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Cheveux, Poils, Ongles

Publié le 16 aoû 2010Lecture 14 min

La pelade en 2010 : où en sommes-nous ?

G. GUILLET Service de dermatologie, CHU de Poitiers

Les incertitudes sur le potentiel de réversibilité spontanée de la pelade et sur l’efficacité des traitements rendent la question de sa prise en charge d’autant plus délicate que sa bénignité n’autorise pas de prise de risque irraisonnée malgré un vécu psycho-social parfois très difficile. Cela est encore plus vrai chez l’enfant qui représente 20 % des cas de pelade : à cet égard, 60 % des pelades commencent avant 20 ans.

La pelade est une des maladies auto-immunes les plus fréquentes avec une incidence de 0,1 à 0,2 % pour un risque d’occurrence sur la vie de l’ordre de 1,7 %. Elle représente 0,7 à 3,8 % des motifs de consultation en clinique dermatologique. L’analyse immunogénétique et l’étude de modèles animaux ont permis une avancée dans la compréhension de l’affection. La clinique s’affine en s’aidant parfois de la dermoscopie, avec l’objectif de cerner au mieux le pronostic sur la base d’études épidémiologiques. L’histologie s’intéresse indirectement à une forme de relation entre la pelade et le cycle pilaire : l’attaque lymphocytaire du poil en phase anagène permet d’étayer une hypothèse pathogénique autoimmune intéressante. Le rôle central des lymphocytes est analysé à la lumière des effets observés sous biothérapies, et surtout grâce à des modèles génétiques de souris peladiques permettant de reproduire la maladie à l’infini. 50 % des pelades en plaques guérissent en 1 an. Étude clinique et pronostic Le repérage des différentes formes cliniques de pelade a déjà en lui-même une valeur pronostique. Les pelades en plaques n’ont pas toutes le même devenir, ce qui donne toute son importance à la distinction des différentes formes : plaque ophiasique ou inversée, bandeau temporo-pariéto-occipital ou frontopariétal, pelade à cheveux fins, etc., pelade totale ou universelle. À cet égard, 5 % des pelades totales évoluent en pelade universelle. La « nouveauté » tient à la nuance apportée pour la pelade diffuse aiguë totale d’extension rapide qui se singulariserait par un bon pronostic (contre toute attente). À ce sujet, rappelons que 50 % des pelades en plaques guérissent en 1 an, mais que cette bonne évolution ne concerne que 10 % des pelades totales ou universelles… et que la récidive est fréquente. Mais les facteurs pronostiques ne se limitent pas au type clinique. Les enquêtes permettent de repérer six marqueurs péjoratifs : l’ancienneté de la pelade, une atopie associée, une histoire familiale peladique, d’autres maladies autoimmunes, un début précoce ou une atteinte unguéale. 5 % des pelades totales évoluent en pelade universelle. La dermoscopie dans la pelade : une avancée diagnostique et pronostique ? La pratique dermoscopique s’est élargie au domaine de l’alopécie. Une étude asiatique portant sur 300 cas de pelade a confirmé que les taches jaunes (yellow dots) et les duvets courts sont de bons marqueurs permettant de faciliter le diagnostic différentiel des cas difficiles, mais les signes les plus spécifiques restent l’observation de tâches noires et de cheveux en point d’exclamation. Son intérêt est toutefois à relativiser dans la mesure où des taches jaunes sont présentes aussi au cours des alopécies androgéniques masculines avancées et même féminines, mais avec la particularité d’une diversité de couleurs et d’un aspect en double contour. De fait, la clinique reste bien évidemment déterminante, mais des yellow dots un peu plus larges sont repérés aussi dans d’autres situations alopéciques et en particulier au cours du lupus discoïde (en association avec des images de vascularisation arborescente). L’intérêt de cette technique pourrait être d’évaluer l’activité de la maladie (taches noires, cheveux effilés, duvets courts) ou sa sévérité (taches noires, taches jaunes, groupes de duvets courts de moins de 1 cm). Il est donc des situations où elle pourrait rendre service. L’intérêt de la dermoscopie pourrait être d’évaluer l’activité ou la sévérité de la maladie. Histologie La biopsie n’a sa place qu’en cas de doute diagnostique : en correspondance avec l’aspect dermoscopique de halo jaunâtre (yellow dot), un infiltrat lymphocytaire en essaim d’abeille est observé autour du poil anagène. Il persiste des anagènes dystrophiques, avec augmentation progressive des cheveux catagènes et apparition de cheveux fragiles sans fibres (dits « kénogènes » (1)). Figure 1. Canitie du peladique : respect et persistance de cheveux blancs clairsemés (syndrome Marie-Antoinette). Le cycle pilaire est donc, d’une certaine façon, connecté à l’attaque auto-immune : dans son attaque du poil anagène, le lymphocyte peut avoir pour cible le kératinocyte ou le mélanocyte. Le respect des cheveux gris ou blancs et, à l’extrême, la canitie du peladique illustrée par « le syndrome de Marie-Antoinette » suggèrent l’implication d’un antigène pigmentaire, sans que ceci ne donne d’éclairage sur le déclenchement immun du processus d’attaque. L’attaque pilaire est en tout cas à l’origine d’une miniaturisation progressive des follicules sous l’effet de la répétition ou de la prolongation d’attaque des follicules. L’hypothèse pathogénique évolue : elle est celle d’un déclenchement de la maladie lié à la présentation anormale d’antigènes folliculaires de poils en phase catagène. De façon pathologique, l’apoptose cyclique de la phase catagène exposerait les antigènes pilaires aux lymphocytes activés. La phase terminale du cycle vulnérabiliserait les poils anagènes en les exposant à l’attaque des lymphocytes activés lors de la phase catagène. Biologie : génétique et groupes tissulaires L’étude du groupe tissulaire ne peut avoir de place en pratique. C’est donc dans le cadre de la recherche que l’étude de 81 familles (soit 92 patients) a retenu l’existence de différences génétiques, selon qu’il s’agit d’une pelade de caractère sporadique (DQ3, DR 11 et DR4) ou familiale (DQB, DR). En pratique, on peut retenir que DQ3 représente un marqueur de susceptibilité présent dans 80 % des pelades, et que le groupe DR4 a une forte incidence d’association à la dermatite atopique et à la thyroïdite. Mais la génétique peladique reste complexe : il existe de nombreux sites de susceptibilité situés sur plusieurs chromosomes. L’identification plus particulière du gène AIRE n’a pas de conséquence particulière, et ce sont finalement les groupes HLA qui sont déterminants dans le phénomène de présentation antigénique des antigènes folliculaires aux lymphocytes. En pratique courante, une pelade se gère donc sans bilan biologique préalable. Un bilan d’auto-immunité avec recherche d’autoanticorps anti-thyroïde ne peut être systématique, d’autant qu’en cas de positivité, il n’a pas de valeur péjorative pour la pelade. Une exploration thyroïdienne n’aura de légitimité qu’en cas d’atteinte clinique. Figure 2. Pelade ophiasique mais avec follicules visibles (possibilité de repousse). Ainsi, le bilan biologique se limite le plus souvent au prérequis nécessaire à la mise en oeuvre éventuelle d’une thérapeutique systémique immunosuppressive par cortisone ou méthotrexate. Déductions pathogéniques : approche immunogénétique Même s’il existe des arguments en faveur du rôle contributif du stress, l’implication de l’environnement est trop obscure pour en tirer un quelconque profit en thérapeutique. Il n’existe pas de recette préventive. La prescription d’anxiolytiques chez l’adulte ou l’intervention d’un pédopsychiatre chez l’enfant n’ont pas d’impact sur la repousse. En revanche, l’existence de maladies auto-immunes associées souligne le rôle clé du lymphocyte : il s’agit en particulier de thyroïdite, de vitiligo, de maladie coeliaque, d’anémie de Biermer, de polyendocrinopathies multiples, etc. Le rôle central du lymphocyte est confirmé par la transmissibilité de l’affection par greffe médullaire. Ce schéma se vérifie expérimentalement par transmission de l’homme à la souris par greffe médullaire, mais aussi en pathologie interhumaine après greffe allogénique dans la fratrie. La transmission fait intervenir des groupes HLA prédisposants et la maladie, qui est polygénique, implique beaucoup de loci. Le poids de la génétique est confirmé par la concordance d’atteinte de 55 % entre jumeaux monozygotes. La précocité de la pelade suggère un poids génétique plus lourd, puisqu’une atteinte familiale serait observée chez 37 % des malades lorsque la première plaque apparaît avant 30 ans, et chez 7 % lorsqu’elle se révèle plus tard. Pourtant, la génétique de la pelade reste obscure. La précocité de la pelade suggère un poids génétique plus lourd. En revanche, les connaissances progressent sur l’immunité du sujet peladique avec l’expérimentation : l’impossibilité de transplantation d’une plaque peladique chez une souris immunodéficiente démontre le rôle central des lymphocytes T. Ce sont les CD8 qui sont impliqués, mais le fait qu’un traitement par diphencyprone induise une augmentation de 600 % des lymphocytes CD8 (pourtant responsables de la destruction folliculaire) suggère qu’il s’agit d’un problème de dysfonctionnement plutôt que d’attaque en nombre. Figure 3. Pelade en plaque unique débutante et évolutive avec cheveux à racine effilée (en points d’exclamation). D’ailleurs l’augmentation des CD8 est encore plus importante chez les bons répondeurs à la DCP, ce qui suggère que l’amélioration clinique est liée à la restauration d’une réactivité normale aux antigènes pilaires (2). La complexité du mécanisme immunologique s’illustre dans l’échec des biothérapies comme l’éfalizumab, l’étanercept et l’aléfacept : l’attaque du follicule n’est pas empêchée par l’inhibition d’activation des lymphocytes T, ni par le blocage des signaux de co-stimulation (chez l’homme avec aléfacept). Et pourtant cette inhibition est susceptible de prévenir la survenue de pelade chez la souris greffée. Ces différentes données biologiques suggèrent que l’attaque et le maintien d’un état peladique relèvent de plusieurs mécanismes. En pratique, la notion d’une intervention immunitaire à plusieurs niveaux pourrait inciter à proposer des thérapeutiques combinées. Les modèles animaux La relation immunité/génétique peut être désormais étudiée par l’analyse du transcriptome de modèles animaux comme celui des poulets Smith atteints d’une maladie polygénique associant pelade, vitiligo et cécité. Ce modèle de poulet a la particularité d’orienter l’attention sur un déficit d’une protéine de tyrosinase avec l’implication possible d’un auto-antigène pigmentaire. Il existe d’autres animaux comme la souris pour lesquels le mélanocyte s’avère capable d’activer les lymphocytes peladiques. Les souris C3H/He ont l’avantage d’être un modèle de choix pour reproduire à l’infini la pelade par greffe de peau totale de souris peladique sur des souris C3H/HE encore indemnes (3). Avec ces nouveaux modèles, l’étude de mutations génétiques observées dans des sous-types de pelade est susceptible de donner un éclairage intéressant qui pourrait profiter à la compréhension d’autres affections auto-immunes. En dehors de la réflexion biologique, ces modèles murins ont l’avantage aussi d’être utilisables pour des recherches thérapeutiques qui font lourdement défaut. L’approche médicale En l’absence de recette thérapeutique, la prise en charge impose une évaluation préalable du rapport bénéfice/risque selon le type évolutif. Le temps d’essai de traitements topiques peut représenter une sorte de temps de réflexion qui s’avère raisonnable, puisque 60 % des pelades affectant moins de 40 % de surface repoussent totalement en 6 mois. Figure 4. Pelade à duvets en voie de repousse. D’ailleurs, dans la mesure où même des pelades décalvantes (20 %) peuvent repousser partiellement sous l’effet d’un placebo au-delà d’un an, le regard à porter sur les bénéfices thérapeutiques doit rester critique. Le patient doit être prévenu du caractère imprévisible de la maladie et du peu de données dont on dispose sur les effets secondaires et l’effet à long terme. La synthèse Cochrane est assez décevante dans la mesure où elle ne peut s’appuyer que sur 70 études contrôlées randomisées, qui ne totalisent que 540 patients soumis soit à des corticoïdes ou de la ciclosporine topiques, soit à la photothérapie dynamique ou au minoxidil… et les résultats ne seraient pas significatifs par rapport au placebo. Il n’existe rien concernant la diphencyprone, les corticoïdes intralésionnels ou l’anthraline pourtant très utilisés. Il n’existe pas non plus de preuve du bénéfice à long terme des dermocorticoïdes ou du minoxidil. Face à la multiplicité de traitements utilisables, des études randomisées s’imposent en ce qui concerne le long terme, avec prise en compte de la qualité de vie. Quel traitement ?  En attendant, le poids du vécu et des contraintes doit guider le choix, en préférant l’abstention thérapeutique dans certaines situations : – absence de demande ; – femme enceinte ou enfant, pour certaines topographies (cils, barbe, ongles) ; – et en cas de faible probabilité de repousse sous traitement (pelades universelles ou décalvantes totales et/ou sans duvet, cuir chevelu déshabité, pelades ayant déjà résisté à des traitements majeurs).  Un traitement local reste préférable pour des pelades récentes de moins de 3 mois et de moins de 30 % de surface. Le minoxidil en adjuvant de la corticothérapie locale reste de bonne recommandation, de même que l’anthraline à 1 %. Les traitements locaux sont à privilégier chez l’enfant. Un traitement local est préférable pour des pelades récentes de moins de 3 mois et de moins de 30 % de surface.  Actuellement, beaucoup de services hospitaliers ont pris l’option préférentielle de bolus corticoïdes. D’après l’étude japonaise de T. Nakajima et coll. (4), l’effet est plus favorable quand il s’agit de pelades de moins de 6 mois (59,4 % de réponse) et moindre en cas de pelades de plus de 6 mois (15,8 %). La surface atteinte intervient aussi : le bénéfice est de 88 % en cas de surface atteignant moins de 50 %, contre 21 % pour une pelade totale (récente). L’intérêt de cette étude portant sur 139 cas de pelades de moins de 12 mois est aussi de rassurer sur les risques d’effets secondaires. La question reste de savoir si les bolus doivent être pratiqués sur le modèle pédiatrique (5 mg/kg en une journée/mois pour un programme de 5 bolus), ou sur un protocole plus lourd (500 mg/j pendant 3 jours et ceci pendant 3 mois). Avec ce programme, P. Luggen et T. Hunziker (5) ont observé une repousse complète dans 4/10 pelades multifocales et 3/9 pelades ophiasiques, soulignant le bénéfice supérieur en cas d’épisode initial de courte durée.  L’association éventuelle avec le méthotrexate est aussi à envisager sur la base de l’étude de P. Joly (6) portant sur 22 patients : le méthotrexate seul, à la dose de 20 à 25 mg donnait 50 % de repousse dans un délai de 6 mois, et versus 64 % en cas d’association à une corticothérapie orale quotidienne (20 mg/j). Une association au méthotrexate pourrait assurer un relais thérapeutique au-delà de trois bolus. En ce qui concerne les enfants, l’efficacité des bolus est bonne mais la rechute constante (7), ce qui réduit l’enthousiasme. Quant à l’efficacité du méthotrexate, elle semble inférieure à celle de l’adulte : chez ce dernier, 2 sur 3 repoussent mais avec 50 % de rechute à l’arrêt, tandis que chez l’enfant, la repousse ne s’observerait que dans 30 % des cas. Dans l’attente d’autres études, il est acceptable d’envisager l’association méthotrexate/ corticoïde.   Les autres propositions thérapeutiques gardent un caractère plus anecdotique : rien de neuf sur le laser excimer pour lequel étaient signalées 4 repousses sur 8, ou sur la diode pulsée. À signaler, des observations ponctuelles sur l’efficacité de la sulfasalazine : T. Rashidi et A.A. Mahd (8) l’ont utilisée dans 39 cas de pelades récalcitrantes avec 25 % de bonne réponse, et 30 % de réponse modérée, ce qui lui confère la place d’un traitement alternatif de dernière ligne. La ciclosporine et autres immunosuppresseurs et les biothérapies anti-cytokines sont en revanche totalement décevants. Quant aux promesses d’une repousse supérieure à 50 % avec une préparation de bexarotène en gel (apoptose de l’attaque inflammatoire), l’impossibilité de s’en procurer résout la question. 

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