Publié le 01 déc 2008Lecture 15 min
Peeling aux AHA. De la bonne indication à la bonne pratique : l’heure du choix.
I. HELIOT-HOSTEN, Bordeaux
Les peelings aux AHA ou acides de fruits, dont le chef de file est l’acide glycolique (AG), sont des peelings superficiels aux nombreuses applications. Les AHA sont kératorégulateurs en stimulant la desquamation des cornéocytes. Ces peelings sont très appréciés des dermatologues en raison de leur bénéfice esthétique, d’une absence d’éviction sociale pour le patient, et de leur facilité de réalisation. Ils ne sont pas photosensibilisants et peuvent être utilisés pour tous les phototypes, même élevés. Ils nécessitent toutefois une bonne connaissance de leurs indications et des techniques d’application pour éviter certains effets secondaires et la déception des patients vis-à-vis des résultats.
Généralités sur les acides de fruits Les vertus des acides de fruits sont connues empiriquement depuis l’Antiquité. Cléopâtre, reine d’Égypte, aimait à prendre des bains de lait d’ânesse pour la douceur de sa peau (acide lactique). Les Espagnoles et les Anglaises à la Renaissance utilisaient le jus de citron sur le visage (acide citrique), les femmes à la cour de France des extraits de vin rouge (acide tartrique). Les Polynésiennes utilisent depuis longtemps des extraits de canne à sucre pour les soins du corps et du visage (acide glycolique). Les alpha-hydroxy-acides (AHA) sont des acides non toxiques présents à l’état naturel dans les aliments et les végétaux. Ce sont des acides faibles avec un pKa de 3,8. Les plus connus sont l’acide glycolique et l’acide lactique, mais existent aussi l’acide citrique, l’acide mandélique et l’acide tartrique. Ils entrent dans la catégorie des peelings superficiels dont l’action s’étend du stratum granulosum pour les plus légers d’entre eux jusqu’à la basale épidermique pour les moins légers. Leur action exfoliante chimique se fait par un mécanisme essentiellement métabolique. Leur pH acide, proche de leur pKa, leur donne un effet kératorégulateur et, à forte concentration, un effet potentiellement toxique. Les AHA se neutralisent par eux-mêmes en coagulant les protéines de l’épiderme. Ils sont plus stimulants que destructeurs. Ils peuvent être utilisés seuls (AG) ou combinés à un autre AHA. La profondeur de leur pénétration dans l’épiderme est liée à la petite taille de leur molécule, telle celle de l’AG, la plus petite, à deux atomes de carbone, hydrophile et de faible poids moléculaire. Pour obtenir une élimination de la couche cornée, l’induction d’une acanthose et l’augmentation de l’épaisseur de la granulosa, la répétition des peelings AHA est nécessaire. Une efficacité démontrée Leurs effets sur la kératinisation sont connus depuis les années 70 (Van Scott et Yu). Dans les années 90, leur efficacité sur les dommages actiniques a été mise en évidence, avec une augmentation significative de l’épaisseur du derme et de l’épiderme et un certain « effet reverse » sur le photovieillissement (1). Au début des années 2000, leur action sur la matrice extracellulaire a été plus étudiée, avec une augmentation de l’acide hyaluronique épidermique et dermique, de l’expression du collagène I, de l’expression des glycosaminoglycanes dermiques et du réarrangement de la matrice extracellulaire chez les patients traités par AHA (2,3). L’heure du choix Les objectifs d’un peeling aux AHA sont l’obtention d’une peau plus lisse, plus ferme, d’un grain plus fin, des pores resserrés, d’un lissage des irrégularités, mais aussi d’un lissage pigmentaire et le remplacement d’un teint « gris jaune » héliodermique par un teint rosé. Ils répondent classiquement à un photovieillissement modéré type Glogau II. Les critères du choix L’AHA le plus simple, le plus connu et le plus utilisé est l’acide glycolique. Pour choisir son peeling à l’AG, il faut connaître l’importance de l’excipient, de la formulation et du pH. Les excipients en gel ralentissent la délivrance de l’actif ; leurs résultats sont moins rapides, mais ils sont très bien tolérés par les peaux sensibles. Les solutions aqueuses traversent très vite la couche cornée ; la réponse est plus rapide au prix d’une desquamation souvent plus importante. L’acide glycolique est l’AHA le plus simple et le plus connu des peelings superficiels. Différentes solutions d’AG existent. Les solutions d’AG libre, non neutralisé, ont un pH qui varie de 0,6 (solution à 70 %) à 1,7 (solution à 20 %). Leur biodisponibilité et leur réactivité sont grandes au risque d’un érythème et d’une épidermolyse. Les solutions d’AG partiellement neutralisé (acide + base [glycolate d’amonium, par exemple]), ainsi que les formulations tamponnées permettent une augmentation du pH autour de 3,8 en moyenne, améliorant la tolérance. Enfin, il existe des solutions estérifiées ; elles seraient moins irritantes mais la stabilité du dimère cytril-glycolate demande confirmation. Il faut vérifier le pH de solutions d’AHA associés dont le pH est souvent bas (entre 0,5 et 1). L’acide glycolique (AG) est le chef de file des acides de fruits. L’indication de choix d’un peeling à l’AG est le photovieillissement modéré avec un lissage des irrégularités, des ridules et l’obtention d’un teint plus éclatant. Évaluation et choix des patients Il faut bien connaître les préoccupations des patients, leur décrire des résultats réalistes, le déroulement du postopératoire, leur préciser les risques et établir une relation de confiance. Le recueil des antécédents est primordial. Une prophylaxie de l’HSV est nécessaire si le patient a des poussées d’herpès ; chez les patients VIH, les peelings sont déconseillés ; les antécédents de radiothérapie peuvent entraîner un retard de cicatrisation par destruction des annexes pilo-sébacées. Six à 12 mois d’attente sont nécessaires après un traitement par isotrétinoïne, une dermabrasion ou un relissage ablatif. Le comportement vis-à-vis du soleil et du tabac doit être précisé. Le dermatologue précise le degré du photovieillissement, le phototype, l’extension de la pigmentation à la lampe de Wood, un mélasma éventuel, la qualité de la sécrétion sébacée. Certaines dermatoses inflammatoires, comme la dermite séborrhéique, le psoriasis ou l’eczéma, doivent être traitées préalablement au risque d’une absorption accrue de l’agent exfoliant ou de phénomène de Koebner dans le cas du psoriasis. Certains topiques, comme la trétinoïne, l’adapalène, le tazarotène, les peroxydes de benzoyle, le 5-fluoro-uracile ou l’imiquimod, doivent être stoppés au moins une semaine avant le peeling pour éviter les épidermolyses. De façon générale, et plus particulièrement en cas de prise d’agents photosensibilisants (cyclines…), l’usage d’écran solaire haute protection en postopératoire est indispensable. Les zones à traiter sont déterminées avec le patient. Le visage est la demande la plus fréquente, mais toutes les zones photo-exposées peuvent être traitées. Des précautions sont prises pour le cou, qui est une zone fragile et qui requiert des concentrations d’AHA plus faibles. De même pour les peaux sensibles, les peaux atopiques, les patients atteints de rosacée qui nécessitent des concentrations plus faibles d’AHA. Les résultats sont soumis à la répétition des traitements, avec des séances à intervalles réguliers (15 jours-1 mois), dont le nombre dépend de la peau traitée et des défauts à corriger. Le patient est informé de l’augmentation progressive des concentrations du peeling au fil des séances. Le patient est informé de l’augmentation progressive des concentrations du peeling au fil des séances. Contre-indications Une infection herpétique active, des verrues planes, les Mollusca contagiosa sont des contre-indications provisoires, au risque d’une dissémination virale. L’utilisation d’agents dépilatoires, de cires, de lasers épilatoires, d’éponges gommantes, de masques, doit être interrompue une semaine avant le peeling en raison du risque d’effraction épidermique qui majore la pénétration de l’exfoliant. La grossesse est une contre-indication de principe, ainsi que les patients qui ne respectent pas la photoprotection. L’usage d’écran solaire haute protection en postopératoire est indispensable. Préparation du patient et réalisation Notion de peau préparée ou « pré-peel » L’objectif est d’amincir la barrière épidermique, de favoriser une pénétration homogène de l’exfoliant, d’accélérer la cicatrisation et d’atténuer les effets secondaires. Ce traitement préalable est réalisé par le patient au domicile pendant les 2 à 4 semaines qui précèdent le peeling. Cette phase permet d’évaluer aussi la tolérance de l’agent chimique et la présence éventuelle d’allergie. Pour les phototypes foncés, un agent dépigmentant peut être associé afin de prévenir l’hyperpigmentation post-inflammatoire. Les agents préparateurs topiques correspondent souvent à un protocole proposé par le laboratoire du peeling choisi. Pour les peelings à l’AG, une solution d’AG de 8 à 20 % est appliquée. Des concentrations croissantes peuvent être proposées et des formulations différentes en fonction des types de peaux (crème pour les peaux sèches, gel pour les peaux grasses, lotion…). Le traitement est appliqué 1 fois/j pendant 15 jours puis matin et soir pendant 15 jours. Le dermatologue laisse les consignes au patient avant la première séance : la peau sera propre, sans maquillage ni hydratant, les lentilles de contact seront enlevées et le rasage non réalisé pour les hommes. Enfin, un consentement éclairé et signé doit être recueilli. Figures 1 et 2. Épidermolyse de la pommette et de la commissure après un peeling à l’AG à 70 %. Technique du peeling à l’AG Le matériel nécessaire est simple. Il associe un nettoyant préopératoire, l’agent exfoliant, un neutralisant, une crème apaisante, un chronomètre, un ventilateur ou un éventail, des charlottes ou un serre-tête, de la vaseline, des Coton-Tige, de l’eau thermale, des compresses et des gants. Le patient est installé en position allongée, tête légèrement surélevée et les vêtements sont protégés. L’intégrité de la peau est vérifiée. Le tégument est dégraissé avec une solution alcoolique ou nettoyante fournie par le laboratoire. La vaseline est appliquée en protection des zones à risque de stagnation éventuelle de l’exfoliant, comme le canthus interne, les commissures labiales, les lèvres, le sillon alogénien. Le patient garde les yeux fermés. En cas de contact accidentel, un lavage abondant des yeux à l’eau claire suffit. Aucun accident oculaire grave n’a été rapporté. Le chronomètre est déclenché dès le début de l’application de l’exfoliant. Ainsi, le délai d’apparition de l’érythème peut être précisé. La technique d’application varie en fonction des opérateurs et des agents employés : tampons imbibés, pinceaux, tampons salivaires… Les pinceaux sont très pratiques et les plus utilisés. Des picotements plus ou moins intenses sont ressentis pendant l’application. L’érythème apparaît entre 2 et 5 minutes de contact. Si au terme des 5 minutes, l’érythème n’apparaît pas, il est conseillé de neutraliser quand même. En cas de malaise, ou de gêne intense du patient, on neutralisera sans attendre. Quand la peau est uniformément érythémateuse, le chronomètre est arrêté et une solution bicarbonatée neutralisante est appliquée uniformément après protection oculaire. La neutralisation est contrôlée par la formation d’une mousse fine blanche. De l’eau thermale ou des compresses froides sont appliquées sur les zones traitées, assurant le confort du patient et le contrôle thermique post-neutralisation, puis une crème apaisante. En cas de blanchiment précoce ou de givrage d’une zone isolée, qui témoignent d’une épidermolyse (figures 1 et 2), il faut neutraliser immédiatement. La première séance utilise un AG avec une concentration de 20 à 30 %, permettant d’évaluer la tolérance et d’augmenter les concentrations lors des séances suivantes. En dehors du visage et du cou, les autres parties du corps peuvent être traitées avec des concentrations plus fortes d’emblée. En cas de blanchiment précoce ou de givrage d’une zone isolée, il faut neutraliser immédiatement. Soins postopératoires Le dermatologue remet une feuille de « consignes ». Une crème apaisante hydratante doit être appliquée matin et soir pendant environ une semaine, puis le traitement d’entretien à l’AG est repris. Une photoprotection stricte doit être observée. Un prurit, une desquamation fine, des sensations de brûlures et de picotements, un oedème peuvent être ressentis. Il est capital d’informer, de rassurer et de revoir les patients, si nécessaire. La préparation de la peau avec des concentrations faibles d’AG est un pré-requis obligatoire avant le peeling à l’AG. Elle optimise les résultats et évalue la tolérance du patient. Effets secondaires Épidermolyse (figures 1 et 2) Figure 3. Dermatite acnéiforme du menton après peeling à l’AG. Elle est la conséquence d’une pénétration excessive de l’exfoliant. Elle est inopinée et souvent secondaire à des manipulations cutanées intempestives ou du nonrespect des consignes pré-opératoires de la part des patients (gommages, poursuite de topiques…). Elle se caractérise par un givrage précoce ou un érythème intense d’une zone en peropératoire, puis la formation de croûtelles qui cicatrisent en une semaine environ. De l’hydrocortisone topique 1 % peut être appliquée. Dermite acnéiforme péribuccale (figure 3) Elle affecte principalement le menton. Elle n’a pas d’explication précise. Elle est régressive et sera traitée comme une dermite péri-orale. Le peeling ne sera pas répété dans la zone. Troubles pigmentaires Les hypo- ou hyperpigmentations sont rares et le fait des phototypes foncés. Le risque augmente en cas de pénétration excessive de l’agent exfoliant dans des zones traumatisées ou frottées. Urticaire Elle est rare et régresse avec l’application d’hydrocortisone topique. Érosions douloureuses Il faut penser immédiatement à une surinfection herpétique. Indications Héliodermie Elle doit être modérée, type Glogau II. Le peeling va améliorer les ridules mais pas les rides marquées. Le teint gris-jaune va être remplacé par un teint plus rosé. On attend une disparition ou une atténuation des lentigines, un grain de peau adouci, des pores resserrés, une tonicité cutanée plus importante. Le temps de récupération est court, mais la répétition des séances est indispensable. Toutes les zones photoexposées peuvent bénéficier de peeling à l’AG. Acné (figure 4) Le peeling aux AHA est un traitement complémentaire, en association avec les traitements conventionnels ; ce n’est pas une alternative. L’acné vulgaire est une indication. L’AG favorise l’exfoliation et l’élimination du bouchon corné. Il diminue la formation de micro-comédons et des lésions inflammatoires (4). Il n’a pas d’action sur la sécrétion sébacée. Figure 4 A et B. Acné vulgaire avant et après plusieurs séances de peeling à l’AG. Mélasma L’amélioration est soumise à la répétition des séances, avec des concentrations élevées à 70 %. Les peelings à l’AG sont souvent associés à des agents dépigmentants et aux rétinoïdes topiques. Une étude récente randomisée et contrôlée semble montrer une amélioration significative de mélasmas traités par AG au prix d’effets secondaires irritatifs importants (5). Kératoses séborrhéiques Les peelings à l’AG peuvent être une alternative aux traitements conventionnels. Les lésions doivent être traitées isolement avec des solutions à 70 %, avec obtention d’une épidermolyse. La cicatrisation est de bonne qualité, en 7 jours environ. Verrues Des éléments réfractaires, plantaires, par exemple, peuvent être traités en application localisée de tampon imbibé d’AG à 70 %, laissé en place 1 heure, après protection de la peau périlésionnelle. Les suites sont identiques à celles de l’azote liquide ou des préparations salicylées. L’acide lactique est aussi très fréquemment employé en préparation officinale combinée. Kératose pilaire Le peeling à l’AG est possible sur les joues, les cuisses, les bras. On obtient une peau plus lisse par desquamation des lésions kératosiques périfolliculaires. Il n’y a pas d’action sur l’érythème de la kératose pilaire. C’est un traitement suspensif et non curatif. Un entretien nécessaire peut être proposé avec des solutions à l’AG de 10 à 20 %. Kératoses actiniques et chéilite actinique L’AG est intéressant en associationau 5-fluroro-uracile en améliorant sa pénétration et son efficacité. Il diminue la réaction inflammatoire au 5-FU. Celui-ci sera appliqué en crème à 5 % une semaine avant un peeling à l’AG à 70 % jusqu’à obtention d’une épidermolyse qui survient en 2 minutes environ. Cette association potentialise l’efficacité du 5-FU (6). Conclusion Les peelings aux AHA, dont le prototype est l’AG, sont des peelings de choix si les indications sont respectées. Ils sont très adaptés à la vie moderne et faciles à réaliser. Ils sont accessibles à des dermatologues qui souhaitent s’initier à cette pratique. Ils nécessitent peu de matériel et ont un excellent rapport coût/efficacité. Leur utilisation est particulièrement souple en faisant varier les concentrations, le pH et le temps d’application, permettant une adaptation au cas par cas. L’attention doit toutefois être attirée sur une certaine « banalisation » des pratiques, notamment par le biais d’achats et de publicité via Internet, une pression marketing souvent importante, une possible auto-administration des patients. Les peelings aux AHA doivent rester un acte dermatologique professionnel, même pour certaines indications « plaisir ».
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