Publié le 27 avr 2022Lecture 6 min
Le tour de force des nouvelles thérapies dans le mélanome
Muriel GEVREY, Paris
Les avancées des traitements du mélanome ont été fulgurants. Grâce à de nouvelles combinaisons thérapeutiques, la survie médiane de 7 à 8 mois en 2010 est passée à 5 ans, et ce en l’absence de métastases cérébrales. Cependant, ces dernières restent péjoratives malgré une percée de l’immunothérapie. Parallèlement, le traitement adjuvant progresse vers les formes de stade II à haut risque.
Les thérapies ciblées ont inauguré un profond bouleversement dans le traitement du mélanome. Il a été démontré que le statut BRAF était important pour les thérapies ciblées et que 45 % des mélanomes avaient une mutation BRAF accessible au traitement(1). Les thérapies ciblées ont fait la preuve de leur efficacité et elles associent désormais un inhibiteur de BRAF (dabrafénib, vémurafénib ou encorafénib) à un inhibiteur de la protéine MEK (tramétinib, binimétinib). L’immunothérapie a ensuite enrichi l’arsenal thérapeutique en permettant d’obtenir des réponses prolongées, même après l’arrêt du traitement.
L’arrivée des inhibiteurs de check-points immunitaires a fait réfléchir à la meilleure stratégie thérapeutique. Dans le mélanome avancé, une compilation d’essais de phase III d’enregistrement des molécules(2) faite en 2017 montre que, en première ligne sans métastase cérébrale, l’association d’inhibiteurs de BRAF + MEK fait mieux en survie sans progression (SSP) à 6 mois que l’association anti-PD-1 + anti-CTLA-4, et qu’elle est supérieure à l’anti-PD-1 seul. Mais à 12 mois, la survie globale est très voisine dans les trois groupes avec une concentration des courbes de survie. À 24 mois, l’association BRAF-MEKi fait moins bien que l’association PD1 + CTLA-4 et le PD-1 seul. Depuis cette métaanalyse sont apparues de nouvelles molécules comme le dabrafénib (BRAF i) et le tramétinib (MEK i), dont l’association a permis une SSP à 19 % à 5 ans(3).
L’encorafénib (enco), un inhibiteur de BRAF de deuxième génération associé au binimétinib (bini) chez des patients ayant plus de 3 sites métastatiques permet une SSP de 23 % à 5 ans dans l’étude Colombus(4). Dans les formes moins évoluées, la survie globale est de 34 % à 5 ans et s’élève même à 55 % si les LDH sont normales et en cas d’atteinte de moins de 3 sites métastatiques. La toxicité est gérable (nausées, vomissements, diarrhées, fatigue, arthralgie). Au total, les inhibiteurs de BRAF-MEK sont puissants à la fois en première et deuxième ligne, mais l’effet s’épuise avec le temps.
Compromis efficacité/tolérance
Du côté de l’immunothérapie, d’après les résultats de l’étude Checkmate-067, un anti-CTLA-4 et un anti-PD-1 en association (ipilimumab et nivolumab) ou le nivolumab seul montrent une nette supériorité de SSP et de survie globale par rapport à l’ipilimumab seul(5). À 5 ans, la médiane de survie est de 62 mois avec l’association nivolumab et ipilimumab selon un suivi de 6,5ans(6). La survie à 5 ans est de 52 % pour les patients dans le groupe nivolumab + ipilimumab contre 44 % dans le groupe nivolumab seul et 36 % dans le groupe ipilimumab. Le problème est la toxicité immuno-induite de grade 3 à 5 pour 59 % des patients avec parfois des orages cytokiniques difficiles à contrôler. Les paramètres les plus importants d’efficacité sont l’ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group) égal à 0, le statut LDH normal, l’atteinte de moins de 3 sites métastatiques et l’absence de métastases cérébrales. Autre option, l’étude Keynote 006 montre une survie de 32,7 % à 5 ans sous pembrolizumab, un anti-PD-1 de nouvelle génération avec une toxicité de stade 3-4 pour 17 % des patients(7).
Au total, les immunothérapies sont moins actives initialement sur le contrôle de la maladie que les inhibiteurs de BRAF + MEK, mais ils rattrapent leur retard en SSP et en survie globale. À la différence des BRAF + MEK inhibiteurs, les anti-PD-1/CTLA-4 sont plus efficaces en première ligne qu’en deuxième ligne.
Quelle stratégie thérapeutique ?
Concernant le déroulé de la stratégie, il vaut mieux commencer par l’immunothérapie nivolumab + ipilimumab, car l’association fait moins bien en deuxième ligne que les BAF MEF inhibiteurs selon l’essai DREAMseq(8). À statut comparable de LDH et ECOG, la réponse prolongée est de 72 % avec nivolumab + ipilimumab par rapport à un taux de 52 % avec l’association dabrafénib + tramétinib en premier lieu. Le début de traitement par immunothérapie entraîne aussi une meilleure survie globale à 10 mois.
En alternative, l’association de pembrolizumab et d’ipilimumab à dose réduite permet d’obtenir de bons résultats en taux de réponse et de SSP(9). La réduction de dose permet de diminuer la toxicité de grade 3 à 5. L’espacement des séquences de l’ipilimumab (50 mg toutes les 6 semaines) associé au pembrolizumab à pleine dose permet aussi d’avoir une bonne efficacité antitumorale et moins d’effets indésirables(10). En revanche, les essais de triple association (BRAF + MEK inhibiteur + anti PD-1) ne sont pas concluants avec un taux de réponse qui n’est pas supérieur à la biothérapie au prix d’une majoration de la toxicité.
Parmi les espoirs, un nouvel anti-LAg-3 (rélatlimab) est un anticorps permettant de restaurer la fonction lymphocytaire. Il a un effet synergique avec le nivolumab, et les résultats sont prometteurs(11). Dès la première analyse, on a un gain de SSP et une moindre toxicité (18,9 %). À un an, la SSP est de 47,7 % dans le bras rélatlimab-nivolumab contre 36 % dans le bras nivolumab. On attend les résultats en survie globale.
En ce qui concerne les métastases cérébrales, elles restent difficiles à traiter et obèrent la médiane de survie(12). Celle-ci est de seulement 8,9 mois malgré l’arrivée des nouveaux traitements. Le taux de survie à 3 ans stagne à 19 %. Le sous- groupe avec atteinte lepto-méningée est de très mauvais pronostic. Les autres facteurs péjoratifs sont le nombre de métastases cérébrales, la présence d’autres localisations métastatiques, le taux élevé de LDH et le statut ECOG. La thérapie ciblée associée à la radiothérapie stéréotaxique semble efficace, mais la radiothérapie reste discutée après chirurgie. L’association d’immunothérapie a de meilleurs résultats que l’ipilimumab seul . Cette efficacité de la combinaison se vérifie dans les métastases asymptomatiques en première ligne dans une étude où le bénéfice est également constaté dans les territoires extra-crâniens(14).
Le traitement adjuvant en question
Le traitement adjuvant permet théoriquement de décaler la récidive et les métastases, mais il ne change pas significativement la survie. Il est possible que ce traitement adjuvant bénéficie au sous-groupe des formes les moins agressives en augmentant leur survie. Le traitement adjuvant est néanmoins utile pour améliorer le confort du patient, car il est clair que la récidive altère la qualité de vie. L’évolution imprévisible du mélanome vers la constitution rapide de métastases justifie aussi de traiter plus tôt. Enfin, le traitement adjuvant augmente les chances de rester à un stade d’évolution, qui permettra de bénéficier, le cas échéant, de l’arrivée d’une innovation de rupture.
Si le patient est BRAF muté, faut-il mieux donner BRAF/Mek ou anti-PD1 ? En comparant les études, on obtient deux fois plus de survie sans récidive avec quasiment le même résultat dans les deux types de traitements (Dabra + Trame ou pembrolizumab). Le pembrolizumab est un traitement adjuvant du mélanome de stade III avec atteinte ganglionnaire à visée curative et de première intention, quel que soit le statut tumoral au regard de la mutation BRAF. Il pourrait trouver une place dans les stades moins évolués. Le traitement adjuvant est envisagé pour la prévention des récidives et le développement des métastases dangereuses dans les stades II b et II c à haut risque. Selon l’étude Keynote 716, le pembrolizumab réduit de 35 % les risques de récidive comparativement au placebo(17). Mais la tolérance pèse lourd dans la décision puisqu’il faut compter sur des effets indésirables à traiter avec une hormonothérapie substitutive à vie (hypothyroïdie, hypopituitarisme) dans 15 % des cas. Le futur est de mieux sélectionner les candidats au traitement adjuvant parmi l’ensemble des stades II sur la base de tests moléculaires.
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