie puissent consulter avant la transformation en carcinome – car le traitement est alors radicalement différent – il faut apprendre aux patients à les dépister eux-mêmes.
La kératose peut ainsi être très petite (parfois 1 ou 2 mm de diamètre) et ne ressembler qu’à un petit bouton un peu croûteux qui semble guérir quand le patient en arrache la croûte mais récidive rapidement. Très souvent, le patient exprime ressentir une douleur au niveau de la kératose quand il y passe la main (par exemple lors de la toilette) et une impression de « papier de verre ». Cette sensation, typique, est facile à comprendre du patient qui doit savoir que, s’il tarde à consulter, la kératose peut s’étaler et devenir hyperkératosique (figure 1), c’est-à-dire présenter une croûte jaunâtre épaisse ou pousser telle une « corne cutanée ».
Figure 1. Kératoses actiniques hyperkératosiques.
Le rôle du dermatologue est aussi d’expliquer aux patients la différence avec les kératoses séborrhéiques qui sont moins rugueuses au toucher et peuvent être incolores ou de la couleur de la peau quand elles apparaissent.
Chez les personnes exposées au soleil depuis l’enfance – ou en raison de leur profession –, il faut examiner soigneusement le tégument et toucher légèrement la peau pour repérer les kératoses. Il ne faut pas oublier aussi les autres facteurs de survenue, comme les traitements immunosuppresseurs.
Apprendre l’autosurveillance au patient est néanmoins capital, car si la grande majorité des kératoses actiniques ne se transforme pas en carcinomes, nous avons tous vu des kératoses actiniques évoluer parfois très rapidement vers un carcinome épidermoïde (figure 2) et dû en faire l’exérèse.
Figure 2. Kératoses actiniques, dont une en voie de transformation en carcinome (en bas à droite).
LES TRAITEMENTS
Il est donc impératif de traiter les kératoses actiniques, car en dehors de la gêne et du préjudice esthétique qu’elles occasionnent, le risque que certaines évoluent en carcinomes épidermoïdes est certain (figures 2 et 3). On ne peut en effet pas prédire quelles kératoses prendront une mauvaise tournure, il faut donc les détruire au fur et à mesure de leur apparition.
Figure 3. Kératose actinique en voie de transformation en carcinome épidermoïde.
Trois traitements prédominent : la cryothérapie, les traitements topiques et la photothérapie dynamique avec la lumière du jour.
La cryothérapie (azote liquide)
Très facile à réaliser en cabinet, à condition d’être bien éclairé pour voir les petites lésions, la cryothérapie permet de traiter de nombreuses lésions en un temps court. L’azote liquide peut être appliqué au CotonTige ou au spray de cryochirurgie. Le traitement est simple et sans effet secondaire hormis une petite douleur passagère, mais méfions-nous quand même de certains patients qui peuvent faire un malaise vagal si la cryothérapie est appliquée longuement sur une lésion un peu épaisse ou étalée.
Les traitements topiques
• Le 5-fluorouracile ou 5FU (Efudix® ou Tolak®)
Cette crème – en tube, le plus pratique – inhibe la thymidylate synthétase, ce qui empêche la synthèse de l’ADN et entraîne l’apoptose des cellules de la kératose.
Le patient applique la crème en très petite quantité une fois par jour (le soir, par exemple). On lui précise que si un petit saignement se produit, il devra interrompre temporairement le traitement pour n’appliquer qu’une crème cicatrisante puis le reprendre jusqu’à guérison, c’est-à-dire quand la peau redevient lisse et normale. Une crème cicatrisante est bienvenue le matin et à la fin du traitement pour hâter la cicatrisation complète.
Certaines études proposent l’association calcipotriol topique + 5FU, qui diminuerait significativement le risque de transformation en carcinome épidermoïde.
• L’imiquimod (Aldara®, Zyclara®, Bascellex® en sachets)
L’imiquimod modifie la réponse immunitaire qui stimule l’induction locale des cytokines, d’où une réaction locale inflammatoire souvent importante. Il permet de traiter les kératoses non hyperkératosiques et non hypertrophiques.
La crème doit être appliquée 3 fois par semaine pendant 4 semaines maximum, et complétée par une crème cicatrisante ou apaisante les autres jours (matin et soir). On apprécie le résultat 4 semaines après l’arrêt du traitement. Cependant, la présentation en petits sachets n’est pas adaptée au traitement de kératoses multiples, et leur manipulation est peu aisée chez le sujet âgé.
• La tirbanibuline (Klisyri®)
La tirbanibuline a obtenu son AMM européenne en juillet 2021, mais elle n’est toujours pas disponible en France. Elle est indiquée dans le traitement des kératoses actiniques du visage et du cuir chevelu chauve.
Une application par jour pendant 5 jours est recommandée. Là aussi, la présentation en boîtes de dix sachets (dosés à 2,5 mg de tirbanibuline) n’est pas adaptée à tous les patients.
• Le diclofénac
Le diclofénac a été proposé, mais, vu sa faible efficacité, je ne le conseille pas.
La photothérapie dynamique
La photothérapie dynamique avec la lumière du jour est le traitement le plus simple à appliquer en ville. Il faut néanmoins parfaitement expliquer le protocole au patient et à son entourage, car la crème (ingénol mébutate gel) doit être appliquée avec une main gantée et par un tiers sur certaines zones (occiput ou vertex).
Bien appliqué, ce traitement permet de traiter des zones un peu étendues avec des kératoses petites, moyennes ou un peu étalées. Si la kératose est très hyperkératosique, une crème kératolytique (par exemple à 50 % d’urée) peut être prescrite pendant quelques jours avant le traitement au mébutate d’ingénol.
Pour les patients qui habitent loin d’un cabinet de dermatologie, la photothérapie dynamique permet de traiter entre deux séances de cryothérapie. Cependant, il faut s’assurer de la bonne compréhension du protocole afin d’obtenir un bon résultat.
EN CONCLUSION
La consultation régulière au cabinet du dermatologue permet de dépister une éventuelle évolution vers un carcinome épidermoïde (figure 4) et de le traiter chirurgicalement.
Figure 4. Carcinome épidermoïde.
Les traitements topiques (surtout le 5-FU) et la photothérapie avec lumière du jour, associés à des séances de cryothérapie, sont les traitements de référence faciles à mettre en place.
N’omettons pas qu’il est impératif de rappeler aux patients, à chaque consultation, la nécessité de la photoprotection vestimentaire, que ce soit pour les loisirs ou dans le cadre d’une profession en extérieur, qu’il y a des heures (entre 12 et 16 heures) où le soleil est plus agressif pour la peau, même par temps gris ou nuageux, et qu’il faut appliquer régulièrement des crèmes d’indice de protection élevée sur les zones non couvertes par un vêtement.
L’éducation des patients et la pratique de l’autosurveillance sont des facteurs très importants dans ces périodes de pénurie de spécialistes.
Précisons aussi que la création des équipes de soins spécialisés en dermatologie et vénéréologie (ESSDV) permet aujourd’hui aux médecins généralistes d’adresser une demande de télé-expertise à un dermatologue. Initialement créées en Île-de-France, ces unités sont en voie de généralisation dans toutes les régions, ce qui permettra de mailler le territoire et d’éviter de voir des carcinomes « historiques ».
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article.
Pour en savoir plus
• Jansen MHE, Kessels JPHM, Nelemans J et al. Randomized trial of four treatement approaches for actinic keratosis. N Engl J Med 2019 ; 380(10) : 935-46.
• Zhao HJ, Ushcatz I, Tadrous M et al. International time trends and differences in topical actinic keratosis therapy utilization. JAAD Int 2024 ; 16 : 18-25.
• Kantor J. Non-surgical management of actinic keratoses. JAAD 2024 ; Doi : 10.1016/j.jaad.2024.08.008.
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