Publié le 04 jan 2015Lecture 10 min
Les faux-semblants de la Dermatitis artefacta
A. HAROCHE, Paris
Rien n’est plus difficile pour un dermatologue que d’affirmer le caractère factice d’une dermatose. Entre suspicion et certitude, la démarche doit prendre en compte les motivations du patient, la conscience qu’il pourrait avoir de ses actes, l’impact éventuel d’un contexte psychiatrique. C’est dans le cadre d’une relation médecin-malade particulière qu’il doit formuler ce diagnostic singulier de Dermatitis artefacta (ou pathomimie cutanée).
La pathomimie cutanée est un trouble dermatologique factice qui correspond à la production par le patient luimême de lésions cutanées, pour lesquelles il vient consulter le clinicien, apparemment dans le but d’obtenir une explication médicale à ces manifestations. La pathomimie (ou Dermatitis artefacta) se différencie de la simulation en ce que le patient n’a pas conscience des raisons qui conduisent à la production des lésions. Ainsi, le simulateur provoque des lésions dans un but utilitaire connu de lui-même et se révélant souvent facilement : il s’agit, par exemple, du soldat qui veut éviter de partir au front, ou de tout autre fraudeur qui espère obtenir une compensation. À l’inverse, les « motivations » du patient souffrant d’une pathomimie cutanée, bien qu’il puisse certainement en tirer une satisfaction indirecte, restent inconnues de lui-même et du médecin. Par ailleurs, le patient garde les praticiens dans l’ignorance du caractère auto-infligé des lésions présentées, avec la volonté d’apparaître comme un malade habituel, à la recherche d’un diagnostic et d’un traitement. C’est ainsi que la pathomimie diffère d’autres types de lésions autoinfligées, tels que la trichotillomanie, ou encore les excoriations psychogènes que le sujet décrit comme auto-infligées et demande un traitement auprès du dermatologue ou du psychiatre. Il faut également exclure les mutilations cutanées dans le cadre d’un délire. Proche du syndrome de Münchausen (figure 1), la pathomimie cutanée peut parfois en être l’expression dermatologique. Le patient, souvent lié au milieu médical, se présente alors avec un ensemble de symptômes factices. Une partie de ceux-ci peuvent être cutanés. Le patient allègue souffrir d’une pathologie souvent rarissime et est demandeur de nombreux examens et traitements invasifs. Le propos du malade présentant une pathomimie cutanée est donc souvent plus restreint, ne comportant pas cette dimension de mythomanie. Figure 1. Le baron de Münchausen : sa propension aux affabulations a fait attribuer son patronyme à un syndrome proche de la pathomimie. La pathomimie cutanée est une pathologie rare, qui met le médecin dans une situation inédite. Le patient en sait plus que le médecin. Si l’on peut comparer la recherche diagnostique à une enquête, celle menant à ce diagnostic est singulière, car la victime qui est son propre agresseur nous en cache les indices. Quand soupçonner une pathomimie cutanée ? Le diagnostic de certitude est rarement obtenu. Le flagrant délit ou la confrontation sont considérés comme délétères pour la relation médecin-patient et surtout pour l’évolution des lésions. Il doit être posé avec une grande prudence, et le temps permet parfois de redresser le diagnostic au profit de pathologies rares ou de présentation inhabituelle. Pour rajouter un degré de complexité, le « pathomime » peut parfois aggraver ou empêcher la guérison de lésions préexistantes. Les troubles factices seraient à l’origine d’environ 5 % des consultations médicales. La prévalence de la Dermatitis artefacta en particulier est inconnue. Elle toucherait plus fréquemment les femmes (3 femmes pour 1 homme), jeunes et de bas niveaux sociaux et culturels. Un lien avec le milieu médical est souvent retrouvé. Des lésions trop géométriques sur des zones accessibles Tout élément inhabituel doit faire évoquer une pathomimie, en particulier lorsque apparaît une discordance entre les explications apportées par le patient et les lésions constatables. Le discours du patient est volontiers creux, peu informatif. Plus que la lésion en elle-même, c’est sa forme, sa localisation et l’évolution qui doivent alerter le clinicien. L’expérience et le bon sens du clinicien permettent d’identifier comme factices des manifestations qui ne pourraient être rattachées à aucune pathologie connue. Ainsi, des lésions trop géométriques (figure 2) peuvent faire évoquer l’utilisation d’un instrument (par exemple la forme triangulaire suggérant le recours à l’extrémité d’un fer à repasser). Des « traînées » linéaires ou annulaires sur la peau peuvent laisser suspecter les éclaboussures d’un produit chimique. Les manifestations sont localisées dans les zones le plus facilement accessibles, telles que le visage, le cuir chevelu ou les parties génitales. Et l’on constate que les lésions sont préférentiellement situées du côté le plus facilement atteint par la main dominante (à droite pour un droitier et inversement). Figure 2. Lésions des jambes circulaires chez une jeune femme. Le polymorphisme de la pathomimie cutanée n’est limité que par l’imagination des patients. Les moyens les plus variés sont utilisés pour s’infliger des lésions plus ou moins destructrices (figure 3). Les excoriations à coup d’ongle ou d’objets contondants en sont le type le plus fréquent. Des érosions, ulcères, escarres, hématomes, macules pigmentées, dermatites irritatives, lésions cicatricielles, bulleuses, etc. sont souvent retrouvés. Un exemple de pathomimie particulière, les chéilites factices issues de l’irritation des lèvres et leur mordillage, également appelées « tic des lèvres ». Figure 3. Brûlures de cigarette auto-infligées. En réalité, l’analyse de l’évolution apporte souvent des indices précieux, et éclaire en partie la physiopathologie des troubles. Les lésions apparaissent en effet en réaction à une période de stress, décès d’un proche, changement d’emploi, etc. La localisation et la survenue des prochaines lésions sont parfois prophétisées par le patient. Autre argument évolutif majeur : l’amélioration lorsque le malade n’a plus accès aux agents utilisés, ou que la peau est inaccessible. Ainsi, la mise en place d’un pansement occlusif peut aboutir à l’amendement des lésions. Rechercher un contexte psychiatrique La question de savoir si la présentation clinique psychiatrique des patients peut orienter vers une pathomimie est plus délicate. Il ne faut pas supposer a priori le caractère factice des lésions lorsque des antécédents psychiatriques sont rapportés, ou que le patient est « bizarre ». Dans un but diagnostique aussi bien que thérapeutique, il faut rechercher des arguments en faveur d’un épisode dépressif actuel, dont l’expression pourrait être l’auto-agressivité. Ainsi, une rupture avec l’état antérieur, l’expression d’une tristesse de l’humeur, des troubles du sommeil, de l’appétit et d’autres signes dépressifs orientent vers un épisode thymique. De même que des symptômes de « somatisation », tels que des douleurs inexpliquées ou encore des symptômes neurologiques fonctionnels. Bien entendu, un patient exprimant ainsi sa souffrance psychique, de façon à la fois aussi dissimulée et affichée, n’est pas un patient comme les autres. Il souffre durablement de modalités relationnelles pathologiques. En clair, la plupart souffrent d’un trouble de personnalité. Le trouble le plus fréquent est « l’état limite » ou trouble borderline. Considéré classiquement comme une pathologie frontière à la « limite » de la névrose et de la psychose, il est caractérisé par un mal-être chronique (souvent décrit comme un « sentiment de vide »). On retrouve une impulsivité, des conduites auto-agressives, voire suicidaires, une labilité émotionnelle. La peau est souvent le terrain de prédilection de l’expression de la souffrance de ces patients, chez qui les scarifications sont très souvent décrites. La « limite » dont il est question, est également celle de son propre corps. La sensation de ses limites, de sa peau, correspond à une quantité formidable de données, avec lesquelles nous nous familiarisons dès les premiers instants de la vie. Elle est indissociable de la formation de notre mode de relation au monde, c’est-à-dire de notre personnalité. C’est par la peau que nous apprenons l’existence de l’autre, c’est-à-dire la différence qu’il y a entre soi et l’autre. Lorsque l’investissement de ces limites se fait initialement de façon pathologique, la relation au monde en est durablement bouleversée. Ces patients ont fréquemment des relations interpersonnelles chaotiques, instables, marquées par une ambivalence, et la succession d’idéalisations excessives et de rejets inexpliqués. On retrouve fréquemment dans leur histoire une carence affective, un abandon, voire une maltraitance sexuelle. On comprend facilement que la peau soit le lieu d’expression de la douleur morale. Mais pour le patient pathomime, le secret posé sur ces lésions, qui marque l’ambivalence des sujets souffrant d’un tel trouble, biaise la relation médecin-patient. Ce secret corrompt ce que le patient voudrait rechercher, c’est-à-dire l’attention, l’empathie, voire l’affection du praticien. Cette recherche est un échec, et il faut bien avouer que ces patients sont souvent difficiles à « apprécier ». Ils placent le praticien devant un problème insoluble, où les données sont inconnues. L’ambivalence et l’instabilité vont particulièrement toucher la relation médecin-patient, que ce dernier a tant de peine à aborder simplement. Le secret, au centre de la question de la pathomimie, pourrait aussi avoir une autre dimension. La production des symptômes peut être un secret également pour le patient. On sait en effet que les personnes souffrant de certains troubles de personnalité (comme l’hystérie, ou l’état limite), sont plus fréquemment sujets à des « états dissociatifs », c’est-à-dire des états modifiés de la conscience (comparables à un état d’hypnose). C’est ainsi par exemple, qu’après des catastrophes, ou après une agression, certains se retrouvent, « déconnectés » du monde pendant plusieurs heures ou jours. On comprend le rôle protecteur pour l’organisme, qui « scotomise » l’événement stressant, l’annihile au moins temporairement. On pourrait supposer que chez certains les lésions soient produites au cours de tels états, en réponse à un stress extérieur, ou un conflit psychique intérieur, conscient ou non. Le patient demeurerait alors également ignorant de la nature factice du trouble. Une prise en charge pluridisciplinaire La pathomimie est donc le symptôme d’une communication erronée entre le médecin et son patient. La qualité de la relation que le clinicien lie avec le patient est primordiale dans le traitement. Le soin somatique apporté est le garant d’une relation de confiance, qui permettra dans un second temps d’aborder la question psychologique. La dissimulation du caractère factice des lésions ne doit pas être abordée frontalement. Être attentif aux symptômes dépressifs permet au patient de sentir l’intérêt que le dermatologue, souvent en première ligne, porte à son bien-être. C’est une façon pour le malade d’accepter la consultation avec un psychiatre. Cette étape délicate permettra par la suite une prise en charge pluridisciplinaire indispensable. Sur le plan psychiatrique, la prise en charge médicamenteuse d’une éventuelle dépression est souvent nécessaire. D’autres traitements médicamenteux, notamment les antipsychotiques atypiques, peuvent apporter une aide dans certaines dimensions des troubles de personnalité, tels que la labilité émotionnelle, ou l’impulsivité. Mais là encore, c’est la qualité de l’écoute, la position bienveillante, ainsi que la prise en charge psychothérapeutique qui doit être associée qui permettront l’amendement des lésions. Le traitement dermatologique des lésions n’est pas spécifique. Il est souvent mis en échec par le patient, et l’évolution est faite de rechutes au gré d’événements de vie stressants. Le pansement occlusif permet d’aider à la cicatrisation des lésions. « Je ne sais pas ce que vous avez, mais vous en souffrez » Pour conclure, rappelons que le trouble factice n’en est parfois pas un. Ahmad et Ramsay rapportent dans Clinical and Experimental Dermatology un cas d’excoriations cutanées du visage uniquement situées du côté droit, considéré initialement comme une pathomimie. Le diagnostic de syndrome trophique du trijumeau droit a finalement été posé 6 mois plus tard. Le diagnostic de pathomimie est ainsi presque toujours incertain. Au-delà de l’anecdote, une position d’humilité vis-à-vis de la cause des lésions, face au patient apparemment en demande d’explications, lui permet d’envisager la prise en charge psychiatrique pour soulager les conséquences psychologiques de sa pathologie, qu’elle soit factice ou non.
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