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Troubles pigmentaires

Publié le 06 avr 2010Lecture 15 min

Dermo-cosmétiques et troubles de la pigmentation : chez qui ça marche ?

Y. GALL, CHU de Toulouse

Les troubles de la pigmentation, surtout lorsqu’ils touchent le visage, peuvent avoir une répercussion non négligeable sur la vie sociale, professionnelle et affective des patients. Ils ne mettent pas en jeu le pronostic vital mais plusieurs enquêtes de qualité de vie montrent qu’ils sont mal vécus. Ainsi faut-il bien connaître les moyens thérapeutiques et leur maniement pour éviter les effets néfastes.

Les hyperpigmentations correspondent soit à une modification de la répartition de la mélanine dans la peau soit à un excès de production. Les plus fréquentes sont le mélasma, les lentigines actiniques et la dermite des parfums, sans oublier les cicatrices pigmentées et les irrégularités pigmentaires du photo-aging. Les troubles pigmentaires sont d’autant plus fréquents et marqués que le phototype est sombre (IV et V). Il est important de bien connaître leurs mécanismes pour savoir les prendre en charge et déterminer les facteurs pronostiques de réussite thérapeutique. Nous verrons : – quels sont les mécanismes biologiques des troubles hyperpigmentaires acquis ; – quelles sont les principales molécules utilisées pour les corriger ; – quels sont les moyens de prédire l’efficacité des dépigmentants et de les choisir. Mécanismes de régulation de la pigmentation Le mélanocyte fabrique un pourcentage variable de phaeomélanines ou d’eumélanines en fonction du phototype (il existe aussi des mélanines mixtes). Figure 1. Stimulation de la dendricité des mélanocytes de phototype III et V après stimulation par la β-endorphine. L’hypophyse exprime le gène de la propiomélanocortine (1) et libère la MSH sous forme de 3 peptides différents : α, β et γ MSH. L’α- MSH est la plus active dans la peau. Il existe en effet des récepteurs à l’α-MSH non seulement sur le mélanocyte mais aussi sur le kératinocyte et les cellules des terminaisons nerveuses. Ces récepteurs sont également sensibles aux stéroïdes sexuels, à l’ACTH, aux dérivés opioïdes comme les β-endorphines (2). Il existe, par ailleurs, cinq récepteurs de la mélanocortine, deux antagonistes endogènes (la protéine Agouti et l’Agouti related-protein) et deux protéines ancillaires (Syndecan 3 et Mahogany). La tyrosine est l’acide aminé précurseur de la synthèse de la mélanine qui implique successivement plusieurs enzymes : la tyrosinase et les tyrosinase-related-proteins, TRP1 et TRP2. Les mélanines sont stockées dans les mélanosomes de couleur brunnoir ou jaune-orangé. La transmission des mélanosomes aux kératinocytes adjacents (une trentaine environ) se fait sous l’impulsion d’une protéine appelée APP (β amyloid precursor protein). Elle déclenche une série de réactions impliquant de petites protéines transmembranaires de la famille RHO (qui se comportent comme des récepteurs et qui fonctionnent en association à des enzymes, des GTPases) (3). Elles tranforment le GTP en GDP qui régule les modifications conformationnelles des tubules d’actine (4) et entraînent des modifications du cytosquelette (figure 1). La protéine Pmel 17 intervient également dans la morphogenèse des mélanosomes et la formation des fibres amyloïdes sur lesquels se déposent le pigment. Les complexes protéiques Bloc-1 et Bloc- 2 régulent ensuite le trafic endomélanosomal. Figure 2. Réseau de tubuline servant à la migration des fibroblastes 3T3 et des mélanosomes sous l’action des RHO GTPases. On connaît 20 gènes responsables du codage des différentes protéines RHO et GTPases. Trois d’entre elles sont impliquées dans la régulation des dendrites (figure 2) : RHO, RAC et CDC 42. RHO entraîne la rétraction des dendrites, RAC et CDC 42 stimulent la formation et l’extension des dendrites. En ce qui concerne les produits agissant sur la dépigmentation, plusieurs niveaux d’action sont possibles : – périphérique sur les récepteurs hormonaux du mélanocyte (surtout à l’α-MSH et aux estrogènes) ; – à l’intérieur du mélanocyte sur la synthèse de la mélanine (au niveau de la tyrosinase et des TRP) ; – sur le transfert des mélanosomes. D’autres agissent en dehors du système pigmentaire sur la désquamation. Quels sont les troubles pigmentaires concernés ?   Le mélasma est une hypermélaninose soit épidermique (70 % des cas), soit dermique (20 %), soit mixte (10 %). Figure 3. Mélasma sur les pommettes chez une femme. Il touche les femmes dans 90 % des cas et les hommes beaucoup plus rarement (10 %). Il est plus fréquent et plus marqué chez les sujets au phototype foncé (IV à VI de la classification de Fitzpatrick). Il se traduit par des plages pigmentées, irrégulières, sur le front, les joues et la lèvre supérieure (figure 3). Celles-ci sont aggravées par les expositions solaires. Le mélasma survient soit pendant la grossesse (chloasma), soit lors de la prise d’estroprogestatifs (en période d’activité génitale), soit lors de traitements hormonaux substitutifs (après la ménopause). Il se caractérise par une augmentation de la teneur épidermique en mélanine sans modification du nombre des mélanocytes.   Les lentigines solaires sont des macules pigmentées apparaissant surtout sur les zones exposées : le visage, le cou, le dos des mains et les avant-bras (figure 4). Elles sont de taille variable (de quelques mm à 1 cm) et de couleur uniforme ou hétérogène. Elles sont considérées comme un signe de photovieillissement et sont présentes chez plus de 90 % des sujets de race blanche après 50 ans. Les lentigines sont des hypermélanocytoses qui s’accompagnent d’une hyperplasie épidermique. Elles correspondent à un accroissement du nombre des mélanocytes épidermiques produisant trop de mélanine.  Les hyperpigmentations post-inflammatoires (dermite des parfums, dermite des prés, cicatrices pigmentées, etc.) sont dues à une incontinence pigmentaire. La dermite « en breloque » des parfums et la dermite des prés correspondent à une stimulation de l’activité de synthèse mélanocytaire par des dérivés des psoralènes. Ces modifications pigmentaires ont un impact social non négligeable et sont une source fréquente de consultation. Figure 4. Lentigo du visage chez une femme de 75 ans. Plusieurs facteurs interviennent de façon simultanée ou progressive : – les hormones de l’axe hypothalamo- hypophysaire (ACTH, MSH) agissent directement sur la pigmentation ; – le stress agit sur les mélanocytes par l’intermédiaire des terminaisons nerveuses et des neuropeptides ; – les UV agissent directement sur la peau et par l’intermédiaire de récepteurs centraux ; – les facteurs physiques (frictions par gant de crin par exemple, peelings…), l’emploi de certains dépigmentants (hydroquinone) ou de certains produits dermocosmétiques inadaptés (kératolytiques puissants, irritants…) contribuent à l’aggravation des lésions ou à leur entretien. Avant de débuter un traitement dépigmentant, il est essentiel de connaître : – la nature de l’hyperpigmentation, sa localisation, ses causes ; – les facteurs d’entretien ; – son ancienneté et les traitements précédents ; – et l’importance du retentissement socio-psychologique. Quels sont les traitements utilisés ? On peut distinguer les procédés chimiques et les moyens physiques. Les premiers sont utilisés préférentiellement dans le mélasma, les seconds dans les lentigines. Les produits dermo-cosmétiques  Les agents phénoliques comprennent plusieurs molécules (hydroquinone, monobenzyl éther d’hydroquinone, méquinol, etc.)(5). L Figure 5. Intérêt des photographies UV en hémiface pour visualiser les effets d’un dépigmentant avant et après 3 mois de traitement. ’hydroquinone non seulement bloque l’activité de la tyrosinase, mais elle agirait aussi sur le DNA (action cytotoxique) et la dégradation des mélanosomes. Elle se comporte en fait comme un analogue structural de la tyrosine et de la DOPA. Du fait de ses effets secondaires (irritation, sensibilisation, pigmentation post-inflammatoire, voire dépigmentation [en confettis] définitive dans certains cas), elle n’est plus utilisée dans les cosmétiques. Elle est par contre largement employée dans les préparations magistrales (surtout dans les pays où les patients ont des phototypes sombres) à des concentrations variant de 2 à 10 %. Son efficacité dépend directement de la concentration. Les associations à l’acide rétinoïque, à l’acide glycolique ou à la dexaméthasone donnent les meilleurs résultats.  L’acide rétinoïque agit en inhibant la transcription de la tyrosinase et la conversion du dopachrome. Il inhibe la synthèse de tyrosinase induite par les UV. De plus, la désquamation qu’il induit renforce son activité dépigmentante et stimule le transfert des mélanosomes dans les kératinocytes. Les effets secondaires sont très fréquents à type d’irritations, d’érythème désquamatif et tiraillements. Ils sont minimisés en espaçant les applications et en complétant par des crèmes émollientes. L’acide rétinoïque traite aussi les autres signes du photo-vieillissement en diminuant les rides, en augmentant le collagène du derme et en uniformisant le teint. L’adapalène aurait des effets similaires sur la pigmentation mais serait mieux toléré. Figure 6. Photographies standardisées en lumière normale et en UVA. Image numérisée et  analysée. Images comparatives en hémiface avant et  après traitement. On peut en rapprocher les isoflavones (génistéine) et la centauréidine (extraite de Tanacetum microphyllum) qui limitent le transfert des mélanosomes vers les kératinocytes et activent la synthèse de collagène.    L’acide azélaïque est un acide gras saturé (nonadécanoïque). Il a une action antiproliférative et cytotoxique sur le mélanocyte en inhibant l’oxydoréduction mitochondriale et la synthèse du DNA. In vitro, il inhibe aussi la tyrosinase (6). Les effets secondaires sont minimes à type de prurit et d’échauffement. Il est utilisé à des concentrations de 20 %.  Les acides hydroxylés, en particulier l’acide glycolique, ont un effet dépigmentant lié à leur potentiel exfoliant. Celui-ci est souvent utilisé en solution à différentes concentrations pour les peelings. L’acide kojique (extrait d’un aspergillus) et l’acide phytique (extrait de céréales) agissent peu par inhibition compétitive de la tyrosinase. Ils ont surtout un pouvoir anti-inflammatoire et antioxydant par chélation du cuivre et du fer nécessaires à la synthèse de la mélanine. La vitamine C inhibe la formation de mélanine et réduit la mélanine oxydée. Elle agit aussi sur la synthèse de collagène mais doit être stabilisée en solution aqueuse. La glabridine (7) est extraite de la réglisse et agit par son activité anti-inflammatoire (inhibition des cyclo-oxygénases et des radicaux libres, surtout OH). Plusieurs autres molécules agissent aussi par leur pouvoir anti-inflammatoire : niacinamide, vitamine E, sélénium, biotanoïdes…  Le rucinol est un dérivé de résorcinol qui inhibe l’activité de la tyrosinase et des protéines associées (TRP1 et TRP2).  Plusieurs extraits d’origine végétale sont disponibles : hétérosides flavoniques (quercétine…), hétérosides d’hydroquinone (arbousier…) agissant comme antioxydants et des flavonoïdes (sophora α…) bloquant les récepteurs à l’α-MSH. Les dépigmentants topiques peuvent agir à plusieurs niveaux du fonctionnement du mélanocyte. Ils sont souvent utilisés en association pour rechercher une potentialisation. Il existe des formules comme le trio de Kligman et de nombreuses autres associations d’actifs. Ils sont utilisés surtout pour la prise en charge du mélasma et des dermites pigmentaires des parfums. Les autres procédés physico-chimiques  Les peelings sont très utilisés : plusieurs molécules sont disponibles : l’acide glycolique, le TCA, la solution de Jessner, l’acide rétinoïque, l’acide salicylique. Des concentrations d’acide glycolique de 10 à 70 % sont utilisées selon différents protocoles. Le peeling superficiel est le plus pratiqué. Il convient de respecter une méthodologie stricte : – préparation de la peau par un dépigmentant type trio de Kligman (tous les soirs ou un soir sur deux selon la tolérance) pendant un mois associé à un dépigmentant cosmétique type Iklen ou Depigmenten (tous les matins) ; – photoprotection efficace en permanence ; – trois peelings à moyenne concentration (acide glycolique de 20 à 50 %) espacés de 15 jours à 1 mois ; – poursuite des applications de dépigmentants cosmétiques (le soir) et de photoprotecteurs (dans la journée) ; – surveillance régulière de la tolérance et adaptation aux résultats.  Les lasers ont été essayés dans la prise en charge du mélasma. Seule l’association Q-Switched Alexandrite et pulsé CO2 donne des résultats mais au prix de nombreux effets secondaires, à type notamment d’hyperpigmentation post-inflammatoire. Les lasers, surtout le Nd-YAG 532 nm, donnent de bons résultats mais ils restent légèrement inférieurs à ceux obtenus avec la cryothérapie. La dermabrasion et l’IPL donnent de moins bons résultats, dans le mélasma que dans les lentigines. La stratégie thérapeutique dépend du type de lésion pigmentaire • Le mélasma débutant et discret est traité par un dermo-cosmétique dépigmentant deux fois par jour associé à un photoprotecteur. • Le mélasma installé, ancien ou marqué, est pris en charge selon un protocole complet associant le trio de Kligman et/ou des séances de peeling. Le dermo-cosmétique dépigmentant complète et permet de maintenir les résultats. • Les cicatrices pigmentées, les pigmentations post-inflammatoires et les dermites des parfums sont prises en charge de la même façon en adaptant à l’intensité des signes. • Les lentigines et les irrégularités pigmentaires accompagnant l’héliodermie sont préférentiellement traitées par cryothérapie ou laser. Dans tous les cas, les résultats sont améliorés et maintenus grâce aux photoprotecteurs et aux dépigmentants dermo-cosmétiques. Facteurs prédictifs de réussite et conditions optimales d’utilisation des dépigmentants Pour répondre à la question « chez qui ça marche ? », il faut déterminer les facteurs prédictifs de réussite et respecter les conditions optimales d’utilisation des dépigmentants. Il faut enfin choisir les produits les plus efficaces. Facteurs prédictifs Dans le mélasma, le phototype est le premier facteur, car il détermine la quantité prévisible de pigments présents en surplus dans la peau. Dans les phototypes IV à VI, les mélanosomes sont de plus grande taille et occupent une hauteur plus importante dans l’épiderme. Il est donc plus difficile de les traiter du fait de la quantité plus importante de surplus mélanique. L’examen en lumière de Wood permet de localiser le pigment soit uniquement dans l’épiderme (accentuation du contraste par rapport à la peau saine), soit également dans le derme (atténuation du contraste). Un mélasma avec contribution dermique nécessite des thérapeutiques plus agressives. L’ancienneté des lésions et la notion de traitements antérieurs interviennent également. Les habitudes du patient (expositions solaires fréquentes, utilisation de produits irritants pour la peau, niveau de photoprotection utilisé) et la prise en compte d’un éventuel traitement hormonal (parfois à modifier ou à arrêter) sont d’autres éléments d’importance. Dans les lentigines, le nombre de lésions, leur survenue dans un contexte de photo-vieillissement plus ou mois marqué et leur ancienneté… sont les éléments à prendre en compte. Conditions optimales Elles sont liées à l’expérience du dermatologue et à son savoir-faire. Il faut tout d’abord bien poser les indications et expliquer longuement au patient les modalités du traitement ainsi que les origines du trouble pigmentaire. La photoprotection doit être rigoureuse et les facteurs aggravants (habitudes de friction, utilisation de cosmétiques irritants…) évités. Un traitement antiherpétique doit être mis en place dès le début des soins, en cas de peeling ou de traitement laser associé et ce, jusqu’à la cicatrisation. Les dépigmentants doivent être appliqués régulièrement deux fois par jour avec un massage. Lorsqu’il est associé à un peeling, il faut respecter un protocole strict : période préparatoire, surveillance régulière et adaptation permanente aux résultats et à la tolérance. Le type de molécule utilisé Les produits utilisés doivent être bien tolérés, non irritants et non sensibilisants. Il leur faut une bonne biodisponibilité et plusieurs niveaux d’activité : antioxydant (vitamine C, acide phytique…), bloquage enzymatique (hydroquinone, acide kojique, arbutine, rucinol…), bloquage des récepteurs hormonaux (sophora α…), inhibition du transfert des mélanosomes (niacinamide, centauréidine…). Plusieurs études cliniques ont été réalisées sur les produits, souvent en association dans les différentes indications, notamment le mélasma et les lentigines solaires. Deux tableaux parus dans le JAAD (8) résument les principaux résultats : le niveau de preuve va de I (bon niveau de preuve) à IV (absence de preuve) et la qualité de la preuve est classée de A (obtenue à partir d’études de qualité) à E (inadéquate du fait de problèmes méthodologiques). Pour le mélasma (tableau 1), l’hydroquinone seule ou en association avec la trétinoïne et un dermocorticoïde ou avec l’acide glycolique donne les meilleurs résultats. Pour les lentigines (tableau 2), la cryothérapie, le laser YAG, les associations acide rétinoïque-méquinol ou hydroquinone sont les plus efficaces. Les cosmétiques dépigmentants sont efficaces seuls dans les mélasmas peu marqués survenant sur les phototypes clairs et à condition d’un emploi régulier et suffisamment prolongé. Ils sont très utiles en association aux traitements physiques type lasers et en complément des peelings pour maintenir les résultats. Le travail de synthèse paru dans le JAAD ne regroupe pas toutes les études. Plusieurs autres travaux ont été menés in vitro et in vivo : certains en double aveugle contre placebo. Ils sont menés chez le dermatologue en utilisant parfois des techniques objectives de mesure de la pigmentation : photographies standardisées (9) ou UV (figure 5), techniques d’analyse d’images, chromamétrie. Il n’est pas possible de relater toutes les études réalisées : un exemple de méthodologie (10) mise en place lors d’une étude réalisée en associant l’IPL et un produit dermo-cosmétique (figure 6). Conclusion La prise en charge des troubles pigmentaires est difficile et fait appel au savoir-faire précis du dermatologue, à son expérience et à sa capacité d’utiliser les différentes molécules disponibles selon un protocole propre à chaque cas. L’attente des patientes est importante et c’est en analysant tous les facteurs prédictifs de réussite du traitement que le dermatologue pourra y répondre.

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