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Profession, Société

Publié le 18 sep 2024Lecture 9 min

Démographie médicale en dermatologie

Isabelle LE HIR-GARREAU, Rennes

La dermatologie est aujourd’hui « au bord du précipice ». La difficulté d’accès aux soins, les retards de diagnostics qui en découlent sont intrinsèquement liés à la démographie médicale, qui s’est vue considérablement réduite avec l’instauration en 1972 d’un numerus clausus. Cette situation est-elle en passe de changer ? Un point sur la situation en France en 2024.

Dans le journal Le Monde du 11 mars 2023 était publiée «La dermatologie est au bord du précipice», une tribune signée par un collectif d’associations de malades et différentes instances de notre spécialité souhaitant alerter sur la situation catastrophique de la dermatologie. Ces derniers pointaient conjointement les difficultés d’accès aux soins pour les malades, qui entraînent des retards de diagnostics mais aussi des pertes de chance, et leur lien évident avec la démographie médicale. Cette situation est d’abord le résultat de la mise en place d’un numerus clausus en 1972, puis son renforcement dès 1979 (7 850 places au concours de 1re année) et de la diminution drastique du nombre d’étudiants réussissant le concours de 1re année dans les années 1990 (entre 3 500 et 3 750). Il a ensuite fallu attendre 30 ans, et l’année 2009, pour que le nombre des étudiants admis rejoigne celui de 1979 puis la mise en place en 2020 du numerus apertus, avec 10 800 étudiants entrés en 2e année en 2024, pour que les chiffres remontent. Rappelons ici que depuis 1979 la France a gagné 15 millions d’habitants et que l’espérance de vie a augmenté de plus de 8 ans.   ÉTAT DES LIEUX EN 2024   Avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle procédure au 1er janvier 2023 autorisant des médecins d’autres spécialités déjà en exercice (donc spécialités également déficitaires, puisque toutes les spécialités le sont) à faire une seconde spécialité, on note (enfin) une discrète augmentation des effectifs. Il faut, pour y être autorisé, que le candidat remplisse un dossier avant le 30 avril. Après examen de son dossier et de sa motivation, il pourra ou non être autorisé par la commission régionale du DES à reprendre des études en 3e cycle pour un cycle complet d’internat dans la nouvelle spécialité choisie. Ainsi, 113 postes (90 en 2019) d’internes – dont 3 en contrat d’engagement de service public (CESP) et 10 postes de deuxième DES (5 en 2023) – ont été comptabilisés en 2023. Le nombre de postes d’internes reste toutefois bien en deçà des 125 réclamés depuis de nombreuses années, et les pouvoirs publics n’ont pas pris en considération notre spécialité. Les dermatologues traitent de nombreuses pathologies (plus de 6000 maladies dermatologiques) et sont ceux qui dépistent le plus de cancers, puisque les cancers cutanés sont les cancers les plus fréquents. Le mélanome, potentiellement mortel et en constante augmentation, est le 6e cancer le plus fréquent.   Combien sommes-nous ? Pour la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), nous étions 3 729 en 2023, soit 8,8 % de moins qu’en 2013 (4 087). Le Conseil national de l’Ordre des médecins qui centralise sans doublon les médecins de chaque spécialité a permis le recueil d’informations plus détaillées. En cohérence avec la DRESS, le CNOM recense 3 760 dermatologues en 2023, soit 8,6 % de moins qu’en 2013 (4 117), avec un sex-ratio de 74 % pour les femmes et de 26 % pour les hommes. À noter qu’en dessous de 50 ans, il y a 88 % de femmes. Nous nous divisons principalement en libéraux dits «en activité» (exclusifs ou mixtes) et en salariés (hospitaliers et autres), répartis comme suit : 56,6 % de libéraux exclusifs (2 130), 16,8 % de libéraux mixtes (630), 20,5 % de salariés hospitaliers (769) et 6 % d’autres salariés (231). On dénombre également : – des dermatologues en arrêt temporaire : 62 en 2023 (53 en 2013); – des « intermittents » (en activité non régulière) : 255 en 2023 (189 en 2013), dont les remplaçants (197 en 2023, 157 en 2013) et des retraités actifs en activité intermittente ; – des libéraux (exclusifs et mixtes) : leur nombre a chuté de 14,6 % entre 2013 et 2023, avec un nombre de 2 760, tandis que les salariés (hospitaliers et autres) ont augmenté de 43,5 % atteignant les 1000.   Quelles tranches d’âge ? Les trois figures de tranches d’âge (figures 1A, 1B, 1C) permettent de mieux cerner les tendances à venir. Figure 1. Répartition des dermatologies libéraux selon les tranches d’âge. A. Dermatologues libéraux ; B. Salariés hospitaliers ; C. Autres salariés.   • La quasi-égalité dans la tranche «moins de 40 ans ». Cette quasi-égalité entre les médecins libéraux (496) et les médecins salariés (456) montre l’attrait des plus jeunes vers le salariat. En 2022, le nombre de nouveaux praticiens hospitaliers (PH) admis sur liste d’aptitude en dermatologie a été de 51 et de 39 en 2023, soit 90 jeunes PH pour ces deux ans correspondant à une année de postes d’internes de dermatologie (source CNG). • L’effondrement chez les libéraux de la tranche des 40-59 ans. On note pour les libéraux exclusifs (1 746 en 2013 et 796 en 2023) une chute de 54 % et une baisse de 38,4 % pour ceux en exercice mixte (443 en 2013 et 273 en 2023). Ainsi les dermatologues nés entre 1971 et 1979, qui ont donc été reçus lors des années les plus faibles du numerus clausus, sont en moyenne de 45 par année de naissance installés en libéral. • La majoration importante des 60 ans et plus. C’est devenu la tranche majoritaire, représentant 43,3 % des dermatologues libéraux (1 195 contre 809 en 2013). La tendance est la même chez les salariés hospitaliers (135 contre 52 en 2013) et chez les autres salariés (148 contre 53 en 2013). Au total, environ 40 % des dermatologues en activité ont plus de 60 ans. Ce chiffre est également corrélé à la majoration du cumul emploi-retraite (CER) et à l’augmentation du nombre de retraités actifs (libéraux et salariés), passant de 264 en 2013 à 528 en 2023, soit une hausse de+100 %. Il n’existe en effet pas de limite d’âge à l’exercice professionnel en libéral, et, depuis la loi no 2023-1268 du 27 décembre 2023, le CER est également possible dans les établissements publics de santé et les centres de santé gérés par les collectivités territoriales, jusqu’à l’âge de 75 ans à titre transitoire et jusqu’au 31 décembre 2035 (avant 72 ans depuis le 23 décembre 2022). En libéral, les dermatologues nés en 1957,1958 et 1959, comprenant de nombreux titulaires du Certificat d’études spécialisées (CES) (supprimé par décret fin décembre 1982 mais s’appliquant jusqu’en 1985, date de suppression définitive [NDR]) sont en moyenne 110. Ce nombre est largement supérieur à toutes les autres années de naissance des dermatologues libéraux affiliés à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), allant de 1996 à 1928 (à comparer avec ceux nés entre 1971 et 1979). Ces trois années représentent 12,4 % de l’ensemble des dermatologues libéraux. Or, c’est également l’âge habituel de la radiation de la CARMF pour retraite, avec arrêt d’activité pour certains et poursuite pour d’autres en CER, radiation dont l’âge moyen était de 66,61 ans entre le 1er juillet 2022 et le 30 juin 2023.   Les libéraux Selon la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), et d’après l’application Data ameli pour les professionnels de santé*, accessible à tous, on note une diminution de 20 % en 10 ans. En effet, il y avait 3 122 dermatologues installés en libéral en 2014 contre 2 498 au 1er mars 2024 (figure 2). Figure 2. Nombre de dermatologues (cabinets principaux) en activité en France au 1er mars 2024. (source : ERASME Régional).   Au 1er janvier 2024, La Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) comptait 2 660 médecins affiliés, dont les remplaçants, soit 15,6 % en CER, et un âge moyen de 55 ans (60,62 ans pour les hommes et 53 ans pour les femmes). Concernant les tranches d’âge : 18 % moins de 40 ans, 24,5 % de 40 à 54 ans (15 années), 28,6 % de 55 à 64 ans (10 années) et 28,5 % de 65 à plus (jusqu’à 96 ans). Les régions d’exercice sont détaillées dans le tableau 1 et les entrants-sortants dans le tableau 2.   PERSPECTIVES   Concernant les libéraux, la diminution moyenne du nombre d’affiliés à la CARMF est de l’ordre de 2 %. Dans cette hypothèse, en 2035, il restera 2 000 dermatologues installés en libéral. Cependant, les trois années les plus représentées (1957, 1958 et 1959) concernent des médecins en âge de prendre leur retraite. D’après un document du 8 janvier 2024 de l’ARS, l’objectif national en 2032 est que le nombre de postes d’internes jusqu’en 2027-2028 soit défini et qu’il reste à 113 par an afin que, en 2032, le renouvellement soit de 60 % des dermatologues de plus de 55 ans. Or, 57,1 % des libéraux se trouvent actuellement dans cette tranche d’âge. Ainsi, il est plus probable que ce soit déjà 2032 soit 3 ans qu’il restera seulement 2 000 dermatologues libéraux installés en France. Pour les PH, leur moyenne d’âge est de 46 ans donc l’impact sera moindre. Le CER – dont l’âge moyen en libéral est de 72,22 ans – augmentera-t-il encore dans notre spécialité sachant qu’il est déjà supérieur à la moyenne des médecins (+11 %), toutes spécialités confondues ? Atteindrons-nous les sommets des psychiatres avec 27 % de CER ? À noter que notre spécialité est à majorité féminine et que le CER reste un choix à majorité masculine, y compris proportionnellement dans notre spécialité actuellement. De plus, il est à noter que les assureurs à partir de 70 ans ne proposent plus d’assurance prévoyance. Passé cet âge, un arrêt maladie est donc une source d’inquiétude financière. La tendance au salariat va-t-elle encore s’accroître pour correspondre aux aspirations des plus jeunes, dont le nombre a doublé en 10 ans, mais qui représentent actuellement moins de 25 % des dermatologues en activité (somme des libéraux et salariés) ?   EN CONCLUSION   Il va encore, pour plusieurs années, falloir faire plus avec moins de dermatologues. Le nombre de postes en pratique hospitalière s’est accru, mais les difficultés budgétaires augurent un ralentissement du nombre de postes. Le salariat privé va probablement se développer. Pour les libéraux, la diminution est actée de façon très importante. Dans les cabinets libéraux, les outils informatiques (logiciels plus performants, apport d’intelligence artificielle) sont bien sûr une aide, tout comme une meilleure formation des collaborateurs non-médecins (assistants médicaux et infirmiers). Mais ces apports se heurtent aux difficultés matérielles liées à la non-revalorisation de nos actes et aux augmentations des charges, aux difficultés d’accès à des locaux bien adaptés aux normes handicapées ERP (rares et chers), difficilement réalisables pour nombre d’entre nous en secteur 1 (50 % des dermatologues) et en secteur 2 Optam (15 %). Les réseaux libéraux et hospitaliers de télé-expertise, notamment via les plates-formes type Omnidoc, et la création d’équipes de soins spécialisés (déjà existantes en Île-de-France et en Bretagne) sont en train de prendre forme avec un déploiement de plus en plus important dans toutes les régions de France, comme cela a été exposé lors des Journées nationales et provinciales de dermatologie 2024 à Brest (JNPD). C’est une façon d’essayer d’être le plus réactif possible pour pouvoir faire le tri et répondre aux demandes, notamment celles des généralistes pour les patients ayant le plus besoin d’être pris en charge rapidement. Les relations ville-hôpital sont à renforcer encore et l’accueil des jeunes internes en fin de formation y contribue. C’est une source de meilleure compréhension des aspirations des plus jeunes et de partage enrichissant pour tous afin de faire mieux connaître le monde libéral. La formation de généralistes est aussi primordiale : initiation à la dermatologie renforcée pour les pathologies courantes, initiation à la dermoscopie. Il est cependant important de reconnaître la difficulté de la dermoscopie, car, malgré un exercice pluri-quotidien et notre participation à des formations, nous nous rendons compte que cela est difficile. De plus, sans une bonne connaissance de la sémiologie clinique associée, ce qui ne peut s’acquérir en quelques heures, il n’y a pas de bon «dermoscopiste ». Les généralistes étant déjà bien souvent en souffrance, parce qu’ils doivent assumer un rôle pivot pour de très nombreuses spécialités d’organe. Enfin, toutes ces initiatives, bien qu’associées à une bonne volonté, ne sont pas clairement reconnues par nos tutelles qui préfèrent nous comptabiliser en un nombre global, assez souvent réduit à la minorité esthétique de nos pratiques. Les politiques ignorent également les efforts des plus âgés qui soutiennent, du fait de leur nombre, la pérennité de notre discipline. À titre d’exemple, 25 % des dermatologues libéraux d’Île-de-France sont en CER. Il est donc urgent de faire remonter à nos autorités via les ARS que sans augmentation notable du nombre d’internes (150 plutôt que 125 par an), il n’y aura pas dans les 5 ans à venir un maintien du niveau de prise en charge dans notre spécialité et que tous les dermatologues n’iront pas en CER. Les professionnels de santé sont pour beaucoup en souffrance. 47,9 % des dermatologues présentant des signes de burn-out, et les dermatologues des années 2020 ne sont pas ceux des années 1950. Il est aussi absolument vital de permettre aux professionnels en libéral d’avoir les moyens financiers nécessaires à un exercice serein. Sans cela, le risque est fort que certains praticiens en secteur 1 se voient contraints d’abandonner des actes pour lesquels ils perdent désormais de l’argent (la chirurgie dermatologique notamment) pour des actes plus rémunérateurs hors nomenclature et que le salariat poursuive son ascension avec une disparition du monde libéral.   * https://data.ameli.fr/pages/ data-professionnels-santeliberaux/

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