Publié le 04 mai 2014Lecture 10 min
Urticaire : est-ce allergique ?
P. MATHELIER-FUSADE, Hôpital Tenon, Paris
Les urticaires d’origine allergique sont une éventualité relativement rare, mais facile à diagnostiquer cliniquement. En revanche, le diagnostic étiologique, allergique ou non d’une urticaire, bien que déterminant pour la suite de la conduite à tenir, est beaucoup moins aisé.
L’urticaire est une pathologie fréquente : son risque de survenue dans la population générale est estimé à 20 %, formes aiguës et chroniques confondues. L’aspect clinique de l’urticaire est caractéristique, et lorsque les lésions affectent les parties distales du tégument, à savoir le visage, les mains et les pieds, l’urticaire prend un aspect différent avec une composante oedémateuse plus importante (angio-œdème). Il n’est pas rare de retrouver simultanément chez un même patient une urticaire typique sur le corps et un angio-œdème (plus couramment appelé œdème de Quincke) au niveau du visage. Le diagnostic clinique de l’urticaire ne pose en général pas de problème, car l’éruption cutanée est assez caractéristique ; en revanche, la recherche de son étiologie et la prise en charge qui en découle constituent la véritable difficulté. Il faut savoir qu’une éruption urticarienne, même généralisée et s’accompagnant d’angio-œdèmes importants, notamment au niveau du visage ou de la sphère ORL, peut être totalement bénigne, alors qu’une éruption plus modérée mais associée à des signes extracutanéo-muqueux peut avoir une gravité potentielle et doit nous alerter. L’image de l’urticaire est étroitement associée à l’allergie, d’où une crainte pour les patients, mais également pour les praticiens. Cependant, la responsabilité allergique d’une urticaire reste une éventualité rare (5 à 10 % de l’ensemble des urticaires), et la très grande majorité des urticaires ne sont pas d’origine allergique. Cette notion est essentielle pour appréhender l’urticaire avec beaucoup de sérénité, car seules les urticaires allergiques présentent un risque potentiel de gravité, avec évolution possible vers un choc anaphylactique. Physiopathologie Du point de vue physiopathologique, la cellule clé de l’urticaire est le mastocyte. Son activation a schématiquement trois conséquences : – une dégranulation des médiateurs, dont l’histamine ; – une synthèse secondaire de leucotriènes et de prostaglandines ; – une synthèse de cytokines et de chimiokines. À l’échelon tissulaire, l’activation mastocytaire entraîne une vasodilatation (érythème) et un oedème (papule) cliniquement visible. Les mécanismes d’activation des mastocytes peuvent être séparés en « immunologique » et « non immunologique ». Les urticaires dites « immunologiques » Dans cette situation, l’activation mastocytaire implique des effecteurs de l’immunité adaptative, à savoir les anticorps ou les lymphocytes T. L’activation des mastocytes par les IgE (hypersensibilité immédiate de type I) est connue depuis très longtemps et reste prépondérante, mais il existe d’autres mécanismes mis en évidence par des travaux plus récents montrant la possibilité d’activation mastocytaire via des IgG (récepteurs aux IgG/FcεRI), des immuns-complexes circulants, voire des lymphocytes T spécifiques d’antigènes. Dans les réactions allergiques immédiates IgE-médiées, l’activation mastocytaire aboutissant à l’apparition clinique d’une urticaire est liée à la production d’IgE spécifiques et à leur fixation aux récepteurs de forte affinité des IgE (FcεRI) à la surface des mastocytes. Lorsqu’un antigène se présente, celui-ci interagit avec plusieurs IgE fixées à la surface du mastocyte induisant l’agrégation des récepteurs et l’activation des voies de signalisation intracellulaires impliquant de nombreuses enzymes et aboutissant à la dégranulation de la cellule. Cette voie d’activation du mastocyte par le FcεRI est la mieux connue, mais ces urticaires IgE-dépendantes, dites aussi allergiques, ne représentent qu’une minorité des urticaires (urticaires de contact au latex, certaines urticaires médicamenteuses ou alimentaires, urticaire aux piqûres de venins d’hyménoptère, etc.) ; soulignons que le risque anaphylactique n’existe que dans ce cas de figure. Les urticaires non immunologiques (ou non spécifiques d’antigène) Elles représentent la grande majorité des cas. Dans ces situations, l’activation mastocytaire résulte de la stimulation des récepteurs de l’immunité innée. Le mastocyte possède en effet de nombreux récepteurs membranaires capables d’induire directement son activation et sa dégranulation. Ainsi, à la surface du mastocyte, il existe des récepteurs pour certains neuromédiateurs ou neuropeptides (pouvant expliquer des poussées d’urticaire en période de stress), pour les composés du complément (dont C3a et C5a), des toll-like récepteurs (TLR) capables de lier des microorganismes, des récepteurs de chimiokines et de cytokines, des récepteurs stimulés par le froid ou la chaleur, etc. Par ailleurs, plusieurs substances chimiques ou protéines sont capables d’induire directement une activation mastocytaire sans l’action intermédiaire de récepteurs (par exemple : codéine, fraise, etc.). Éléments d’orientation ? Cliniquement, il n’existe pas d’aspect particulier de l’urticaire qui pourrait orienter d’emblée vers un diagnostic d’allergie, c’est-à-dire secondaire à une activation immunologique des mastocytes. Ce qui doit nous orienter vers une urticaire allergique Une urticaire allergique est une urticaire IgE-médiée, donc à risque de réaction plus sévère en cas de nouvelle exposition accidentelle (choc anaphylactique). L’aspect de l’urticaire, sa localisation, son intensité ne permettent pas de faire la différence entre une urticaire aiguë allergique et non allergique. En revanche, l’association de façon concomitante à des signes extra-cutanés à type de gêne respiratoire (asthme), voire d’une simple toux ou des troubles digestifs (douleurs abdominales, vomissements, etc.), une sensation de malaise ou de grande fatigue, notamment chez l’enfant, sont des signes forts pour inclure l’urticaire dans le cadre d’une réaction systémique et donc potentiellement immunologique. Les réactions IgE-dépendantes, notamment les réactions respiratoires allergiques aux pneumallergènes, apparaissent toujours rapidement après le contact avec l’allergène et disparaissent en quelques heures après l’arrêt de l’exposition. Dans l’urticaire allergique, la chronologie des événements est superposable et est évocatrice quand : – le délai entre le contact allergénique et le début des symptômes est inférieur à 1 heure (plus généralement entre 10 et 20 minutes) ; – l’évolution favorable spontanée se fait en quelques heures (6 à 24 heures). N’oublions pas non plus que la synthèse d’anticorps de type IgE contre un allergène ne peut se faire sans contact préalable avec celuici. Ainsi, une urticaire aiguë suite à une piqûre inaugurale de venin ne peut pas être allergique, mais elle peut le devenir si les piqûres se répètent, car il faut toujours une phase de sensibilisation à un allergène avant éventuellement de produire des IgE spécifiques et de provoquer une réaction allergique. Les angio-œdèmes L’angio-œdème, qui est une urticaire profonde se localisant plus volontiers dans les zones où le tissu sous-cutané est plus lâche, comme les paupières, les lèvres, les muqueuses ORL ou encore les organes génitaux externes, est souvent perçu comme un signe de gravité. Mais il n’oriente pas pour autant vers une étiologie particulière et ne présente pas de réel risque si celui-ci s’inscrit dans le cadre d’une urticaire chronique (urticaire ayant plus de 6 semaines d’évolution). Il est classiquement admis dans ce cadre que 20 % des patients présentent une urticaire profonde isolée, 40 % une urticaire simple (dite par contraste superficielle), les derniers 40 % alliant les deux formes, superficielle et profonde. Il faut cependant, en cas d’angio-œdèmes isolés (sans urticaire associée), toujours évoquer la possibilité d’un angio-œdème bradykinique, et retenir que généralement ce dernier évolue sur plusieurs jours (3-5 jours), alors qu’un angio-œdème « histaminique » ira vers une amélioration spontanée en quelques heures, au maximum 24-48 heures. Conduite à tenir En pratique, c’est très souvent l’interrogatoire qui permet de poser les bases du diagnostic. Une fois le diagnostic clinique d’urticaire confirmé, il faut faire préciser s’il s’agit d’un premier épisode ou non. S’il ne s’agit pas du premier épisode, il faut se renseigner sur la durée de chaque épisode, car les urticaires aiguës allergiques évoluent toujours sur quelques heures avec une tendance à l’aggravation du tableau clinique extra-cutané. Cette question permet donc de différencier les urticaires aiguës potentiellement allergiques des urticaires subaiguës ou chroniques non allergiques. S’il s’agit du premier épisode, il faut faire préciser : – la durée de la crise (< 24 heures ?) ; – les aliments ou médicaments ingérés dans l’heure précédant le début des symptômes ; – l’association potentielle à d’autres signes cliniques (troubles digestifs, respiratoires, cardiovasculaires concomitants), qui sont autant de signes d’emblée évocateurs d’anaphylaxie. En effet, les urticaires allergiques IgE-dépendantes (donc à risque ultérieur de réaction anaphylactique plus préoccupante) sont toutes des urticaires aiguës apparues dans l’heure suivant un contact allergénique (aliment, médicament, piqûre de venin d’hyménoptère) et résolutives spontanément en moins de 24 heures. Il est donc important de rechercher des arguments à l’interrogatoire en ce sens afin de procéder ultérieurement à une exploration allergologique. Une urticaire qui persiste plusieurs jours, même si un allergène potentiel a été introduit dans l’heure précédant le début de l’éruption, ne peut être d’origine allergique. Rappelons néanmoins que toutes les urticaires aiguës survenues dans l’heure suivant l’introduction d’un allergène potentiel, évoluant sur moins de 24 heures, ne sont pas d’origine allergique ! L’exception à la règle est l’anaphylaxie induite par l’effort, dont le facteur déclenchant peut être un aliment. Dans ce cas, c’est l’association d’un aliment consommé jusqu’à 4 heures avant l’effort physique et d’un effort prolongé qui provoque la réaction cutanée. Les signes cutanés sont cependant rarement isolés (gêne respiratoire, malaise). Le mécanisme IgE-dépendant est révélé par l’effort (en dehors de ce contexte, l’aliment responsable peut être consommé sans problème). S’il s’agit d’une urticaire présente depuis plus de 6 semaines, le diagnostic d’urticaire chronique est posé et donc l’exploration allergologique est inutile car constamment négative. Dans ce contexte, il n’existe pas de risque d’anaphylaxie et donc pas de crainte de la survenue d’un choc anaphylactique, même en cas d’œdèmes importants de la sphère ORL associés. Rappelons que l’urticaire chronique n’est pas une maladie allergique mais une maladie chronique de la peau à part entière (comparable à du psoriasis) qui est liée davantage à une fragilité particulière des mastocytes qui dégranulent spontanément ou secondairement à des stimuli non spécifiques (infections, prise d’AINS, stress, etc.). Conclusion Face à une urticaire, un interrogatoire simple permet souvent en quelques secondes d’évoquer ou non une hypothèse allergique. Ces quelques questions permettront en effet soit de rassurer le patient, notamment en cas d’urticaire chronique, soit plus rarement de l’orienter pour que soit réalisé un bilan allergologique qui confirmera ou non le diagnostic et aboutira potentiellement à des mesures d’éviction, de prévention et à un traitement adapté.
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