Publié le 17 jan 2024Lecture 5 min
Complications et mésusages des produits de comblement injectables
Catherine FABER, D’après la communication de S. Dahan (Toulouse), Hot topics, JDP 2023
Les conséquences désastreuses des injections « sauvages » d’acide hyaluronique ont fait couler beaucoup d’encre. Elles sont à l’origine d’un nombre croissant de complications motivant le recours à une prise en charge dermatologique.
Les complications des injectables peuvent être liées à l’utilisation d’un produit de comblement non adapté, à une erreur technique (quantité du produit, profondeur de l’injection, zone anatomique injectée) ou au patient lui-même(1). La pratique des injections d’acide hyaluronique (AH) doit être précédée d’un interrogatoire exhaustif du patient à la recherche d’antécédents et de pathologies associées, ce que ne font évidemment pas les non-médecins. Les complications peuvent survenir précocement sous forme de petites réactions au site d’injection (érythème, œdème post-traumatique, douleur, ecchymose), de nodule, d’asymétrie ou d’irrégularités par défaut de quantité et/ou de placement, d’hypersensibilité de type I (angioœdème). La complication précoce la plus redoutée est la souffrance cutanée par obstruction vasculaire. Les complications tardives incluent les troubles de la coloration cutanée (effet Tyndall, hyperpigmentation), les infections (abcès ou biofilm), les granulomes à corps étranger, les œdèmes (hypersensibilité de type IV médiée par les lymphocytes T), l’œdème malaire et les cicatrices.
Que faire(1) ?
Pour prévenir les ecchymoses, il faut demander au patient d’éviter l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Chez les patients sous anticoagulant, le risque associé à l’arrêt du traitement bien équilibré dans les jours précédents étant supérieur au risque d’hémorragie(1), il est donc recommandé d’être prudent. L’utilisation de canules permet d’être le moins traumatique possible et le produit doit être injecté lentement. On peut aussi appliquer des compresses froides ou une crème à base d’arnica ou de vitamine K.
Parmi les troubles de la coloration cutanée, la néovascularisation est secondaire au traumatisme tissulaire provoqué par l’injection d’un volume important ou par un massage agressif. Ces néovaisseaux sont traités par laser. Le laser est aussi l’une des options thérapeutiques de l’hyperpigmentation postinflammatoire, qui apparaît avec prédilection chez les sujets de phototype foncé (IV-VI), avec l’hydroquinone topique ou le peeling. En cas d’effet Tyndall, observé lors des injections intradermiques superficielles, le traitement par hyaluronidase est efficace (10 à 20 U, injections en 1 à 4 points éventuellement répétées). En l’absence de traitement, il peut persister pendant très longtemps.
Dans les œdèmes précoces, les antihistaminiques et les corticoïdes oraux donnent le plus souvent de bons résultats, mais l’application de froid est parfois suffisante. La hyaluronidase ou les corticoïdes oraux sont également recommandés dans les œdèmes tardifs. L’œdème malaire apparaît après injection au-dessus du septum orbitomalaire, dans le compartiment superficiel de la graisse sous-orbiculaire (SOOF : Sub-Orbicularis Oculi Fat), et/ou après injection d’un produit de forte élasticité et viscosité. Sa prévention repose en particulier sur l’éviction des patients présentant préalablement des poches malaires et l’utilisation de produits de faibles élasticité, viscosité et hydrophilie. Il est traité par hyaluronidase.
La prise en charge des abcès est classique : drainage et aspiration s’ils sont collectés, et biantibiothérapie empirique par clarithromycine 250 mg x 2/jour pendant 10 jours et ciprofloxacine 500 à 750 mg x 2/jour pendant 2 à 4 semaines. Dans les biofilms (greffe bactérienne sur filler protégé par polymères), la culture est habituellement négative. On peut proposer une biantibiothérapie de 4 à 6 semaines, puis la hyaluronidase, puis le 5-FU, à raison de 0,5 cc de 50 mg/mL toutes les 2 semaines associé ou non à des corticoïdes (0,3 mL triamcinolone 40 mg/mL). Un traitement par laser ou l’excision chirurgicale sont le plus souvent nécessaires. Les nodules non inflammatoires sont traités par hyaluronidase ou par excision chirurgicale. Les granulomes apparaissent des mois ou des années après l’injection avec une incidence rare (0,01 % à 1 %). Leur traitement se fait par injection intralésionnelle de corticoïdes, voire par méthotrexate ou éventuellement par hyaluronidase. En cas d’échec de ces traitements, une excision chirurgicale s’impose.
Les complications vasculaires par injection intra-artérielle sont l’une des complications les plus sévères après injection d’AH. Une revue de la littérature a recensé 98 cas de cécité par embolisation de l’artère faciale et de l’artère ophtalmique(2). Les zones à risque sont la glabelle, la base alaire nasale, les lèvres et le nez. La réaction est le plus souvent immédiate. Un blanchiment cutané immédiat ou un livedo fait suspecter une complication vasculaire. Les patients présentant des symptômes oculaires (vision floue, perte de vision ou douleur oculaire) doivent être adressés en urgence à l’ophtalmologiste qui pratiquera une injection d’hyaluronidase en rétrobulbaire. Le principal traitement de ces complications vasculaires est l’injection hyaluronidase (200 à 400 UI/1 à 2 mL) qui doit être répétée tout autour de la zone avec des massages. D’autres prises en charge peuvent être proposées comme l’application de compresses chaudes, la nitroglycérine en patch 1 % ou 2 % deux ou trois fois par jour ou en comprimés, l’acide acétylsalicylique 500 mg toutes les 8 heures pendant 24 à 48 heures, les corticoïdes (prednisone 20 à 40 mg/jour pendant 3 à 5 jours), les héparines de bas poids moléculaire, l’oxygène hyperbare.
Quelques cas de réactions inflammatoires retardées après injection d’AH ont été observés à la suite d’une infection par le SARS-CoV-2 ou d’une vaccination contre le COVID-19(4-6). Ces réactions ont été traitées par corticoïdes per os ou chez les patients vaccinés, par un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine par voie orale(6).
Face aux mésusages des injectables
Une opération matériovigilance en janvier-février 2022, avec le recensement et la publication des cas et une campagne dans la presse, a été organisée par un syndicat et des sociétés savantes*, des dermatologues et des plasticiens. Le gDEC (groupe de Dermatologie esthétique et correctrice de la Société française de dermatologie) a envoyé à tous ses adhérents une fiche pour rappeler que la dermatologie esthétique doit être pratiquée par les dermatologues qui sont les experts de la peau. Le site Internet Vigilance esthétique** est ouvert à tout médecin qui injecte ou qui reçoit un patient avec des effets secondaires ou des séquelles d’injections illégales. Ce réseau confraternel offre un service d’assistance rapide aux médecins demandeurs. Le gDEC a établi une charte éthique (voir encadré). Enfin, la condamnation en 2023 de deux femmes à de la prison ferme et à une peine avec sursis pour injections illégales de toxine botulinique et d’AH laisse penser que les choses vont avancer. On espère également que l’appel lancé par des chirurgiens esthétiques pour interdire la vente libre d’acide hyaluronique sera entendu.
* Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE), Société française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique (SOFCPRE), Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOFCEP).
** www.vigilance-esthetique.fr
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