Publié le 14 oct 2021Lecture 5 min
Éruption fébrile : infection ou toxidermie ?
Caroline GUIGNOT, Rennes
Dans un contexte de prise médicamenteuse, une éruption fébrile doit faire l’objet d’une évaluation adaptée pour arrêter précocement un médicament qui serait en cause tout en évitant d’étiqueter à tort un enfant comme allergique au traitement.
Les toxidermies sont liées à des effets indésirables cutanéo-muqueux d’origine médicamenteuse. Elles montrent une grande variabilité sur le plan de leur présentation et de leur origine, et peuvent donc être difficiles à distinguer des manifestations cutanées d’origine infectieuse, notamment virales.
Le travail initial consiste en une démarche diagnostique exhaustive appréciant la présentation clinique, recherchant une cause infectieuse et évaluant le contexte médicamenteux : chronologie des signes depuis la prise, nature des médicaments ou des alternatives (huiles essentielles, phytothérapie) et de leurs modalités (début, fin, augmentation, erreur de posologie), recherche de l’imputabilité intrinsèque ou extrinsèque, notamment via une recherche bibliographique. Il s’agit aussi d’identifier les formes graves qui, bien que rares, peuvent entraîner un risque vital. Après l’épisode, si un doute allergique persiste, il est préconisé de faire un bilan allergologique pour ne pas établir à tort un enfant comme allergique à un traitement.
Formes modérées
Une urticaire de type annulaire ou ecchymotique est généralement causée par des virus lorsque sa présentation est fugace et migratrice. Elle est due à une histamino-libération non spécifique. À l’inverse, l’urticaire allergique liée à un médicament est une hypersensibilité immédiate de type I, IgE médiée, qui survient quelques minutes à quelques heures après la prise, et est volontiers associée à un prurit palmo-plantaire et à des signes d’anaphylaxie (hypotension, tachycardie...) ou à un bronchospasme. Les principaux médicaments incriminés sont les bêtalactamines, puis les AINS et l’aspirine. La toxidermie la plus fréquente est l’exanthème maculopapuleux (ou EMP) : il s’agit d’une éruption polymorphe avec des macules ou des papules érythémateuses plus ou moins diffuses, principalement au niveau du tronc et des membres. Elle peut être écartée en cas de signes de gravité associés : altération de l’état général, décollement ou douleur cutanée, œdème marqué du visage et/ou du corps, purpura nécrotique ou franchement infiltré. Dans les autres cas, il faut rechercher toutes les manifestations extracutanées qui étaient présentes avant l’éruption, les voyages récents, les vaccins...
Un EMP d’origine médicamenteuse est une hypersensibilité de type 4, qui survient plusieurs heures à plusieurs jours après la prise du médicament (antibiotiques et anti-épileptiques principalement). Certains EMP d’origine virale peuvent être établis devant une présentation clinique typique (rougeole, rubéole, EBV, HSV, parvovirus B19, coxsackie...). Si le diagnostic n’est pas évident, il faut réaliser un bilan avec NFS, frottis sanguin, bilan hépatique, CRP, hémoculture, PCR et sérologie virale. Il faut savoir que la primo-infection à EBV favorise ce type d’éruptions cutanées mais accroît aussi le risque d’une telle manifestation en cas de prise associée d’amoxicilline.
Urgence des présentations cliniques sévères
Il existe plusieurs types de toxidermies sévères, qui, bien que rares, mettent en jeu le pronostic vital ou peuvent causer des séquelles potentiellement graves : le syndrome de Stevens-Johnson (SJS) et la nécrolyse épidermique toxique ou syndrome de Lyell (NET) – qui sont des présentations bulleuses –, le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (DRESS) et la pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG). Il s’agit de les identifier et de les prendre en charge rapidement.
Le syndrome SJS ou le syndrome NET commencent par de la fièvre, un prurit oculaire, des douleurs à la déglutition dans les 4 à 28 jours après l’introduction du médicament en cause. Rapidement, des symptômes muqueux et une éruption cutanée surviennent et se généralisent. Leur évolution est rapide avec une généralisation et l’apparition de signes de gravité : douleur cutanée, fièvre élevée, bulles avec décollement. Le degré de décollement cutané est plus important dans le NET que le SJS.
La prise en charge pluridisciplinaire hospitalière est indispensable en urgence, avec un bilan infectieux large (bactérien et viral), un bilan toxicologique (sang, urine, cheveux) et une prise en charge par soins de support essentiellement, afin de limiter ou de prévenir les séquelles de ce qui restera une maladie chronique.
Il est possible de distinguer ces toxidermies des érythèmes polymorphes (d’origine infectieuse le plus souvent à la suite d’un HSV ou d’un mycoplasme), dont la présentation se manifeste par des lésions de type cocarde (cercles concentriques), mais qui peuvent aussi être sévères et imposent, dans ce cas, les mêmes principes de prise en charge. L’épidermolyse staphylococcique est différente du SJS et du NET parce qu’elle n’est pas associée à des lésions muqueuses et parce qu’elle engendre une atteinte cutanée qui reste superficielle, qui touche initialement les zones périorificielles et les plis. Elle est liée à une toxine produite par 5 % des souches de staphylocoques et est associée à un tableau avec peu ou pas de fièvre, mais donne une peau très rouge (aspect ébouillanté ou coup de soleil) avec des douleurs cutanées importantes. L’hospitalisation est requise pour une hydratation, une antalgie par morphiniques et par une antibiothérapie spécifique qui permet d’avoir une réponse après 24 à 48 heures de prise en charge, puis une guérison 6 à 12 jours après. La PEAG, elle, débute brutalement 1 à 4 jours après la première prise (principalement d’amoxicilline, de pristinamycine et d’autres antibiotiques) par un érythème au niveau des plis, qui se généralise rapidement pour se couvrir de micropustules non folliculaires superficielles et amicrobiennes avec parfois un léger décollement superficiel. Le bilan montre une hyperleucocytose à neutrophiles et parfois une éosinophilie modérée associée. Après l’arrêt du médicament identifié, l’évolution est favorable et rapide, en moyenne dans les 5 jours.
Enfin, les formes étendues d’érythème pigmenté fixe (EPF) sont à type de plaques violacées et arrondies, parfois bulleuses et douloureuses (à type de brûlures), qui surviennent rapidement après la prise (de paracétamol et d’antibiotiques principalement). Ces lésions sont le plus souvent initialement uniques, puis augmentent en nombre, voire se généralisent ensuite. Elles peuvent avoir une évolution légèrement nécrotique, mais elles n’ont pas la gravité de SJS ou de NET.
D'après le Séminaire de dermatologie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades, vendredi 25 Juin 2021, « Infection ou toxidermie? » par Anne Welfringer (Paris).
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