Publié le 11 déc 2007Lecture 15 min
Les cheveux crépus : particularités et traitement des alopécies
C. FITOUSSI, Paris
Ces alopécies sont un problème très courant : dans la première enquête épidémiologique réalisée en 2004 dans la population noire en région parisienne(1), elles constituent 7 % des motifs de consultation. Cependant, en pratique, ce problème est bien plus fréquent : il est souvent abordé au cours d’une consultation pour un autre motif, parfois même en toute fin de séance, et les praticiens orientés sur cette population ont l’habitude d’entendre cette petite phrase : « Docteur, est-ce que vous vous occupez aussi des cheveux ? ».
Avant tout, soulignons que si une grande partie de ces alopécies est effectivement liée aux caractéristiques anatomo-physiologiques du cheveu crépu et à des habitudes de coiffure spécifiques, cela ne doit pas faire passer à côté d’une alopécie de cause classique. La démarche diagnostique doit être la même qu’en dermatologie générale. Les particularités anatomiques et physiologiques du cheveu crépu Le cheveu crépu présente deux particularités anatomiques(2) : – sa forme en section transversale est aplatie, alors que le cheveu « caucasien » présente une section ovale et le cheveu asiatique une section ronde ; – lors de sa croissance, la tige pilaire tourne sur elle-même en spirale à partir d’un follicule lui-même concave en haut(3), alors que le cheveu asiatique pousse « droit » et que le cheveu « caucasien » est plus ou moins ondulé. Ces éléments expliquent l’aspect crépu des cheveux, donc la tendance à l’emmêlement et aux nœuds, et ce d’autant plus que la faible sécrétion de sébum au niveau du cuir chevelu limite le glissement. Par ailleurs, la résistance à la traction est inférieure à celle des autres cheveux(4), bien qu’aucune différence dans la composition biochimique ne soit retrouvée(5). Toutefois, le rôle des habitudes cosmétiques est difficile à apprécier. Enfin, ces caractères sont plus ou moins nets selon qu’un métissage blanc ou asiatique les module, en particulier aux Antilles où, par exemple, les descendants des « Coolies » ont des cheveux de type indien : lisses solides et parfois très longs. Confirmer le diagnostic d’alopécie C’est un problème moins simple qu’il n’y paraît. En effet, un bon nombre de consultations pour des « trous » ou des « chutes » sont à rattacher à des dystrophies acquises laissant des zones de cheveux fins et courts sans alopécie vraie ; or les deux problèmes peuvent coexister. Le test de traction est donc essentiel selon que la main ramène des cheveux entiers télogènes ou des fragments de cheveux « précassés ». Le diagnostic étiologique est souvent facile voire évident à établir (tableaux 1 et 2). La biopsie est indiquée en cas de doute diagnostique, en particulier si le cuir chevelu présente un aspect pathologique. Par ailleurs, elle peut avoir un intérêt pronostique sur les possibilités de récupération (coupes horizontales). Le diagnostic d’alopécie est confirmé par le test de traction. Les alopécies spécifiques les plus courantes (6) Alopécie de traction des tempes Très courante, l’alopécie par traction des tempes (figure 1) est constituée d’une zone de cheveux fins, clairsemés voire glabre, avec une limite nette entre l’implantation normale en arrière et presque toujours une petite ligne de cheveux à la limite antérieure. On constate parfois la présence de pustulettes et d’un érythème périfolliculaire. Figure 1. Alopécie de traction des tempes. Cette pathologie est liée au tressage régulier depuis l’enfance par un mécanisme d’inflammation chronique des follicules aboutissant à leur atrophie progressive. Une hypothèse personnelle pouvant expliquer cette topographie très particulière serait que les follicules de cette zone de transition entre le cuir chevelu et la peau seraient plus sensibles et que la traction s’y exerce « à contre-poil ». Le traitement est avant tout préventif : ne pas tresser serré à ce niveau (informer les mères). Le traitement ne peut être efficace qu’au stade initial et nécessite évidemment l’arrêt définitif des tractions. En cas de lésions inflammatoires, les dermocorticoïdes peuvent être utiles. Le minoxidil à forte concentration est le seul traitement relativement efficace, avec cependant dans cette topographie un risque majoré de pilosité du visage. Cette zone peut heureusement être facilement dissimulée par une coiffure adaptée. Le traitement de l’alopécie par traction des tempes est avant tout préventif : ne pas tresser serré à ce niveau. Alopécie centrifuge du vertex Cette alopécie très particulière touchant essentiellement la femme noire est caractérisée par une raréfaction progressive des cheveux à partir du vertex, sur un cuir chevelu le plus souvent aminci et brillant (figure 2). Figure 2. Alopécie centrifuge du vertex débutante. Elle a été longtemps considérée comme la conséquence directe du défrisage à chaud (« hot comb alopecia »)(7), mais il est actuellement évident (puisque cette technique n’a quasiment plus cours) que les autres pratiques cosmétiques sont aussi en cause. Cette pathologie est liée à une atteinte évolutive du follicule, le syndrome de dégénérescence folliculaire(8), au cours duquel il subit une desquamation prématurée de sa gaine interne ; la tige pilaire migre alors hors du follicule avant son émergence, entraînant une inflammation puis une atrophie progressive. Ce mécanisme complexe encore mal connu est difficile à enrayer : la suppression des agressions thermiques et chimiques est impérative ; les corticoïdes locaux (ou en intralésionnel) sont efficaces en cas de composante inflammatoire, mais si la stabilisation est possible, il existe peu de possibilités de régression. Si la stabilisation d’une alopécie centrifuge du vertex est possible, il existe peu de chances de régression. Folliculites « décalvantes » et folliculite fibrosante de la nuque Elles sont fréquentes chez l’homme, dues principalement à la pratique du rasage du crâne (figure 3) et souvent favorisées par le prurit lié à la parakératose chronique, fréquente sur ce terrain. Figure 3. Zones alopéciques sur folliculite diffuse. Au début, souvent brutal et souvent après une séance chez le coiffeur, elles peuvent présenter une intensité variable : depuis quelques petites pustules disséminées, rapidement excoriées jusqu’à des formes diffuses ou des collections suppurées, dont la classique cellulite disséquante du scalp pourrait être la forme majeure. En l’absence de traitement, ces atteintes laissent des zones d’alopécie cicatricielle plus ou moins diffuses. Au niveau de la nuque, l’évolution est particulière du fait de sa tendance fibrosante pseudo-chéloïdienne (ancienne acné chéloïdienne de nuque) ; en effet, sur cette zone, les lésions inflammatoires cicatrisent sous formes de petites lésions papulo-pustuleuses indurées (figure 4). Figure 4. Folliculite fibrosante de nuque. En cas de poursuite du rasage et en l’absence de traitement, les lésions se multiplient, s’étendent et peuvent devenir coalescentes jusqu’à former une plaque dure, plus ou moins épaisse, alopécique (ou avec quelques follicules polytrichiques). Le traitement nécessite avant tout l’interruption du rasage jusqu’à guérison ainsi qu’à chaque rechute, mais aussi : – au stade inflammatoire/infectieux : antibiothérapie locale et/ou générale (celle-ci pouvant être préconisée de façon prolongée en cas de folliculite chronique) ; – au stade fibrosant débutant : corticothérapie locale ou intralésionnelle (seringue vissée, car forte pression et geste très douloureux) ; – au stade fibrochéloïdien : cryothérapie, chirurgie d’exérèse (punch, laser CO2 ou chirurgie classique) avec un risque chéloïdien relativement faible ; – quant à l’alopécie proprement dite, les traitements dermatologiques classiques ont évidemment peu d’action sur ces follicules détruits, mais ils peuvent contrôler les facteurs associés : parakératose et alopécie androgénique. Les habitudes cosmétiques en cause… Ces alopécies étant liées à des habitudes cosmétiques spécifiques, il est utile de les décrire brièvement. Elles sont rendues nécessaires par les difficultés à démêler et coiffer le cheveu crépu naturel dès qu’il dépasse quelques centimètres(9) et par le désir d’obtenir une coiffure s’adaptant aux nécessités de la mode et de la vie à l’européenne (tableau 3). Le tressage naturel est la coiffure la plus simple pour les fillettes, les adolescentes et les femmes plus âgées, ainsi que les garçonnets « jusqu’à l’âge de la parole » et une partie des adolescents : – nattes plus ou moins nombreuses, après quadrillage de la chevelure ; – nattes plates, tressées en couronne autour de la tête ; – nombreuses petites nattes en rangées parallèles dites « tresses couchées » avec une grande diversité de dessins formés sur le cuir chevelu ; – fines nattes longues, libres ou liées : les « vany ». Ces tresses ne sont pas défaites entre les shampoings, ce qui facilite l’entretien car le démêlage toujours laborieux est ainsi moins fréquent. Les tresses avec rajouts Cette technique consiste à ajouter des mèches de cheveux (habituellement synthétiques) en les mêlant par un habile tressage aux vrais cheveux depuis leur base jusqu’à leur extrémité. Elles sont ensuite tressées seules et permettent ainsi des coiffures de couleur et de longueur variables. Cette coiffure complexe est réalisée en salon ou à domicile entre amies au cours de longues séances de plusieurs heures ; elle est coûteuse, mais d’entretien facile ; elle est laissée 2 mois environ jusqu’à ce que la repousse détende la base des tresses. Elle peut entraîner également des alopécies de traction, car pour obtenir un résultat naturel et durable, le tressage doit être serré au maximum au départ, et les rajouts sont souvent lourds. Les tissages Il s’agit de postiches partiels ajoutés à la chevelure tressée en couronne, soit en les cousant, soit en les collant ; cette coiffure très technique (proche des extensions) ne peut être réalisée qu’en salon. Elle permet une grande variété de coiffures d’aspect très naturel. Si le tressage en « couronne » est moins directement traumatisant, on observe cependant des alopécies de traction car ces postiches sont souvent lourds. De plus, cette technique nécessite parfois un défrisage de la partie proximale si celle-ci reste découverte. Par ailleurs, des réactions allergiques ont été décrites tant au matériau du postiche qu’aux colles utilisées pour son maintien. Le défrisage C’est la seule façon d’avoir une coiffure « à l’européenne », et plus des trois quarts des femmes y ont recours. • à chaud : pratiqué à l’aide de fers ronds ou plats chauffés, appliqués sur les cheveux après utilisation d’une huile, cette technique est à ce jour pratiquement abandonnée ; son effet ne persiste qu’une quinzaine de jours jusqu’au shampoing suivant et il ne permet pas de coiffures variées. C’est la première cause connue d’alopécie centrifuge du vertex(7). • à froid, (défrisants chimiques). Les produits utilisés créent une modification durable de la courbure du cheveu en rompant puis réarrangeant les ponts disulfures selon la forme choisie, plus ou moins lisse. Le principe actif le plus utilisé actuellement est le carbonate de guanidine, « défrisage sans soude », à la fausse réputation d’innocuité. Il existe un risque de dermite allergique ou caustique du cuir chevelu, avec parfois des accidents aigus. Mais la principale complication est la fragilisation du cheveu : la fibre capillaire altérée devient très fragile, avec un calibre irrégulier, d’autant plus que s’ajoute un état de trichorrhexis nodosa acquis. Ainsi, toute manipulation, shampoings, passages du peigne (même à larges dents), brossage, mais aussi frottement des cols ou d’une coiffe cassent de petits fragments de l’extrémité des cheveux, surtout à leur partie distale (qui a subi le plus grand nombre de défrisages). Cet état donne à la longue l’impression d’absence de croissance (plainte fréquente), surtout au niveau des tempes et de la nuque (figure 5), mais il faut bien expliquer qu’il s’agit en fait d’une absence d’allongement tout à fait réversible à l’arrêt du défrisage. Figure 5. Nuque avec cheveux cassés très courts et « ne poussant pas ». Il n’existe pas de traitement pouvant « réparer » les cheveux ainsi abîmés, malgré l’abondance de produits dits « gainants » ou « réparateurs ». Il faut donc conseiller temporairement une coupe courte, éventuellement avec rajouts, et soutenir cette nécessaire période de « repos » des cheveux par un apport de vitamines soufrées et de minoxidil. Le rôle aggravant du défrisage chimique dans l’alopécie centrifuge du vertex ne fait plus de doute. Conduite à tenir Peut-on changer les habitudes cosmétiques ? Ce changement indispensable pourrait paraître aisé (« Vous n’avez qu’à arrêter les défrisages »), mais il est en pratique bien difficile à réaliser et une attitude consistant à interdire autoritairement ces pratiques serait irrecevable et irréaliste. En effet, il est quasiment impossible pour une femme ayant toujours eu une coiffure à l’européenne grâce à un artifice (défrisage ou tissage) de soudainement apparaître avec des cheveux crépus ! De même, le rasage du crâne chez les hommes est actuellement la seule coiffure « en vogue » ; en outre, elle permet de dissimuler un début de calvitie ou de canitie. Par ailleurs, la responsabilité de la technique en cause, même évidente, est souvent contestée en raison de son caractère généralisé et ancien. L’image « soft » habilement véhiculée par les marques cosmétiques, avec la mention « sans soude » bien en évidence sur tous les défrisants, occulte le fait qu’une action durable passe nécessairement par une altération profonde du cheveu. Pour obtenir au moins une stabilisation, il faut donc savoir proposer une ou plusieurs alternatives réalistes et, pour cela, rester informé des habitudes et des modes en cours. Les possibilités de récupération dépendent avant tout du stade évolutif. En pratique, l’abandon du défrisage est difficile voire impossible à obtenir. Autres points notables… Certains points, autres que cosmétiques méritent également d’être soulignés. La carence martiale Elle est extrêmement répandue chez les femmes noires, la première raison étant la fréquence plus élevée des fibromes utérins (évaluée au double de l’ensemble des autres femmes), dont l’alopécie est parfois la circonstance de découverte. Ces fibromes apparaissent relativement tôt, répondent mal aux traitements médicaux et récidivent souvent après exérèse. D’autres causes sont courantes et parfois associées : – certaines hémoglobinopathies constitutionnelles ; – la multiparité et l’allaitement traditionnellement prolongé. Le traitement par recharge en fer doit être prolongé et il faut s’informer des habitudes réduisant son efficacité : absorption de thé ou de kaolin (loin d’être anecdotique dans certaines régions d’Afrique). L’hyperandrogénie par « hypersensibilité des récepteurs ». Il est courant de constater chez les femmes noires, en dehors de toute anomalie endocrinienne, un « climat » d’hyperandrogénie, avec en particulier une implantation de type masculine de la pilosité pubienne, quelques poils sur le menton (dont seules témoignent parfois de petites hyperchromies secondaires à l’arrachage itératif à la pince), une tendance acnéique et une alopécie de type androgénique. Dans ces cas, le traitement par acétate de cyprotérone est indiqué et efficace. Il l’est évidemment d’autant plus en cas de troubles des règles évocateurs d’ovaires polykystiques et d’anomalies biologiques. La fréquence des causes intriquées En pratique, il n’est pas rare qu’une patiente présente à la fois sur fond de carence martiale et de climat hyperandrogénique, des anomalies liées aux tractions et aux défrisages répétés. Dans ces cas, l’association des traitements – recharge en fer et soufre, acétate de cyprotérone, minoxidil, traitement de la parakératose et surtout interruption des pratiques aggravantes – peut être spectaculairement efficace. Carence martiale et hyperandrogénie s’ajoutent souvent aux effets néfastes des pratiques cosmétiques. Prise en charge chirurgicale Alors que ces alopécies sont très fréquentes, avec retentissement notable, le recours aux greffes est exceptionnel. • Sur le plan technique, la forme incurvée du follicule (figure 6) rend délicate la préparation des greffons (risque de traumatisme). Figure 6. Greffons de cheveux crépus. Par ailleurs, il est parfois difficile de trouver une zone donneuse, les différents mécanismes en cause n’épargnant pas toujours la zone occipitale. Enfin, la cicatrisation toujours aléatoire sur ce terrain peut gâcher le bénéfice esthétique par une évolution chéloïdienne de la zone donneuse. Notons, cependant, un fait positif essentiel : le caractère crépu rend le résultat bien meilleur avec peu de greffons grâce à son pouvoir plus couvrant. • Dans la pratique, cette possibilité est souvent ignorée ou accompagnée d’idées reçues négatives. Les réserves sont aussi et surtout d’ordre financier. En effet, si les personnes sont prêtes à des dépenses relativement notables pour leur apparence, la perspective d’engager une somme importante pour des greffes reste un obstacle évident. Conclusion Les alopécies du sujet noir constituent un problème très fréquent, le plus souvent de causes intriquées, à la fois constitutionnelles et exogènes. La prise en charge comporte un traitement médical adéquat, mais aussi une part de conseils réalistes sur les alternatives des pratiques, ainsi qu’une information sur d’éventuelles possibilités chirurgicales. Ainsi, ces problèmes longtemps réservés aux coiffeurs intéressent actuellement les dermatologues et les chercheurs. De plus, les implications commerciales majeures ont amené également de grandes firmes cosmétiques à investir dans ce domaine(10), car la fréquence des complications impose de trouver rapidement des solutions, qui pour l’instant sont surtout préventives. Souhaitons que cette synergie de compétences aboutisse à la mise au point de produits et de techniques satisfaisantes.
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