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Allergologie

Publié le 11 oct 2021Lecture 10 min

Rôle des perturbateurs endocriniens dans les pathologies allergiques

Guyguy MANANGAMA, Fleur DELVA, Centre ARTEMIS, CHU de Bordeaux

Face à l’augmentation de la prévalence des maladies allergiques dans le monde (par exemple les cas d’asthme et d’eczéma chez les enfants), les expositions à des facteurs de risque environnementaux comme les perturbateurs endocriniens ont attiré l’attention des chercheurs et des cliniciens. Différentes études épidémiologiques montrent ainsi que certains perturbateurs endocriniens sont associés à la survenue des maladies allergiques.

Généralités sur les perturbateurs endocriniens Il a été décrit dans l’environnement, la présence de certaines substances susceptibles de modifier le fonctionnement du système endocrinien avec des effets délétères pour la santé. Depuis un peu plus de deux décennies, plusieurs définitions du terme « perturbateurs endocriniens » ont émergé. Parmi elles, la plus communément acceptée à ce jour est celle proposée en 2002 par l’Organisation mondiale de la santé : « Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations ». Sources et circonstances d'exposition Il existe principalement deux sources de perturbateurs endocriniens (PE) : – (a) ils peuvent être d’origine naturelle, c’est le cas des hormones naturel les ou de synthèse (estrogènes, testostérone, progestérone, etc.) utilisées en thérapeutique, ou des phyto-estrogènes ; – (b) ils peuvent résulter des activités humaines. Ils sont dans ce cas contenus dans un grand nombre de produits de consommation courante (agro-alimentaires, cosmétiques, pharmaceutiques, entretien/ménage, etc.). Par le biais d’une contamination de différents milieux (eaux, aliments, air, poussières, sols, etc.), les PE peuvent ainsi être présents dans l’environnement et y persister de longues années. L’homme peut être contaminé par ingestion (voie digestive), inhalation (voie respiratoire) ou contact cutané à des niveaux de concentration variables(1). Selon une enquête conduite en France en 2011 au sein de la cohorte ELFE (Étude longitudinale française depuis l’enfance), des biomarqueurs de plusieurs PE ont été retrouvés dans les urines de 100 % des participantes. Il s’agit de bisphénol A, phtalates, pesticides (pyréthrinoïdes principalement), dioxines, furanes, polychlorobiphényles (PCBs), retardateurs de flamme polybromés et composés perfluorés(2). Effets sur la santé Concernant leurs mécanismes d’action, les PE peuvent mimer l’action d’une hormone naturelle et être à l’origine de la réponse dédiée à cette hormone, empêcher l’action d’une hormone en l’empêchant de se fixer sur son récepteur, ou modifier la production ou la régulation des hormones naturelles. Hormis ce mécanisme de perturbation endocrinienne, une même substance peut agir par d’autres mécanismes comme par exemple dans le cas des pathologies immuno-allergiques par un mécanisme d’hyperréactivité bronchique, un mécanisme de variation épigénétique, une réponse inflammatoire systémique ou un mécanisme de stress oxydatif induit par ces substances. Des travaux de recherches épidémiologiques ou toxicologiques montrent que la sensibilité aux PE varie en fonction des périodes de la vie. L’embryon, le fœtus, les nourrissons et les jeunes enfants constituent des groupes plus vulnérables aux effets toxiques de ces substances. Des études épidémiologiques ont montré des associations entre l’exposition aux PE et certaines pathologies (cancers, malformations congénitales, troubles de la reproduction, etc.)(1). Leur rôle dans les pathologies allergiques est de plus en plus évoqué dans la littérature scientifique. Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont évoquées se basant sur des études in vitro ou in vivo. Le premier mécanisme physiopathologique décrit se base sur le fait que les PE miment l’action des stéroïdes. Or, il est connu que les stéroïdes jouent un rôle important dans le développement et la régulation de l’immunité. Les PE pourraient donc influer sur les processus et les mécanismes immunitaires en mimant l’action des stéroïdes. Il a été aussi démontré que certains PE peuvent perturber la synthèse des cytokines ou des immunoglobulines. L’augmentation de la production d’interleukine-4 et d’Immunoglobuline E (IgE) après l’exposition à certains PE suggère un potentiel effet sur le développement de pathologies immuno-allergiques. Bisphénol A Le bisphénol A (BPA) est un PE contenu dans des plastiques de type polycarbonates et dans les résines époxydes. Les produits de consommation courante contenant du BPA incluent les jouets pour enfants, les mastics dentaires, les reçus thermiques, le revêtement des conduites d’eau, les contenants pour aliments et boissons tels que les bouteilles d’eau en plastique, les emballages alimentaires et le revêtement intérieur des canettes et des bouteilles. La principale voie d’exposition reste la voie alimentaire mais d’autres voies sont possibles, cutanée ou respiratoire. Une étude transversale conduite entre 2008 et 2011 au Canada a analysé des échantillons d’urine de 1 890 femmes issues de la cohorte MIREC (Maternal-Infant Research on Environmental Chemicals Study) au cours du premier trimestre de la grossesse. La présence du BPA ou ses métabolites ont été détectés dans 95 % des échantillons d’urine. Les concentrations les plus élevées ont été mesurées dans les urines de femmes d’un niveau socio-économique faible(3). L’exposition au BPA était associée au développement d’eczéma, d’allergie, d’asthme, de rhinite allergique et d’infections respiratoires, y compris de bronchiolite(3). Dans une étude issue de la cohorte taiwanaise Childhood Environment and Allergic Diseases Study (CEAS) publiée en 2016, une association significative a été trouvée entre l’exposition des enfants de 3 et 6 ans au BPA et l’augmentation du risque de l’asthme avec des rapports de cotes de 1,29 (IC95% : 1,08 à 1,55) et 1,27 (IC95% : 1,04 à 1,55)(4). Dans cette même étude, les niveaux de BPA étaient positivement associés aux niveaux d’IgE, ce qui est en faveur d’un effet du BPA sur l’asthme médié par des taux anormalement élevés d’IgE dans le sang. Des études toxicologiques ont montré que l’exposition au BPA peut également réduire les taux de lymphocytes T régulateurs, d’interférons gamma et d’interleukines-10 et augmenter la production d’interleukines-4 et d’IgE. Les études sur l’animal ont montré que l’exposition en période périnatale au BPA augmente la sensibilisation allergique, l’inflammation éosinophilique bronchique ainsi que la réactivité bronchique(4). Phtalates Il existe plusieurs substances appartenant à la famille chimique de phtalates dont les principaux sont : le di(2-éthylhexyl)- phtalate, le diméthylphtalate, le diéthyl-phtalate, le dibutyl-phtalate, le diisobutylphtalate, le diisononyl-phtalate, le di-isodécyl-phtalate et le butylbenzyl-phtalate. Ils sont utilisés comme agents plastifiants. Ils peuvent être retrouvés dans les produits cosmétiques ou associés aux plastiques, en particulier aux matériaux de construction contenant du chlorure de polyvinyle (PVC). Les produits d’usage courant pouvant les contenir sont : les produits cosmétiques (parfums, déodorants, lotion après-rasage, shampooings, vernis à ongles, etc.), les câbles électriques, les films plastiques, les revêtements, les dispositifs médicaux (poches de sang, tubulures, etc.) ou les emballages alimentaires. L’alimentation constitue la source principale d’exposition. D’autres voies d’exposition sont rapportées, telles que la voie respiratoire (inhalation de la poussière provenant de sol en vinyle, du support de tapis, parfums, etc.) ou la voie cutanée (crème solaire par exemple)(3). Les données des enquêtes conduites en France (cohorte ELFE), au Canada (étude MIREC) et aux États-Unis (étude TIDES - The Infant Development and Environment Study) entre 2008 et 2012 ont retrouvé dans les urines de presque toutes les mères d’enfants inclus dans leurs enquêtes respectives, des métabolites de phtalates. Il est important de noter que les effets de santé peuvent être différents selon le type de phtalates. Plusieurs effets de santé ont été décrits dans la littérature concernant l’exposition aux phtalates tels que les troubles du neurodéveloppement chez le fœtus, les troubles de la reproduction masculine ou féminine et les troubles métaboliques. Des associations significatives ont été trouvées entre l’exposition aux phtalates et des manifestations allergiques (asthme, respiration sifflante, allergies, rhinite ou rhume des foins). Une exposition au long cours entraînerait une inflammation chronique et un asthme accompagné de symptômes graves(5). Dans une étude cas-témoins conduite en Suède en 2004 (198 enfants présentant des symptômes allergiques persistants et 202 témoins), des taux significativement plus élevés de phtalates ont été mesurés dans la poussière de maisons des cas d’allergie, de rhinite, d’eczéma et d’asthme par rapport aux maisons des témoins. La présence de revêtements de sol en PVC à la maison était également associée au diagnostic d’eczéma, de rhinite et d’asthme. Ces résultats ont été confirmés par l’étude NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) conduite aux États-Unis entre 2005 et 2006(3). De nombreux cas de dermatite de contact allergique ont également été décrits(6). Biphényles polychlorés (BPC) et dioxines Les dioxines sont des sous-produits générés lors de certains processus thermiques et industriels. Les BPC étaient principalement utilisés dans les industries pour leur inertie thermique, leur propriété lubrifiante ou leur stabilité chimique et physique. Ils ont été utilisés en tant que fluides diélectriques dans la fabrication des transformateurs et condensateurs mais aussi dans la fabrication d’encres d’imprimeries, d’adhésifs, de peintures, de ballasts des lampes à fluorescence et de système d’éclairage au néon. Malgré les mesures visant à encadrer la présence des dioxines dans l’environnement depuis les années 1970 et l’interdiction des BPC dans les années 1980 dans beaucoup de pays européens dont la France, l’exposition de la population générale reste une préoccupation. En effet, leur persistance dans l’environnement et leur accumulation dans la chaîne alimentaire terrestre ou aquatique, notamment dans les tissus adipeux des animaux, suscitent des inquiétudes en termes de sécurité. L’alimentation reste la voie principale d’exposition. Des données épidémiologiques montrent que l’exposition en période prénatale ou postnatale précoce aux BPC ou dioxines peut avoir un impact négatif sur le développement du système immunitaire et du système respiratoire de l’enfant. Dans une récente étude réalisée au Japon, une association a été trouvée entre la concentration en dioxines dans le sang du cordon ombilical à l’accouchement et des symptômes respiratoires chez l’enfant après la naissance tels que la respiration sifflante (wheezing) et l’otite médiane(7). Concernant les manifestations cutanées, il a été décrit dans la littérature que l’exposition aux BPC/dioxines pourrait entraîner une dermatite de contact irritante, une xérose cutanée, une hyperpigmentation ou un chloracné(6). Parabènes Les parabènes sont des conservateurs synthétiques présents dans de nombreux produits de consommation. Ils sont retrouvés dans des produits cosmétiques, notamment les antitranspirants et peuvent être absorbés par voie cutanée. Il a été décrit une association entre l’exposition aux parabènes et la survenue d’une dermatite allergique de contact(6). Un possible effet sur la survenue de l’asthme chez les garçons a été récemment décrit parmi 4 023 enfants issus de la population générale des États-Unis participant à l’enquête nationale sur la santé et la nutrition(8). Pesticides Les carbamates sont largement utilisés comme insecticides, herbicides ou fongicides dans l’agriculture ou dans les ménages. Des données de la littérature montrent qu’ils ont été impliqués dans la prévalence croissante de maladies associées à des altérations de la réponse immunitaire, telles que les réactions d’hypersensibilité ou certaines maladies auto-immunes(9). Il a été décrit une association entre l’exposition aux pesticides et la survenue de dermatite allergique de contact(6). Un possible rôle des pesticides dans la survenue d’asthme et de bronchite a également été évoqué dans la littérature(10). Les substances polyfluoroalkylées et perfluoroalkykées (PFAS) Les PFAS sont retrouvées dans le Téflon, les peintures, les emballages alimentaires (de restauration rapide à emporter) ou encore dans de nombreux textiles. Elles peuvent migrer des produits de consommation courante vers l’air, la poussière domestique, les aliments, le sol et les eaux souterraines et de surface. Elles font partie des polluants organiques persistants. En 2015, des experts composés de 200 scientifiques de 38 différents pays ont publié une déclaration nommée « déclaration de Madrid », qui alerte sur les dangers potentiels des PFAS. Concernant leurs effets sur les pathologies allergiques, une récente étude cas-témoins publiée en 2017, a montré que les niveaux de tous les PFAS étaient plus élevés chez les enfants asthmatiques comparativement aux enfants non asthmatiques(11). À ce jour, il y a peu de données épidémiologiques qui étudient les effets de PFAS sur les pathologies allergiques. Les alkylphénols Deux alkylphénols sont largement répandus, il s’agit du 4-nonylphénol et de 4-octylphénol qui proviennent de la biodégradation aérobie des polyéthoxylates d’alkylphénol. Ces derniers sont largement utilisés comme agents tensioactifs et sont contenus dans les produits de nettoyage, les cosmétiques, les pesticides non agricoles et les produits de bureau tels que le liquide correcteur et l’encre. En plus de leur présence dans les sols, les eaux de rivières et les nappes phréatiques, des alkylphénols ont été retrouvés dans de nombreux types d’aliments. Ainsi, la consommation d’eau et d’aliments contaminés est considérée comme l’une des principales voies d’exposition. Il a été démontré que les alkylphénols se lient aux récepteurs des estrogènes et ont tendance à s’accumuler dans le corps humain en raison de leurs propriétés lipophiles et de leur longue durée de vie. Étant donné que les estrogènes jouent un rôle important dans le développement et le fonctionnement des cellules immunitaires, les alkylphénols pourraient perturber la régulation immunitaire par leur action sur les récepteurs d’estrogènes(12). À ce jour, il n’existe que des études in vitro et in vivo qui montrent l’impact de l’exposition aux alkylphénols sur l’apparition, la progression et la sévérité des maladies allergiques. Cependant, il n’existe pas encore d’études réalisées chez l’homme. Conclusion • Les études ont montré des associations entre phtalates, BPA, parabènes, BPC/dioxines et certains pesticides avec les pathologies allergiques. • Les données de la littérature restent néanmoins insuffisantes. • Il est nécessaire de développer davantage d’études pour déterminer de nouvelles associations et consolider les précédents résultats.

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