Publié le 07 juin 2009Lecture 11 min
Traitement de l’acné chez une femme en désir d’enfant
C. BEYLOT, CHU de Bordeaux, hôpital du Haut-Lévêque, Pessac
Il s’agit d’une question difficile, car s’il y a quelques publications sur le traitement de l’acné chez la femme enceinte, la bibliographie concernant la femme en désir d’enfant est inexistante. Dès lors, l’attitude pratique ne peut être déduite que de la prise en compte des risques de chaque médicament anti-acnéique pendant la grossesse et de l’âge de cette grossesse. Pour la femme acnéique en désir d’enfant, il est donc logique d’exclure les médicaments qui comportent un risque en début de grossesse.
Cette attitude de prudence peut paraître excessive, mais il faut avoir à l’esprit l’importance du principe de précaution aujourd’hui, qui conduit à exclure chez la femme enceinte certains médicaments pour lesquels il n’y a pas de risques connus, mais aussi pas d’études de tératogénicité suffisantes. Les très récentes recommandations de bonne pratique de l’Afssaps concernant la femme enceinte, parues en janvier 2008, sont à cet égard très restrictives (1). Le dermatologue ne peut les ignorer, même s’il n’est pas personnellement convaincu du bien-fondé de certaines d’entre elles, par exemple vis-à-vis de certains topiques ou du zinc par voie orale qu’il avait l’habitude de prescrire à ses patientes. Ces restrictions sont également mentionnées sur le dictionnaire Vidal qu’il faut vérifier avant toute prescription. Mesures de bon sens • Il faut exclure d’emblée : – les médicaments qui empêcheront cette jeune femme de devenir enceinte, ou qui sont incompatibles avec une grossesse : les estro-progestatifs, l’acétate de cyprotérone qui est fortement antigonadotrope, donc contraceptif, et bien entendu l’isotrétinoïne très fortement tératogène, dont la prescription nécessite une contraception fiable associée ; – la spironolactone est plus rarement utilisée dans l’acné pour son effet antiandrogène ; elle n’est pas contraceptive et une grossesse reste possible, mais avec risque de féminisation du foetus masculin (entre la 8e et la 17e semaine d’aménorrhée). • Si une grossesse est souhaitée, il ne s’agit pas d’une jeune adolescente, mais d’une jeune femme qui a souvent dépassé l’âge de 20 ans et est encore acnéique. On s’approche du cadre de l’acné de la femme adulte, de plus de 25 ans, avec des troubles hormonaux plus fréquents et davantage de difficultés pour obtenir une grossesse. Si cette période de désir est longue, un traitement de l’acné est souvent demandé. – S’il s’agit d’une acné légère, la patiente pourra rester sans traitement, ou recevoir un traitement topique autorisé ; – s’il s’agit d’une acné moyenne ou sévère, un traitement topique est insuffisant et il faudrait faire appel à un traitement général. Quel traitement ? Les patientes sont habituellement très prudentes quand elles sont informées de risques possibles, même très rares, et veulent éviter tout traitement qui pourrait compromettre leur grossesse et surtout la santé de leur futur enfant. Certaines vont jusqu’à refuser tout traitement. Figure 1. Acné moyenne : macrolides par voie orale. Relais par érythromycine topique. Il faut que le médecin soit également très prudent. Même si une femme en désir sérieux d’enfant n’est pas encore une femme enceinte, il doit bien connaître les contre-indications des médicaments pendant la grossesse, surtout dans la phase de début qui est la plus exposée et où la grossesse n’est pas toujours connue. Quand la jeune femme se sait enceinte, elle peut tarder à réagir, même si son dermatologue ou son médecin lui a dit qu’il faudrait stopper immédiatement tel ou tel médicament anti-acnéique dès le début de grossesse. Le prescripteur ne doit pas prendre de risque, même minime. Une malformation pourrait alors, souvent à tort, être imputée au traitement. Il faut en effet se souvenir que la prévalence des malformations est de 2 à 3 % dans la population générale. Face à une femme en désir d’enfant, le prescripteur ne doit pas prendre de risque, même minime. Les traitements topiques Il vaut mieux éviter les rétinoïdes topiques. D’exceptionnelles observations isolées ont rapporté des malformations chez des enfants nés de mères traitées par trétinoïne topique ou adapalène pendant le premier trimestre de leur grossesse, malformations multiples (2), anomalies oto-cérébrales (3), anophtalmie et agénésie du chiasma (4). Cependant, les études épidémiologiques comparant le taux de malformations chez des femmes exposées et non exposées aux rétinoïdes topiques pendant leur grossesse (5,6) (tableau 1) et la très faible absorption percutanée des rétinoïdes par voie topique (7) apportent des données rassurantes : il n’y a pas d’effet tératogène prouvé, mais cela ne peut être totalement exclu. En 1993, la Société française de dermatologie (8) avait fait le communiqué suivant qui garde toute son actualité : « La SFD considère qu’il ne faut utiliser aucun rétinoïde topique pendant la grossesse. Il serait injustifié de recommander les mêmes mesures d’accompagnement que pour les rétinoïdes oraux. Les utilisatrices de rétinoïdes topiques doivent être averties qu’elles devront arrêter ce traitement en cas de grossesse. Il n’y a pas lieu de leur prescrire de contraception systématique. En cas d’exposition en début de grossesse, il serait abusif de préconiser une interruption de grossesse ». Sur une échelle de risque croissant (A, B, C, D, X), la FDA classe les rétinoïdes oraux en X et les rétinoïdes topiques en B (risque très faible non démontré) (9). Les conclusions sont les mêmes que celles de la SFD : il faut les éviter pendant la grossesse, mais s’il y a une exposition intempestive en début de grossesse, on doit stopper immédiatement ce médicament, mais on ne propose pas d’interruption de grossesse. Puisque ce risque concerne surtout le premier trimestre, il paraît logique de ne pas prescrire de rétinoïdes topiques à une femme en désir d’enfant. Les utilisatrices de rétinoïdes topiques doivent être averties qu’elles devront arrêter ce traitement en cas de grossesse. Peut-on prescrire du peroxyde de benzoyl ou une antibiothérapie topique ? • L’Afssaps vient d’émettre une restriction sur l’utilisation du peroxyde de benzoyl chez la femme enceinte. Il n’y a cependant pas de tératogénicité connue, mais les données sont insuffisantes et « il est donc préférable de ne pas l’utiliser » (1). • Pour la clindamycine, les données cliniques sont rassurantes mais limitées. Les études animales sont insuffisantes ; il existe un risque exceptionnel de colite ulcéreuse (10) : « Il est préférable de ne pas l’utiliser » (1). • L’acide azélaïque a une activité modérée. Son innocuité pendant la grossesse n’est pas documentée : « Il est préférable de l’éviter ». • L’érythromycine topique, dont l’innocuité par voie générale pendant la grossesse a été largement prouvée, serait la seule possibilité. L’érythromycine topique serait la possibilité thérapeutique la plus adaptée à la femme acnéique en désir d’enfant. Les traitements généraux Le risque des tétracyclines, surtout pendant le 2e trimestre de la grossesse et pendant le 3e sont connus depuis longtemps (10) et sont classés par la FDA en catégorie D. Le plus classique est la dysplasie de l’émail de la première dentition, avec des dents grises ou jaunâtres et fragiles, cette dysplasie favorisant aussi les caries. Plus rarement, on constate des troubles de la croissance osseuse. Le risque de bec de lièvre est augmenté. Pour le premier trimestre, il n’y a pas de risque connu et, théoriquement, on pourrait prescrire des tétracyclines pendant le premier trimestre de la grossesse ou tout au moins pendant les 2 premiers mois. Mais le principe de précaution conduit beaucoup d’auteurs à les éviter complètement et c’est aussi la position de l’Afssaps (1). Figure 2. Acné nodulaire sévère. Risque de cicatrices. Traiter en priorité l’acné par isotrétinoïne orale sous contraception. Le projet de grossesse est remis à plus tard et pourra être envisagé 1 mois après l’arrêt de l’isotrétinoïne. Chez la femme en désir déclaré d’enfant, il faut donc rester prudent et éviter si possible la prescription de tétracyclines ou interrompre le traitement dès que la grossesse est connue. Heureusement, la plupart des acnés s’améliorent spontanément pendant la grossesse. Il y a cependant des exceptions et en cas d’acné importante chez une femme enceinte, un traitement par macrolides (érythromycine, roxithromycine) est possible pendant 2 mois, avec relais ensuite par l’érythromycine topique. Là encore, on peut estimer que l’extrapolation à la femme en désir d’enfant est souhaitable et qu’il vaut mieux lui prescrire, si nécessaire, un macrolide plutôt qu’une tétracycline. En cas d’acné importante chez une femme en désir d’enfant, il vaut mieux prescrire un macrolide plutôt qu’une tétracycline. Qu’en est-il du zinc ? Jusqu’à la fin 2007, le zinc pouvait être prescrit pendant la grossesse et était le médicament refuge durant cette période. Mais actuellement le RCP (résumé des caractéristiques du produit) a changé. Bien qu’il n’y ait pas d’effet tératogène décrit, les données cliniques, certes rassurantes, sont limitées et il n’y a pas d’études animales. Le principe de précaution conduit donc l’Afssaps à recommander de l’éviter pendant le premier trimestre de la grossesse (1). Simultanément à la parution de ces recommandations, était cependant publié un important travail de B. Dréno (11) comportant l’analyse de la littérature, une enquête de prescription du gluconate de zinc par les dermatologues français et une analyse de la pharmacovigilance française. Les conclusions sont très rassurantes : pas de malformations congénitales chez les enfants de femmes supplémentées en zinc à des doses inférieures à 75 mg/j. D’après l’étude de prescription, 10 000 femmes enceintes environ par an sont traitées pour leur acné par le gluconate de zinc et depuis la commercialisation du produit, 4 événements indésirables graves seulement ont concerné des grossesses, avec une imputabilité douteuse pour le zinc. Il reste possible d’utiliser le zinc pendant les 2e et 3e trimestres de la grossesse, mais cela est rarement indispensable en raison de l’amélioration habituelle de l’acné pendant la grossesse. Puisque le zinc doit être évité pendant le premier trimestre de la grossesse, il vaut mieux ne pas en prescrire chez la femme en désir d’enfant, sauf dans le cas très exceptionnel de l’acrodermatite entéropathique où l’apport de zinc à doses pharmacologiques reste indispensable. Situations particulières Parfois aussi, le dermatologue doit savoir gérer des situations particulières et définir des priorités. Les acnés graves, nodulaires. Elles nécessitent de l’isotrétinoïne orale et vite ! Sinon, il existe un risque de cicatrices importantes et indélébiles, catastrophiques chez une jeune femme. Donc, il faut convaincre la patiente de traiter d’abord l’acné par isotrétinoïne (6 mois de traitement environ) et de n’envisager la grossesse qu’un mois après l’arrêt de l’isotrétinoïne. Les acnés avec signes cliniques et biologiques d’hyperandrogénie. Dans ces situations, la grossesse sera sans doute difficile à obtenir. L’avis d’un endocrinologue ou d’un gynécologue est alors indispensable pour préciser le diagnostic : ovaires polykystiques le plus souvent, plus rarement bloc enzymatique incomplet surrénalien, très exceptionnellement révélation d’une tumeur ovarienne ou surrénalienne. C’est lui qui définira le traitement qui nécessitera peut-être un estro-progestatif et/ou de l’acétate de cyprotérone pendant un certain temps, retardant donc par leur caractère contraceptif le projet de grossesse. Conclusion Chez une femme en désir d’enfant, il est logique d’éviter les médicaments anti-acnéiques pouvant comporter un risque pendant le premier trimestre de la grossesse et il est prudent, bien qu’il ne s’agisse pas encore d’une femme enceinte, d’appliquer les recommandations de l’Afssaps concernant le traitement de l’acné pendant la grossesse. C’est une attitude qui peut paraître à certains trop restrictive, mais puisqu’il existe quelques médicaments autorisés, autant les choisir. Il faut avoir une conversation suffisamment longue avec la patiente pour lui expliquer que le principe de précaution motive ces restrictions. Ainsi informées, la plupart de ces jeunes femmes ne voudront prendre aucun médicament qui pourrait nuire à la santé de leur enfant. Pour les prescripteurs qui décident d’utiliser tout de même chez une femme en désir d’enfant un médicament déconseillé en début de grossesse, il faut bien entendu demander qu’il soit stoppé dès que la grossesse est connue et essayer d’évaluer au cours de cette conversation le niveau de compréhension de ces directives par la patiente (mais pourquoi prendre un risque que l’on peut éviter ?). Un traitement de l’acné pendant cette période d’attente de grossesse est-il vraiment indispensable ? Sûrement pas pour des acnés légères. Pour une acné moyenne, on pourra autoriser de l’érythromycine topique ou un macrolide par voie orale, en attendant l’amélioration habituelle de l’acné pendant la grossesse. Mais s’il s’agit d’une acné sévère, son traitement peut avoir la priorité sur le projet de grossesse et il faudra convaincre la patiente de n’envisager cette grossesse qu’après le traitement par isotrétinoïne orale pour une acné nodulaire ou après correction suffisante des troubles endocriniens en cas d’hyperandrogénie.
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