Publié le 20 oct 2022Lecture 5 min
Mycosis fongoïde à type de forme pseudo-lépreuse sur peau pigmentée : ne pas méconnaître les formes inhabituelles
Omar BOUDGHENE STAMBOULI et coll.
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Les lymphomes cutanés sont des lymphomes débutants et prédominants au niveau de la peau ; ils représentent le deuxième site des lymphomes extra-nodaux après les lymphomes digestifs.
Les lymphomes cutanés constituent un groupe hétérogène réalisant des tableaux cliniques, histologiques et immuno-histologiques très différents(1).
Le mycosis fongoïde, le plus fréquent, représente environ 50 % des lymphomes T cutanés. Il a une évolution indolente, en plusieurs stades, avec des aspects cliniques très polymorphes, rendant le diagnostic difficile mais pouvant être facilité par l’immunophénotypage.
Les données d’incidence concernant les lymphomes T épidermotropes, mycosis fongoïde (MF) ou le syndrome de Sézary(2) sont extrêmement réduites .
Nous avons recensé 20 cas sur une période de 5 ans (2009- 2013), 14 hommes et 6 femmes, avec un âge moyen de 54 ans. Nous présentons une forme inhabituelle de MF érythrodermique sur peau pigmentée dans une forme pseudo-lépreuse.
≈ Observation
Un homme 80 ans, originaire de Tindouf (Sahara algérien), consultait pour des lésions érythémateuses squameuses très prurigineuses évoluant depuis un an et demi. Ses antécédents consistaient en une cataracte de l’œil gauche opérée ; il ne prenait aucun traitement. Il présentait des lésions érythémato squameuses très prurigineuses siégeant initialement sur les membres inférieurs avec extension rapide au tronc (figures 2 et 3), aux membres supérieurs, au cuir chevelu et au visage réalisant une véritable érythrodermie sèche desquamative.
Figure 2
Figure 3
Par ailleurs existait une exagération des sillons du visage réalisant un aspect de faciès léonin pseudo-lépromateux (figure 1).
Figure 1
L’examen de la région palmo-plantaire retrouvait une hyperkératose desquamative avec ponctuations en flammèche (figure 4).
Figure 4
Le reste de l’examen physique était sans particularité avec un bon état général ; des micro-adénopathies étaient palpées dans les creux axillaires droit et gauche. L’échographie abdomino-pelvienne, des creux axillaires et inguinaux retrouvait des micro- adénopathies du creux axillaire droit mesurant 4 et 5 mm, des micro-adénopathies du creux axillaire gauche mesurant 5,7 et 9 mm, l’absence d’un syndrome tumoral inguinal ou profond. L’hémogramme, le bilan hépatique et rénal, le taux des béta 2 microglobulines et l’électrophorèse des protéines sérique étaient normaux. La formule leucocytaire montrait un taux de lymphocyte normal à 2300/mm ; le reste des éléments de la formule leucocytaire étant sans anomalie notable. Sur le frottis sanguin, il n’y avait pas de cellules de Sézary circulantes ; la présence de quelques lymphocytes activés était seulement notée. Le taux de LDH s’élevait à deux fois la normale.
Deux biopsies cutanées mettaient en évidence : un épiderme acanthosique sous-tendu avec un infiltrat en bande sous- épidermique riche en lymphocytes atypiques migrant dans les couches profondes de l’épiderme avec œdème diffus et dépôts de pigments brunâtres de mélanine au niveau du derme superficiel.
L’immunodétection montrait une positivité du CD 3 et du CD 45RO+ pour la majorité des cellules, cependant le CD1 et le CD 30 étaient négatifs.
La confrontation anatomo clinique permettait de retenir le diagnostic de MF érythrodermique stade III a (T4N0M0).
Sur le plan thérapeutique, un traitement par méthotrexate a été proposé.
≈ Discussion
Le MF est le lymphome cutané le plus fréquent(3). De nombreuses variantes cliniques sont retrouvées avec un aspect de MF classique proche de celui observé sur peau blanche (plaques infiltrées simulant un eczéma chronique éventuellement précédé de lésions de parapsoriasis à grandes plaques) ; les aspects nodulaires sont possibles(4).
Comme chez notre patient, le MF érythrodermique est la présentation clinique la plus fréquente avec possible infiltration cutanée conférant un aspect pseudo-lépromateux (ce qui a été aussi rapporté par une étude malienne)(5,6).
Le MF érythrodermique touche essentiellement les adultes de 40 à 60 ans avec une médiane à 50 ans et une légère prédominance masculine.
Cliniquement, il se présente comme une érythrodermie sèche desquamative avec quelques intervalles de peau saine, très prurigineuse finement squameuse, associée à une pachydermie, une exagération du quadrillage de la peau et un aspect léonin du visage
L’examen anatomopathologique du MF érythrodermique retrouve un infiltrat sous-épidermique et épidermotrope constitué majoritairement de lymphocytes T CD 4+. L’infiltrat est souvent d’allure lichénoïde, les micro-abcès de Pautrier étant parfois observés.
Sur le plan immunologique le phénotype de l’infiltrat tumoral est le plus souvent CD 3+, CD45RO+, CD1- et CD30-. L’analyse génotypique peut trouver un clone T cutané.
Les diagnostics différentiels cliniques regroupent : le psoriasis, le lichen plan, le pseudo-mycosis fongoïde médicamenteux, le syndrome de Sézary, dont l’aspect anatomopathologique est proche de celui du MF érythrodermique. Ce syndrome est écarté dans notre cas sur l’absence d’ectropion, d’alopécie, d’onychodystrophie, et surtout sur l’absence de cellules de Sezary circulantes dans le sang.
Le diagnostic de lèpre est écarté sur l’absence d’hypochromie et d’aspect cuivré de la peau, ainsi que sur les données de l’histologie et l’immunophénotypage.
L’évolution des lésions est indolente sur plusieurs années avec un pronostic qui dépend :
de l’âge de survenue de l’érythrodermie avant 65 ans
d’un délai de plus de 10 ans avant le diagnostic qui s’associe à un pronostic favorable
du stade TNM de la maladie; le stade III a un meilleur pronostic que le stade IV, avec une moyenne de survie estimée à 5 ans
de l’existence ou non d’envahissement sanguin ; le MF érythrodermique a un meilleur pronostic que le syndrome de Sézary.
Le traitement du MF érythrodermique rejoint celui du syndrome de Sézary. Le méthotrexate, le chlorambucil et la prednisone combinée à l’interféron peuvent être proposés, voire la photo chimiothérapie extracorporelle et en cas d’échec, une polychimiothérapie.
CONCLUSION
Le MF érythrodermique est la forme de présentation clinique la plus fréquente des mycosis fongoïdes sur peau pigmentée; cependant, elle peut prêter à confusion avec d’autres pathologies notamment la lèpre, qui est endémique en Afrique, d’où l’intérêt d’une étude anatomopathologique et immunologique pour poser un diagnostic précoce et assurer une meilleure prise en charge.
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