Publié le 03 sep 2008Lecture 7 min
La dermatite atopique et le psoriasis, deux maladies du kératinocyte !
F. AUBIN, Service de Dermatologie, CHU de Besançon
Les progrès de l’immunologie et le développement des traitements immunosuppresseurs ont éclipsé le rôle des kératinocytes au profit des lymphocytes et des cytokines. La DA et le psoriasis sont devenus des maladies inflammatoires et immunologiques. Les études de population et les études intrafamiliales avaient depuis longtemps suggéré que la DA et le psoriasis étaient des dermatoses multigéniques reflétant les différentes théories physiopathogéniques qui impliquent le système immunitaire, la différenciation kératinocytaire et le système neurocutané. Mais depuis une décennie, les progrès de la génétique moléculaire sont en train de nous faire redécouvrir le rôle clé du kératinocyte dans ces deux affections.
Dès les premières descriptions cliniques de la dermatite atopique (DA) et du psoriasis, les dermatologues ont suggéré l’origine kératinocytaire de ces dermatoses. D’ailleurs, les premiers traitements faisaient appel à des traitements émollients ou réducteurs, afin de corriger respectivement la sécheresse cutanée et l’hyperprolifération kératinocytaire. La dermatite atopique Mutations de la filagrine Récemment, une anomalie génétique de la différenciation kératinocytaire a été identifiée dans l’ichtyose vulgaire (1), manifestation mineure de la DA. Le gène identifié code la filagrine, protéine apparaissant au cours de la différenciation kératinocytaire dans les couches granuleuses et cornées de l’épiderme. Avec d’autres protéines, elle participe à la constitution des cornéocytes. Elle est synthétisée par déphosphorylation et protéolyse de la profilagrine contenue dans lesgrains de kératohyaline de la couche granuleuse. Ichtyose vulgaire. La filagrine est responsable de l’agrégation des filaments intermédiaires de kératine et contribue ainsi à leur structure (2). L’enveloppe cornée joue un rôle essentiel en s’opposant à la pénétration dans l’épiderme d’agents microbiens bactériens et fungiques, et des allergènes. Elle participe aussi au maintien de l’hydratation épidermique en limitant les pertes transépidermiques et en produisant les facteurs naturels d’hydratation. Les chercheurs ont identifié deux mutations de ce gène au sein de 15 familles porteuses d’ichtyose vulgaire. Ces mutations aboutissent à une perte complète de la filagrine au niveau épidermique et seraient présentes dans environ 10 % de la population européenne. Les individus hétérozygotes restent sains ou bien présentent une ichtyose minime (xérose). Les individus homozygotes présentent une véritable ichtyose vulgaire. Dans un nouveau travail, C.N. Palmer et coll. (3) montrent que ces deux mutations prédisposent à la DA et à une forme d’asthme associé à la DA. En effet, dans les 15 familles précédentes, la DA est fréquente (44 %) chez les individus hétérozygotes pour une mutation et plus fréquente (76 %) chez les sujets homozygotes. De plus, dans une cohorte de 52 enfants souffrants de DA, 66 % étaient porteurs de ces mutations. Dans une autre étude cas-témoin comparant 604 enfants souffrant d'un asthme à 1 000 enfants sains, les deux mutations de la filagrine étaient plus fréquentes chez les asthmatiques (16 % au lieu de 9 %) qui présentaient également une DA. Enfin, une étude de 372 nourrissons danois, nés de mères asthmatiques, a montré une forte association entre la survenue d’une DA et la présence de ces mutations. Mutations SPINK5 Ces résultats confirment l’importance de la barrière kératinocytaire dans la DA. Des mutations d’un autre gène, SPINK5, codant un inhibiteur de sérine protéase, LEKTI, ont aussi été mises en évidence dans la DA. Le déficit protéasique en LEKTI est responsable d’une hyperactivité enzymatique dans la couche cornée, entraînant des anomalies desmosomales et donc une altération de la barrière épidermique. Ainsi, ces mutations kératinocytaires seraient responsables de la sécheresse cutanée et d’une pénétration excessive d’agents microbiens et d’allergènes de l’environnement, et ce d’autant plus qu’il existe un déficit épidermique en peptides antimicrobiens (défensines, cathélicidines). L’ensemble de ces anomalies kératinocytaires au cours de la DA sont à l’origine d’une stimulation excessive de la réponse inflammatoire et immunitaire innée, qui secondairement va devenir plus spécifique et impliquer les voies Th1 et Th2. Le psoriasis Mutations dans le complexe HLA Dans le psoriasis, les études génétiques moléculaires récentes ont identifié plusieurs loci de susceptibilité du psoriasis appelés PSORS (psoriasis susceptibility). Le locus le plus souvent identifié est le locus 6p21 (PSORS1) qui correspond au locus HLA et qui est retrouvé dans plus de 50 % des psoriasis. Au total, 7 locus de susceptibilité PSORS ont été identifiés. Au sein du locus PSORS1, plusieurs gènes candidats sont suspectés, dont le gène de la cornéodesmosine impliqué dans la différenciation kératinocytaire terminale. Au sein du locus PSORS4 sur le chromosome 1q21, deux gènes codant des protéines de reconnaissance impliquées dans l’immunité innée sont aussi considérés comme des gènes candidats (4,5). Enfin, différents modèles animaux transgéniques ou génétiquement déficients ont été développés afin de reproduire un phénotype proche du psoriasis humain. Mutations dans le complexe transcriptionnel AP-1 (Jun) Ces modèles permettent aussi de mettre en évidence des gènes candidats. Récemment, la famille des gènes codant les protéines Jun, JunB et JunD appartenant au complexe transcriptionnel AP-1 a été impliquée dans la genèse du psoriasis chez des souris transgéniques (6). Ces gènes sont localisés sur le locus PSORS6 et régulent la prolifération et la différenciation kératinocytaire. Alors que la protéine Jun se comporte comme un oncogène stimulant la prolifération cellulaire, les protéines JunB et JunD joueraient le rôle de protéines suppresseurs de tumeurs par leur activité antiproliférative. De plus, ces protéines régulent de façon positive ou négative la production de cytokines et chimiokines intervenant dans la réponse immunitaire et inflammatoire. Or, l’expression de JunB est fortement diminuée au niveau de l’épiderme des plaques de psoriasis humain. Chez la souris, la mutation délétion au sein des kératinocytes de JunB est responsable d’un phénotype associant des manifestations cutanées, articulaires, histologiques et immunologiques caractéristiques du psoriasis. De plus, ces mutations délétions au sein des kératinocytes de souris génétiquement déficientes en lymphocytes reproduisent un phénotype proche du psoriasis cutané. Ces dernières données remettent donc en question la théorie immunologique du psoriasis au profit d’une initiation génétique kératinocytaire de la dermatose déclenchant une réaction immunologique, et non l’inverse (7). Interactions kératinocytessystème immunitaire Le système immunitaire reste probablement concerné par le biais de la réponse innée. À l’opposé de l’immunité acquise ou adaptative, l’immunité innée ou naturelle est non spécifique, immédiate et sans mémoire. Elle correspond à la réaction inflammatoire initiale induite par un signal de danger provenant de l’environnement (allergènes, agents microbiens ou toxiques…). Après liaison aux récepteurs membranaires Toll-like (TLR), une signalisation intracytoplasmique en cascade aboutit à l’activation de plusieurs facteurs de transcription, dont NF-kappaB, et à la production de cytokines et chimiokines inflammatoires qui vont activer la réponse adaptative spécifique (8). Les TLR constituent donc un lien entre l’immunité acquise et l’immunité spécifique. Dans la DA, les mutations de la filagrine sont responsables d’une altération de la barrière cutanée qui ne joue plus son rôle protecteur. Il en résulte une hyperactivation de l’immunité innée, avec inflammation chronique et activation secondaire de l’immunité spécifique. Dans le psoriasis, l’activation normale de l’immunité innée via les TLR entraîne l’activation de kinases intracytoplasmiques (JNK) à l’origine d’une régulation du complexe de transcription AP-1/Jun (9). En raison de la déficience génétique de la voie JunB (7), la voie proliférative et pro-inflammatoire Jun est activée préférentiellement et déclenche une réponse d’abord kératinocytaire qui est ensuite amplifiée par une réponse immunitaire acquise. Au total, le kératinocyte se comporterait comme un biosenseur réceptif aux signaux de danger de l’environnement, dont la sensibilité varierait en fonction de sa résistance (assurée par la filagrine dans la DA) ou de ses voies de signalisation intracellulaires (la voie JUN/AP-1 dans le psoriasis). Si les nouvelles biothérapies du psoriasis ciblent essentiellement la réponse immunitaire spécifique secondaire, la compréhension des mécanismes génétiques de signalisation ouvrent des perspectives thérapeutiques sur de nouvelles molécules, dont les cibles seront les kératinocytes via les facteurs de transcription intrakératinocytaire et les protéines de la différenciation, afin de renforcer la fonction barrière de l’épiderme et diminuer la réaction immunitaire innée.
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