Publié le 15 juil 2012Lecture 7 min
Dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand : à propos de deux observartions
F.Z. LAMCHAHAB, B. HASSAM, L. BENZEKRI, Service de dermatologie-vénéréologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc
Le dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand ou Dermatofibrosarcoma protuberans représente moins de 0,1 % des tumeurs cutanées malignes (1). C’est une tumeur fibreuse intradermique à développement lent, caractérisée par une grande tendance à la récidive locale (2). Elle a été décrite pour la première fois par Jean Darier et Marcel Ferrand en 1924, et en 1925 par Hoffman, qu’il dénomma « dermatofibrosarcome protubérant » (3). Depuis, des centaines de cas ont été décrits dans la littérature. Nous rapportons deux observations témoignant de la diversité clinique de cette tumeur.
Illustration/figure 1 : Nodule du bras gauche. Observation n°1 Une patiente âgée de 19 ans, sans antécédents pathologiques notables, est admise dans notre service pour une lésion nodulaire au niveau du bras gauche évoluant depuis 1 an. L’examen clinique note la présence d’une lésion nodulaire unique mesurant 3 cm, de consistance dure, inflammatoire, à base infiltrée, mobile par rapport au plan profond (figure 1). Le reste de l’examen physique est sans anomalie. L’histologie de la lésion est en faveur d’un dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand (DFSP) avec la présence d’une formation tumorale sous-cutanée, soulevant et ulcérant l’épiderme en surface, de densité cellulaire élevée. Figure 2. Histologie cutanée confirmant le diagnostic de dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand pour la patiente n°1. Elle était constituée de cellules fusiformes disposées en trousseaux, réalisant fréquemment un aspect en spirale (figure 2). Les cellules avaient des noyaux hyperchromatiques assez irréguliers. Les mitoses sont rares. Les cellules tumorales exprimaient le CD34. La patiente a bénéficié d’une exérèse large avec des marges de 3 cm suivie d’une greffe cutanée. Observation n°2 Le deuxième patient, âgé de 47 ans, suivi pour une psychose maniacodépressive, est admis dans le service pour une tumeur ulcéro-bourgeonnante géante de l’avant-bras gauche, évoluant depuis 3 ans et augmentant progressivement de volume. Figure 3. Tumeur ulcéro-bourgeonnante de l’avant-bras. Cette tumeur en chou-fleur mesure 15 cm de grand axe et siège au niveau de la face antéro-interne de l’avant-bras gauche (figure 3). L’examen histologique de la biopsie cutanée révèle une prolifération tumorale de densité cellulaire élevée, faite de cellules fusiformes aux noyaux irréguliers hyperchromatiques, portant un nucléole parfois proéminent avec présence de quelques figures de mitoses. Ces cellules ont une disposition storiforme et s’agencent parfois en faisceaux courts entrecroisés. Cet aspect histologique est en faveur d’un DFSP (figure 4). Les cellules tumorales exprimaient le CD34. Figure 4. Histologie cutanée confirmant le diagnostic de DSFP pour le patient n°2. Le patient a bénéficié d’une exérèse chirurgicale large avec des marges d’exérèse de 5 cm, mais vu l’importance de la perte de substance, une cicatrisation dirigée a été réalisée reliée par une greffe cutanée. Discussion Le dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand est un sarcome cutané rare d’évolution lente. Il est d’étiologie inconnue, mais des anomalies génétiques et des traumatismes répétés ainsi qu’un développement sur des cicatrices (brûlures) semblent être à l’origine de cette tumeur (4). • Susceptibilité génétique ? Des études génétiques ont permis d’identifier une anomalie chromosomique translocation réciproque t (17:22) (q22:q13), responsable de la création d’un gène de fusion COL1A1/PDGFB, susceptiblement oncogène. La cellule produit alors un signal de croissance auto-stimulation, qui à son tour conduit à la division cellulaire incontrôlée et au développement de la tumeur. Bien qu’historiquement le DFSP ait été attribué à une origine fibroblastique, des études immunohistochimiques récentes ont suggéré qu’il dérive des cellules dendritiques dans la peau (5). • Épidémiologie. Il s’agit d’une tumeur cutanée rare à malignité locale, touchant essentiellement l’adulte jeune. Son incidence, estimée à 0,8-5 cas/million d’habitants/ an, est plus fréquente chez les sujets à phototype foncé. Les hommes sont plus atteints que les femmes. L’âge de prédilection se situe entre 20 et 50 ans(2). Néanmoins, des cas pédiatriques ont été rapportés et le DFSP congénital est une entité reconnue, mais extrêmement rare(6). Des cas familiaux ont été également décrits (7). • La lésion siège préférentiellement au niveau du tronc, thorax et l’abdomen et plus rarement à la tête, au cou et aux membres comme dans le cas de nos patients. La taille de la tumeur est variable allant de quelques centimètres à des mensurations monstrueuses atteignant 25 cm (2). • La lésion peut débuter d’emblée sous forme d’un nodule souscutané de petite taille, indolore, érythémateux violacé, dur et infiltré ou par une plaque fibreuse rosée simulant une cicatrice chéloïde sur laquelle apparaît secondairement un nodule, comme dans le cas de la patiente n°1. Ce nodule augmente lentement de volume et de taille, s’entourant de petits nodules satellites, l’ensemble formant une plaque fibreuse fixée à la peau. L’évolution se fait ensuite vers le stade tumoral globuleux, pouvant réaliser une tumeur de plusieurs dizaines de centimètres comme dans le cas du patient n°2 (2,7). Contrairement aux tumeurs du tissu sous-cutané, le DSPF est adhérent à la peau sus-jacente. • L’imagerie par résonance magnétique (IRM) peut être utile, évaluant l’extension locale de la tumeur et montre un signal faible en T1 et plus élevé en T2 (7). • L’histologie met en évidence une double prolifération fibroblastique et fibreuse développée à partir du tissu conjonctif dermique. Il s’agit de cellules fusiformes monomorphes, supposées fibroblastiques, disposées en travées irrégulières, parallèles ou souvent en faisceaux enchevêtrés, adoptant une structure tourbillonnante en rayons de roue donnant un aspect pathognomonique. Sous un épiderme généralement aminci, l’envahissement tumoral en profondeur se fait vers l’hypoderme sous-jacent sous forme de travées fusant vers l’aponévrose, le long des septums interlobulaires, les annexes sans les détruire, le tissu cellulaire graisseux et les vaisseaux. Les mitoses sont rares et régulières. La trame collagène est fibrillaire, abondante, au sein d’une substance PAS positive. Enfin, il n’existe pas de réaction inflammatoire. Les cellules tumorales du dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand expriment presque constamment le CD34 (2,7,8). • Les variantes inhabituelles du DFSP comprennent la tumeur Bednar, avec des cellules contenant la mélanine, myxoïde avec de la mucine au niveau des zones interstitielles, et de type atrophique( 9). • Le diagnostic repose sur les données anamnestiques d’une tumeur lentement évolutive, sur l’aspect clinique et histologique. Les techniques d’immunohistochimie permettent, dans les cas difficiles de confirmer le diagnostic. Pour nos deux patients, le diagnostic de DFSP a été suspecté cliniquement et confirmé sur les données histologiques et immunohistochimiques. • Diagnostic différentiel. L’histologie permet d’écarter essentiellement les tumeurs à cellules géantes, dermatofibrome, une chéloïde, un mélanome malin ou un lymphome. • Le traitement du DFS est principalement chirurgical et comprend une exérèse large à 3 à 5 cm des bords de la tumeur, l’ablation en profondeur de tout le tissu sous-cutané jusqu’au plan musculaire compris(10). Ce traitement entraîne de vastes pertes de substances, imposant à des sujets jeunes des séquelles morphologiques et parfois fonctionnelles importantes pour une tumeur habituellement non métastatique. La réparation de la perte de substance se fait soit par suture directe, greffe de peau ou par lambeau de recouvrement (10). Nos deux patients ont bénéficié d’une exérèse chirurgicale avec des marges importantes (3-5 cm) justifiant une greffe cutanée. La technique de Mohs constitue la technique de référence, surtout pour les tumeurs de petite taille et permet une exérèse complète de la tumeur avec le moins de sacrifice de tissu sain environnant (9). La technique de Tübingen constitue une alternative intéressante et permet de réduire le nombre des coupes histologiques (11). • En complément de la chirurgie, certains auteurs ont utilisé la radiothérapie pour des tumeurs récidivantes (8). • L’imatinib mésylate (Gleevec ®) a été également utilisé dans certains cas avec des résultats encourageants, surtout pour les cas récidivants, métastatiques ou non résécables. Son efficacité serait principalement en rapport avec la présence de la translocation t (17-22) (12). Conclusion Le dermatofibrosarcome de Darier-Ferrand est une tumeur rare, à malignité locale, de bon pronostic et métastasant rarement, mais sa croissance asymétrique et imprévisible et la fréquence des récidives sont à la source de difficultés thérapeutiques (13). Nos deux patients ne présentent pas de récidive avec un recul de 2 ans. Le grand polymorphisme clinique, histologique et évolutif de ce type de sarcome explique le retard diagnostique observé. Son évolution est dotée d’un risque majeur de récidives locales et de métastases du fait de son extension pseudopodique et infraclinique, d’où la nécessité d’une chirurgie d’exérèse large et d’un suivi à long terme.
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