Publié le 20 jan 2016Lecture 9 min
Les dermatoses des sportifs : quand sport et peau ne font pas bon ménage
E. ESTÈVE, Service de dermatologie, CHR d'Orléans
La peau est un organe sollicité par la plupart des activités sportives. De ce fait, les dermatoses dues au sport sont fréquentes et variées. Elles doivent être connues par le dermatologue, car il existe un risque de retard diagnostique pouvant être à l’origine de complications pour le sportif, ou d’épidémies pour les structures sportives concernées. Elles sont la plupart du temps bénignes, mais peuvent également entraîner des complications organiques sévères.
Les dermatoses du sport peuvent être très schématiquement classifiées comme suit : dermatoses infectieuses, dermatoses traumatiques, dermatoses environnementales et inflammatoires. Cet article n’est pas une revue exhaustive de la littérature, compte tenu du très grand nombre de dermatoses pouvant être induites par la pratique sportive. Les dermatoses infectieuses Les infections bactériennes La peau normale contrôle sa colonisation microbienne et s’oppose efficacement aux invasions infectieuses. Cette opposition se trouve néanmoins mise en défaut lors de sollicitations particulièrement intenses comme lors de la pratique des sports, avec comme conséquence la transmission d’agents infectieux. • L’impétigo est fréquent dans les sports d’affrontement. Des épidémies d’infections cutanées à staphylocoque méthicilline-résistants ont été décrites dans des sports divers : volleyball, football, basketball (figures 1 et 2). La symptomatologie peut être sévère avec des dermohypodermites et/ou des abcès(1). Dans tous les cas, l’éviction sportive est impérative jusqu’à guérison complète avec un traitement antibiotique adapté. Figure 1. Impétigo (judo). Figure 2. Impétigo (rugby). • Les folliculites à Pseudomonas aeruginosa apparaissent le plus souvent par petites épidémies après un bain dans une piscine, un bain de vapeur ou un bain bouillonnant. Il s’agit d’une éruption généralement folliculaire, papulopustuleuse et prurigineuse, située le plus souvent sur le tronc et la région fessière. L’éruption guérit spontanément en 7 à 14 jours, mais peut récidiver pendant plusieurs mois. Il peut exister des signes d’accompagnement : malaise, fièvre, céphalées, nausées, otite externe, conjonctivite. • L’otite externe est fréquemment observée chez les baigneurs. Les germes en cause sont le staphylocoque doré et le Pseudomonas aeruginosa mais de nombreux autres agents pathogènes peuvent être retrouvés, y compris des agents fongiques. Les infections virales • Les infections à Herpès simplex virus (HSV) ont été rapportées par vagues épidémiques, essentiellement chez les lutteurs (Herpes gladiatorum) et chez les rugbymen (Herpes rugbiorum). Il s’agit habituellement d’une primo-infection herpétique qui est donc le plus souvent symptomatique avec lésions cutanées typiques, une altération de l’état général, de la fièvre et des douleurs. Chez les lutteurs, les lésions sont essentiellement cervico-faciales et prédominent sur l’hémiface droite en raison de la prise de garde. Chez les rugbymen, les lésions sont également le plus souvent cervico-faciales en raison de la mêlée ; l’atteinte auriculaire est donc fréquente. Le traitement repose sur l’éviction sportive des sujets atteints jusqu’à guérison totale, associée aux antiviraux. • Les infections à papillomavirussont fréquentes, entraînant des verrues. L’atmosphère chaude et humide des vestiaires, des douches et des gymnases, associée aux microtraumatismes cutanés, favorise leur survenue et leur extension chez le sportif. Les infections fongiques • Les mycoses des espaces interdigitoplantaires (« pied d’athlète ») sont fréquentes et banales dans tous les sports mettant le pied en occlusion prolongée (figure 3). Elles doivent être traitées car elles peuvent être le point de départ de dermo hypodermites bactériennes. Figure 3. Intertrigo (aïkido). L’essentiel des autres infections fongiques concernent deux sports : la lutte et le judo. EN PRATIQUE Les dermatoses du sport sont fréquentes, variées et polymorphes. Elles dépendent clairement de la typologie du sport pratiqué. Devant une dermatose dont le diagnostic est incertain, la recherche d’une activité sportive doit être recherchée, au même titre que l’activité professionnelle ou ludique. • Pour les trichophyties des lutteurs (Tinea corporis gladiatorum), la publication princeps date de 1966 : trente cas de trichophyties cutanées avaient été observés chez des lutteurs à Stockholm, en Suède, en 1963 et 1964. Par la suite, des épidémies sporadiques ont été rapportées un peu partout dans le monde, souvent aux États-Unis. Les lésions siègent par ordre décroissant de fréquence sur la région cervicofaciale, les membres supérieurs, le tronc et les membres inférieurs. Elles prennent inconstamment l’aspect annulaire et squameux typique des dermatophyties cutanées, en raison des traumatismes cutanés générés par les frottements. • L’apparition des trichophyties dans le judo est une donnée récente, remontant à 2004, au Japon. Une série française comprenant 74 cas de Tinea corporis gladiatorum, dont 51 confirmés mycologiquement, observés durant l’année scolaire 2004-2005 sur le pôle France d’Orléans, a permis d’en préciser les caractéristiques cliniques et épidémiologiques (figures 4 à 6). Les aspects cliniques correspondaient à ceux observés chez les lutteurs avec de fréquents aspects atypiques(2). La topographie n’était pas superposable à celle observée chez les lutteurs : si de nombreuses lésions étaient observées sur la région cervico-faciale, le site le plus fréquemment atteint était les avant-bras. L’agent pathogène concerné est Trichophyton tonsurans et il existe actuellement une pandémie mondiale dans le judo. La topographie lésionnelle montre clairement que le contact d’homme à homme, au cours de la pratique sportive, est le mode essentiel de contamination. Le traitement de ces épidémies repose avant tout sur l’éviction sportive. Si celle-ci est facilement obtenue chez les pratiquants de club, elle est souvent plus difficile à obtenir dans le haut niveau et le très haut niveau, en raison de l’importance des enjeux sportifs. Le traitement repose sur l’association des antifongiques topiques et systémiques, pendant plusieurs semaines : les traitements locaux seuls sont la plupart du temps inefficaces(3). Figure 4. Trichophytie des avant-bras. Figure 5. Trichophytie purpurique (judo). Figure 6. Trichophytie (judo). Les dermatoses traumatiques Les bulles de friction Elles sont très banales et s’observent dans de multiples activités sportives. Les callosités Elles se développent sur des zones de frottements répétés ; elles doivent, dans certains cas, être respectées car elles constituent un avantage chez les gymnastes ou pour la pratique des sports de raquette en évitant la survenue de bulles douloureuses (figure 7). Figure 7. Bulles et callosités palmaires (aviron). L’hématome sous-unguéal Il se rencontre fréquemment chez les coureurs, les tennismen et les footballeurs (figure 8). Il se manifeste dans les sports qui entraînent des changements brusques de direction, des démarrages et des arrêts brutaux. Le traumatisme de l’orteil le plus long contre la pointe de la chaussure en est la cause. La prévention repose sur l’utilisation de chaussures un peu plus grandes et de chaussettes performantes. D’une manière plus générale, les ongles peuvent être affectés de diverses manières : affinement, exostose, ongles en pince, onychoptose, hyperkératose, hémorragies en flammèches, ongles incarnés. Figure 8. Hématomes unguéaux (footing). Les hématomes intracornés ou « talon du tennisman » Ce sont des hématomes superficiels enchâssés dans la couche cornée du talon. Ils sont le plus souvent asymptomatiques et peuvent faire évoquer à tort une verrue ou un mélanome. Les papules piézogéniques Situées sur les bords des pieds, elles correspondent à des hernies hypodermiques à travers le derme réticulaire. Elles sont généralement asymptomatiques et ne nécessitent pas de traitement. Elles sont présentes chez 10 à 20 % de la population générale. Le mamelon du jogger C’est une irritation, voire une érosion du mamelon, due à la pratique de la course à pieds. Cette lésion se rencontre essentiellement chez l’homme porteur de tee-shirt en nylon. Sa prévention repose sur les émollients ou l’application de pansements sur les mamelons. Le runner’s rump Il se rencontre chez le cycliste : il s’agit de petites ecchymoses de la partie supérieure du pli interfessier. L’othématome (hématome du pavillon de l’oreille) Il se rencontre dans les sports de combat (judo, lutte, boxe) et chez les rugbymen (figure 9). Au stade initial, il s’agit d’une collection sanguine localisée entre le fibrocartilage du pavillon auriculaire et son épiderme. Il fait suite à des traumatismes directs ou à de violents frottements tangentiels. Le traitement précoce repose sur le drainage chirurgical de l’hématome. En son absence et en cas de traumatismes récurrents, le pavillon devient fibreux, rétracté et déformé. Les sportifs sont souvent assez fiers de ces « oreilles en chou-fleur », signe d’appartenance au groupe. Figure 9. Othématome (judo). Les dermatoses environnementales et inflammatoires Il s’agit essentiellement de dermatoses irritatives et d’eczémas de contact. • Les chaussures de sports peuvent entraîner des eczémas dus aux colles, au plastique, au caoutchouc, nickel, agents tannants du cuir. Les lésions des pieds peuvent être polymorphes et faire errer le diagnostic. • Les équipements et matériels de plongée entraînent des réactions allergiques. L’eczéma de contact aux lunettes de piscine est dû aux dérivés de la thiourée (accélérateur de vulcanisation du caoutchouc contenu dans les lunettes). Il se manifeste par un érythème périorbitaire, prurigineux, bien limité. L’eczéma de contact aux masques de plongée est dû à l’isopropylparaphénylènediamine (antioxydant du caoutchouc). L’eczéma de contact aux combinaisons de plongée survient chez des plongeurs sensibilisés à certains dérivés de la thiourée. Il s’agit d’une éruption prurigineuse généralisée, parfois vésiculeuse ou eczématiforme du cou, du tronc et des extrémités. Des eczémas de contact aux bonnets de bain, palmes, bouchons d’oreille, pince-nez sont possibles. Les produits désinfectants de l’eau en piscine peuvent être également à l’origine de dermites irritatives ou d’eczémas de contact aux composés chlorés ou bromés. • D’une manière plus générale, de multiples accessoires peuvent être cause d’eczéma : les strappings, les protège-tibias, les casques, les genouillères, les gants, les grips des raquettes, entre autres (figures 10 à 12). Les topiques appliqués doivent également être recherchés (gels d’AINS en particulier). La liste n’est naturellement pas exhaustive, d’où l’importance de rechercher les habitudes sportives dans l’enquête étiologique d’un eczéma, en particulier chez le sujet jeune. Figure 10. Eczéma, protège-tibias (football). Figure 11. Port d’adhésif judo pour masquer une trichophytie. Figure 12. Dermite de contact (judo).
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