Publié le 03 juil 2007Lecture 8 min
Les pathomimies : des situations complexes où le dermatologue ne peut se dérober
L. Misery, Service de Dermatologie, CHU Brest
Maladie provoquée par le patient lui-même, au niveau de son revêtement cutanéo-muqueux ou de ses phanères, la pathomimie ou dermatitis artefacta, ou syndrome de Pölle (chez l’enfant), est un des problèmes les plus complexes de la dermatologie.
Diagnostiquer Devant des aspects très variés, le diagnostic de pathomimie ne peut se faire qu’avec un faisceau d’arguments. Aux arguments négatifs (pas de diagnostic de dermatose connue), il faut ajouter des arguments positifs : lésions aux contours nets, souvent géométriques, situées sur des zones facilement accessibles ; début brutal mais flou ; récidives inexpliquées (sauf par des événements de vie) ; amélioration ou guérison des lésions sous occlusif ou plâtre ; grande tolérance pour des lésions très affichantes. Figure 1. Plaies stigmatiformes auto-induites. Les aspects cliniques peuvent être très variés, les possibilités de l’inconscient semblant sans limite : plaies (figure 1), brûlures, abcès, granulomes à corps étrangers, érythèmes, ecchymoses, eczémas, dermatoses auto-aggravées (eczéma, uriticaire, psoriasis, etc.), sans que cette liste soit limitative. Le diagnostic est difficile et il faut donc éliminer les diagnostics différentiels (encadré 1). Encadré 1. Diagnostics différentiels des pathomimies. Autres dermatoses (en particulier figurées). Traumatismes, agressions, sévices, syndrome de Münchhausen par procuration. Simulation, masochisme (bénéfice secondaire). Trichotillomanie, excoriations neurotiques, onychotillomanie ou -phagie, scarifications : pas de secret. Lésions induites chez les psychotiques. Maladies auto-induites non cutanées : syndrome de Lasthénie de Ferjol... Hystérie, névrose de conversion. Hypocondrie. Syndrome de Münchhausen : – création artificielle de symptômes et même de maladies complexes, avec souvent une atteinte cutanée ; – plutôt chez les hommes ; – demande importante d’examens et de médicaments ; – troubles de personnalité plus hystériques ou psychotiques, affabulation. Après avoir éliminé les dermatoses classiques, il faut garder à l’esprit que des lésions induites peuvent l’être par autrui. Enfin, il ne faut pas confondre les pathomimies avec d’autres troubles psychiatriques de nature différente, qui sont du registre névrotique ou psychotique. Après avoir éliminé les dermatoses classiques, il faut garder à l’esprit que des lésions peuvent être induites par autrui. Comprendre Les pathomimes sont en général des femmes. Le rôle important du secret, bien qu’il y ait une volonté inconsciente de « délivrer un message », ne doit jamais être oublié. Sur le plan nosographique, on pourrait situer la pathomimie dans le domaine des états limites : à la frontière entre névrose et psychose, difficulté à concevoir et établir la limite entre les mondes intérieur et extérieur (problématique du moi-peau). On retrouve souvent un masochisme (non sexuel) important, c’est-à-dire une tendance à rechercher activement des situations de souffrance physique ou morale ; une pauvreté des investissements relationnels ou sociaux, un désert affectif ; une dépendance affective intense ; une fragilité narcissique importante, une carence affective dans l’enfance (parfois des violences), et une dépression associée. La pathomimie semble survenir dans un état de conscience particulier. Celui-ci est clair en général, sauf vis-à-vis du trouble. Il semble que des actes compulsifs surviennent au cours d’états schizoïdes. Il existe une sorte d’association paradoxale entre une demande de soins et l’induction de lésions, entre une demande de soins et une absence de demande de guérison, entre une souffrance sincère et une manipulation du médecin. Finalement, c’est le règne de l’ambivalence. Le praticien aura l’impression qu’il existe un îlot psychotique, un clivage du moi, partagé entre le déni et la demande d’aide. Lorsque les patientes disent : « Je ne comprends pas comment ça arrive », il faut comprendre « dans mon psychisme ». Il existe un « blanc psychique » : ces malades figurent à l’extérieur ce qu’elles ne peuvent se représenter à l’intérieur. Il existe un « blanc psychique ». En fait, trois types de personnalités pathologiques correspondent aux pathomimies. Le premier type rassemble des sujets « bizarres », excentriques : on peut alors les rapprocher des personnalités paranoïaques, schizoïdes, schizophrènes. D’autres pathomimes – instables, capricieuses, émotives – se rangeraient plutôt parmi les personnalités hystériques, narcissiques, borderline, psychopathes. Enfin, certaines pathomimes sont surtout anxieuses : personnalités évitantes, dépendantes, obsessionnelles, compulsives. La place du symptôme est variable et longtemps mystérieuse, cachée. S’agit-il d’un appel au secours ? d’une conjuration d’événements traumatisants ? d’une mise en scène d’abandons présents ou passés ? d’une mise à nu de zones du schéma corporel détruites et réactivées par un stress, ou d’autre chose ? Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de motif rationnel, mais des mécanismes plus ou moins inconscients qui conduisent à afficher le symptôme sur la peau et à rechercher ses propres limites. Que faire ? Le dermatologue est le médecin choisi, il ne peut pas se dérober. Il a un rôle très important car il se trouve acteur de la maladie et son attitude conditionne l’évolution. Il doit donc tenter d’avoir une attitude adaptée. Il n’est pas facile de garder l’esprit ouvert à la possibilité de lésions induites par le patient ! Il est fondamental de ne pas délivrer de diagnostic, vrai ou faux, tout en montrant que l’on a compris. Il faut essayer de masquer ses sentiments hostiles, accepter d’être un peu manipulé, d’être un objet investi de manière très ambivalente et tolérer échecs et récidives, qui ne manqueront pas de survenir, « en connaissance de cause ». Bref, il faut savoir être patient ! Quelques « clés » doivent toujours être gardées à l’esprit (encadré 2). Encadré 2. Que faire ? Les points forts à retenir. Ne pas leur faire perdre la face. Discuter pour orienter progressivement du somatique vers le psychologique. Montrer que l’on attache de l’importance à la souffrance psychologique, en sous-entendant que l’on ne juge pas son mode d’expression. Ne transférer à un psy que lorsque les aspects psy ont été abordés, souvent en utilisant la dépression associée. Continuer à suivre le sujet au cours de sa prise en charge psy et l’annoncer dès le départ. Ne pas se sentir visé par les mouvements affectifs (hostilité ou dépendance affective) : ils reproduisent souvent ceux qui étaient noués avec les figures parentales de l’enfance. Ne jamais révéler le diagnostic ou chercher à obtenir un aveu forcé : – vécu comme atteinte de l’intégrité ; – conséquences : aggravation, rupture, délire, suicide. Le dermatologue est le médecin choisi, il ne peut pas se dérober. Ainsi, le médecin peut être un agent thérapeutique ou un agent pathogène. Son rôle n’est pas uniquement celui d’un médecin, mais il a une fonction propre dans la maladie, ce qui est assez unique en dermatologie. Le médecin peut être un agent thérapeutique ou un agent pathogène. Comment traiter ? La prévention et le traitement des lésions par des pansements et des soins adaptés, en motivant le patient, sont importants. Curieusement, les soins sont faits consciencieusement par les pathomimes, même si elles continuent à créer de nouvelles lésions. La place de l’hospitalisation est à discuter. La manière dont le dermatologue la présente est très importante. Il ne doit pas s’agir d’un abandon mais d’une prise en compte de la souffrance, tout au moins c’est le message qu’il faut tenter de faire passer. Le principal intérêt de l’hospitalisation est l’éloignement de l’entourage. Des antidépresseurs peuvent être prescrits s’il existe des symptômes dépressifs, mais ce sont les seuls psychotropes qui puissent être utiles. En revanche, les psychothérapies d’inspiration analytique ont toute leur place. Leur succès dépend beaucoup de trois facteurs : leur réalisation par un psychiatre ou un psychologue formé à la psychosomatique ; la motivation de la patiente (la dépression étant souvent la meilleure « porte d’entrée ») ; la manière dont le dermatologue présente cette possibilité. Le pronostic est très mal connu. Les facteurs positifs sont le lien entre la pathomimie et un événement ou un contexte précis, l’âge jeune, une personnalité dépendante ou hystérique, des changements positifs dans les relations affectives, la qualité de la coordination des soignants, la qualité de la relation avec un psychothérapeute et le début précoce du traitement. Les facteurs négatifs sont les structures de personnalité très pathologiques (paranoïaque, schizoïde, schizophrène, borderline, psychopathe) et un conflit entre le malade et le médecin… Conclusion En pratique, on retiendra que les pathomimes ne peuvent pas réagir autrement qu’elles le font. Il faut donc tenter de s’adapter à ces malades qui demandent des soins pour les lésions qu’elles ont créées, ce qui est difficile à imaginer pour un esprit rationnel. Mais les pathomimes, ou une partie d’entre elles, ne peuvent pas être rationnelles. Il faut donc essayer de leur faire comprendre qu’on a compris, sans jamais le dire, ce qui les amènera progressivement vers une prise en charge conduisant à la verbalisation, et alors souvent à la guérison…
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