Publié le 21 aoû 2008Lecture 10 min
L’École de l’atopie, un combat pour l’éducation thérapeutique. Interview du Professeur Jean-François STALDER
Propos recueillis par Laurent SICSIC
L’École de l’atopie a pour but d'améliorer la prise en charge des patients en les aidant à s'autonomiser et à vivre de manière optimale leur maladie. Un tel projet d'éducation des patients se construit sur la mise en place d'une relation de confiance, la définition d’objectifs d'apprentissage personnalisés, l’établissement d’un contrat de suivi et son évaluation. Nous avons demandé au Pr Jean-François Stalder, à l’origine de la première École de l’atopie en France, créée à Nantes en septembre 2000, de nous faire part de son expérience.
Comment est venue l’idée de créer une École de l’atopie en septembre 2000 ? Pr Jean-François Stalder – La principale motivation de la création de l’École de l’atopie a été la constatation de la fréquence de l’échec thérapeutique et l’impression d’une absence massive d’adhésion de beaucoup de patients au traitement, avec notamment une corticophobie très forte et très répandue. Par ailleurs, il existe un vrai problème d’information des patients, les sources sont nombreuses (famille, entourage, médias...), souvent contradictoires, et finalement les patients arrivent à la consultation souvent très désemparés. Et puis, il y a eu les circonstances. En 1998, une interne de médecine générale a souhaité faire sa thèse dans notre service ; je lui ai proposé de faire l’analyse de nos pratiques dans la dermatite atopique (DA). Elle a enquêté auprès de 200 familles de patients pour savoir ce qu’elles attendaient de la consultation d’un médecin et ce qu’elles avaient obtenu. Au terme de l’enquête, il est apparu que les patients étaient tous en échec thérapeutique, alors qu’ils avaient été vus en moyenne par 4 médecins, avec au final l’impression d’un véritable parcours du combattant. La principale demande des patients ou des familles était une demande de temps médical. Il y avait donc nécessité de changer nos pratiques. On ne peut pas, en effet, imposer en un quart d’heure un traitement pour une maladie chronique invalidante aussi délétère pour la qualité de vie que la DA. Ce fut aussi un élément déclenchant. Nous étions à l’époque en demande d’un poste de PH, qui comme vous le savez demande le déblocage de crédits ; à l’époque ils arrivaient souvent directement du ministère. Or, l’École de l’atopie telle que nous la concevions était essentiellement un projet d’« éducation thérapeutique », thème très en vogue à l’époque au ministère de la Santé au début des années 2000. J’ai ainsi été nommé responsable à Nantes de la gestion du projet d’éducation thérapeutique, et ce pas seulement dans l’atopie. Cependant, nous n’avions à l’époque toujours pas d’aide logistique. Notamment, le poste de chef, que nous attendions pour pouvoir faire fonctionner l’école, n’est pas venu. Ainsi, faute de personnel, l’École de l’atopie s’est arrêtée au bout d’un an. Mais les patients ont réagi et monté une association de défense, et les aides sont enfin venues, d’une part, de l’industrie pharmaceutique (notamment les Laboratoires Astellas et La Roche-Posay) et, d’autre part, à la suite de la parution d’un article dans Le Monde qui a réveillé la direction générale de l’hôpital. Nous avons aussi beaucoup été aidés par des équipes allemandes (notamment celle d’Uwe Gieler, Giessen) qui avaient de l’avance dans ce domaine, ainsi que par l’équipe de Pédiatrie de Nantes et son école de l’asthme appelée « Espace du souffle ». Tout cela a permis de relancer une unité d’éducation thérapeutique à Nantes avec un mitemps de secrétaire et quatre vacations médicales. Aujourd’hui, l’École de l’atopie emploie une infirmière temps plein, un demiposte de psychologue et trois vacations médicales. En quoi consiste l’action ou la mission de l’École de l’atopie ? J.-F. S. – L’École prend en charge les patients en échec thérapeutique, qui, du fait du bouche-àoreille et de notre recrutement, présentent de plus en plus des formes sévères de DA. Et il y a deux niveaux d’action : individuel et collectif. Au niveau individuel, l’École propose des consultations d’entretien prolongées, qui au départ duraient 1 heure. Leur objectif est de repérer les points faibles et les points forts de chaque patient et d’établir un diagnostic éducatif. L’écoute du patient est donc une étape fondamentale. Les problèmes qui ressortent le plus souvent ce sont, d’une part, la crainte des corticoïdes et, d’autre part, les conflits intrafamiliaux, sans oublier bien sûr la question de l’adhésion thérapeutique au sens strict (oubli, peur, manque de motivation...). Les conflits intrafamiliaux engendrés par la difficulté des soins locaux quotidiens – qui peuvent durer entre 3 minutes et 1 heure, voire plus pour certains –, impliquant les parents et/ou les frères et soeurs, peuvent jouer un rôle majeur dans l’échec thérapeutique ; ils sont très importants à prendre en considération. Puis, un « contrat » est passé avec le patient, et celui-ci est revu 4 semaines plus tard, soit par une infirmière soit un médecin en fonction du type de problème identifié ; c’est là que l’on évalue le résultat de notre action à l’aide d’outils spécifiques. L’École de l’atopie a aussi une action à un niveau collectif. Nous avons pour cela développé des ateliers qui accueillent en moyenne 6 à 8 personnes, stratifiées par âge (0-6 ans ; 6-12 ans ; adolescents ; adultes). Ces ateliers se déclinent sur trois grandes thématiques : la dermatite atopique (2 séminaires de 3 heures) ; l’allergie alimentaire (2 séminaires de 3 heures) ; la sécurité, c’est-àdire la gestion du choc anaphylactique (1 séminaire de 3 heures). Ces ateliers n’ont rien d’académique et sont très interactifs. Pour lancer l’atelier, nous utilisons des techniques comme celles du photolangage ou du photomontage, qui invitent les patients à exprimer leur problématique chacun leur tour. Chaque atelier est organisé avec la présence d’au minimum deux personnes, un manager et un expert, plus souvent un médecin et un psychologue ou un médecin et une infirmière, le médecin endossant souvent le rôle d’expert. Il a donc fallu que l’on se forme à la communication de groupe (training à l’éducation thérapeutique) auprès de l’IPCEM, qui a formé les personnes s’occupant des Écoles de l’asthme. Un module de formation des formateurs adapté à notre thématique a été créé et une trentaine de personnes de plusieurs villes de France a pu en bénéficier. Notre souci était aussi de ne pas apparaître comme les seuls en France à proposer ce type d’activité, et aujourd’hui, il existe entre 6 et 10 équipes qui « rament » pour faire exister des projets similaires. Les maladies chroniques représentent un réel enjeu. L’éducation thérapeutique des patients intéresse le ministère de la Santé quand il s’agit de maladies soit « coûteuses », soit mortelles. Or, faire apparaître la dermatologie dans ce paysage n’est pas évident, alors que l’enjeu est bien réel. De nombreux articles sont parus montrant que la qualité de vie était altérée par des maladies dermatologiques, telles le psoriasis, tout autant sinon plus qu’avec des maladies jugées plus graves comme le diabète. Après 8 ans d’existence, connaît-on l’impact de l’action de l’École de l’atopie ? J.-F. S. – Il est en effet indispensable d’évaluer notre action. Il y a 3-4 ans, nous avons publié les premiers résultats exprimés à la fois en termes d’efficacité et de chiffres de Scorad et en termes d’atteinte des objectifs pédagogiques que l’on s’était fixés. Ces résultats étaient extrêmement positifs. Aujourd’hui, l’évaluation se poursuit selon quatre critères : les scores cliniques (Scorad) ; la qualité de vie ; l’indice de satisfaction des patients vis-à-vis de la méthode ; l’évolution globale de la maladie. L’apport de l’éducation est positif pour ces quatre paramètres, cependant ce qui nous pose aujourd’hui le plus de problème c’est le recrutement des patients pour les ateliers, en raison de leur durée conséquente. Après l’enthousiasme des premières heures, depuis deux ans, nous observons un léger essoufflement. Sur les 19 derniers mois, 280 patients ont été recrutés, ce qui est assez important mais inférieur aux centres allemands qui voient 200 patients par an. Rappelons que les séances d’éducation pédagogique ne sont pas facturées en France, alors qu’elles sont remboursées en Allemagne, où l’assurance maladie débourse 450 euros par patient qui se forme. Après ces années passées, quels seraient les principaux messages à transmettre ? J.-F. S. – Notre souci n’est pas vraiment de transmettre des messages, car on s’aperçoit qu’une information globale ne répond que très partiellement aux attentes spécifiques des patients. Les gens viennent nous voir avec dans leur tête des questions et des angoisses, qu’ils ont rarement, voire jamais, pu exprimer. Très simplement, on est efficace que dans la mesure où l’on donne des réponses pertinentes, or cela n’est possible que si l’on a bien compris la question que l’on nous pose. L’essentiel, c’est donc de dire au patient « Exprimezvous, dites-nous ce qui vous inquiète. Quelles sont les questions qui vous préoccupent concernant votre vie et votre maladie ? ». Et puis, l’autre grand message, il est pour les médecins : « Parlez moins, accordez au moins les 5 premières minutes de consultation aux patients et laisser les s’exprimer ». Par exemple, situation fréquente, il y a des patients qui viennent vous voir après tout un parcours et qui vous disent qu’ils sont sûrement allergiques à quelque chose, mais on n’a jamais trouvé l’allergène. Les demandes concernant les allergies alimentaires représentent entre 25 et 30 % des demandes. Il faut à partir de là construire un discours adapté à chacun. L’atelier « allergie alimentaire » est donc très important ; il a été développé avec des collègues allergologues et pédiatres. Par ailleurs, dans les ateliers, on constate la puissance de l’échange de patient à patient ; on s’aperçoit que les gens sont souvent plus sensibles à ce que disent leurs voisins qu’au discours de l’expert : la dynamique de groupe est très positive. La troisième étape est de hiérarchiser les problèmes, car on ne peut s’attaquer à tous en même temps. Comment voyez-vous l’avenir des Écoles de l’atopie ? J.-F. S. – L’acte éducatif doit apparaître comme essentiel. Un site web, Opened Dermatology (Oriented Patient Education Network in Dermatology : www.opened-dermatology.com), a été mis en place pour mutualiser les expériences à un échelon international ; on y trouve déjà un questionnaire que nous avons élaboré afin de recueillir les expériences des différentes Écoles de l’atopie en Europe et au Canada. La version française est actuellement en construction, en collaboration avec la Fondation Pierre Fabre. Notre objectif est, d’une part, que les maladies chroniques dermatologiques apparaissent comme un enjeu de l’éducation thérapeutique et que, d’autre part, le dermatologue, s’il le souhaite, puisse être formé, mais aussi rémunéré au prorata de l’investissement qu’il fournit dans l’éducation. J’espère que l’on sera suivi. Post scriptum : Le Groupe d’éducation thérapeutique de la SFD accueille les médecins et soignants concernés par l’éducation thérapeutique au cours des maladies de la peau. Email : jfstalder@mac.com
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