Publié le 30 avr 2024Lecture 5 min
La place du ganglion sentinelle dans le mélanome en 2023
Catherine FABER, d’après la communication de C. Gaudy-Marqueste (Marseille)
La technique du ganglion sentinelle dans le mélanome a été introduite en 1992 pour détecter une atteinte ganglionnaire infraclinique. Son positionnement dans la prise en charge des patients s’est affiné au fil des essais.
Cette technique s’adresse aux patients atteints d’un mélanome primitif d’une certaine épaisseur, sans ganglion palpable détectable radiologiquement. Elle consiste à injecter une substance radioactive au niveau de la cicatrice d’exérèse du mélanome primitif, puis à réaliser une lymphoscintigraphie qui va permettre de repérer le premier ganglion de drainage de la région. Ce ganglion sentinelle (GS) est prélevé dans le même temps opératoire que la reprise, et analysé afin de mettre en évidence une atteinte ganglionnaire tumorale microscopique.
À partir de l’introduction du GS, les pratiques de prise en charge des patients aux stades précoces ont considérablement évolué avec, tout d’abord, une désescalade de la chirurgie ganglionnaire, puis l’arrivée de nouveaux traitements systémiques adjuvants. Le GS n’a pas montré d’effet sur la survie globale, mais la confirmation de sa valeur pronostique lui a valu d’être intégré dans la classification pronostique AJCC (American Joint Committee on Cancer). Il a ensuite été démontré que le curage ganglionnaire systématique chez les patients avec un GS positif n’apporte pas de bénéfice en termes de survie globale. Cette pratique a donc été abandonnée.
Sur le plan thérapeutique, l’interféron était le seul traitement adjuvant du mélanome avant l’arrivée des anti-PD1 et des thérapies ciblées pour les stades III en 2018. Le statut du GS détermine l’éligibilité à ces traitements. Plus récemment, les anti-PD-1 ont prouvé leur intérêt dans les mélanomes de stades IIB-IIC* , rendant ainsi l’accès au traitement adjuvant indépendant du GS, au moins pour ces populations de patients. Ces données ont suscité un grand débat sur la place du GS dans la prise en charge du mélanome aux stades précoces. Selon les recommandations européennes, qui ont été actualisées en 2022, le GS est indiqué pour la stadification et en tant que paramètre de décision thérapeutique pour les mélanomes de plus de 1 mm d’épaisseur ou de plus de 0,8 mm en cas de présence d’un facteur de risque histologique notamment d’une ulcération (recommandation de niveau A)(1).
REPROCHES ET APPORTS
Les deux premiers reproches faits à la technique sont l’absence d’impact du GS sur la survie globale et ses performances jugées insuffisantes : le taux de faux négatifs, c’est-à-dire de récidive dans le bassin ganglionnaire malgré un GS négatif, est estimé entre 8 et 20 %, et un tiers des patients avec un mélanome épais et un GS négatif va développer des métastases à distance. La morbidité de la procédure en est un autre. Le taux de complications est en moyenne de 11 %. Il est plus important pour les GS en région inguinale (15 %) que pour ceux situés en région axillaire (10 %) ou cervicale (5 %). Il s’agit de complications classiques de type lymphocèle (5 %), infection (3 %), lymphœdème (1,3 %)(2). Les hématomes et les lésions nerveuses sont plus rares (0,5 % et 0,3 %). Dans la pratique, la morbidité est limitée lorsque la procédure est réalisée par des chirurgiens entraînés. On reproche aussi au GS son coût élevé (3000 à 4000 euros par procédure) ainsi que sa logistique qui nécessite un accès à la lymphoscintigraphie au bloc opératoire.
D’un autre côté, le GS apporte une information pronostique. Il est indispensable pour la stadification qui permet d’estimer le risque de récidive et, donc, l’indication d’un traitement adjuvant. Pour mémoire, il n’y a pas d’AMM pour les mélanomes de stades I et IIA. À noter que les stades IB-IIA avant la réalisation d’un GS deviennent IIIA-B si celui-ci est positif. Les taux de survie sont différents avec un écart qui n’est pas majeur mais n’en est pas pour autant négligeable : la survie à 10 ans passe de 94 % dans les mélanomes de stade IB à 88 % dans les IIIA et de 88 % dans les IIA à 77 % dans les IIIB et à 60 % dans les IIIC(3).
Pour les mélanomes fins et intermédiaires T1b (< 0,8 mm ulcération + ou 0,8-1 mm)-T2 (1-2 mm)-T3a (2-4 mm sans ulcération), le GS reste indispensable si l’on veut prescrire un traitement adjuvant. La population dans laquelle il y a probablement le plus de doute sur l’intérêt d’un traitement adjuvant est celle des patients présentant un mélanome de stade IIIA. Un essai a en effet montré que les courbes de survie sans récidive des patients (< 2 mm, absence d’ulcération, GS positif) sous pembrolizumab et sous placebo sont pratiquement superposées(4).
Pour les mélanomes de stades IIB/IIC, T3b (> 2-4 mm, ulcération +)-T4 (> 4 mm), le GS n’est plus requis pour accéder au traitement adjuvant par antiPD-1. Il permet tout de même une meilleure appréciation du rapport bénéfice/risque. Le GS est un paramètre important d’aide à la décision thérapeutique et de discussion avec le patient. Le bénéfice absolu du traitement adjuvant sur la survie sans récidive est d’environ 10 % au stade IIB-IIC et de 20 % au stade III, et le Number Needed to Treat (nombre de patients à traiter pour qu’un patient en bénéficie) est de 12 au stade II versus 7 au stade III. Dans ce contexte, il faut se rappeler la toxicité potentielle des anti-PD-1. Ils sont responsables d’effets secondaires sévères dans environ 10 à 17 % des cas, de toxicités imprévisibles et de toxicités durables (hypophysites, diabète, dysthyroïdies). Dans ces mélanomes de stades IIB/IIC, le GS reste indispensable chez les patients BRAF mutés si l’on veut privilégier les thérapies ciblées qui n’ont une AMM qu’au stade Ill. Enfin, le GS contribue au contrôle régional, même en cas de traitement adjuvant. Ce bénéfice a été démontré par une étude dans laquelle le taux de récidive ganglionnaire a été estimé selon la réalisation d’un GS et d’un traitement adjuvant pour des mélanomes de stade T3b/T4a(6). Le risque de récidive est estimé à 40 % s’il n’y a ni GS ni traitement adjuvant, entre 20 et 27 % si un traitement adjuvant a été réalisé sans GS et de 14 % avec un GS sans traitement adjuvant. Le risque baisse à 7 à 9 % avec un traitement adjuvant et un GS. Le GS pourrait être remplacé dans le futur par des biomarqueurs plus performants : les tests GEP (Gene Expression Profile) et l’ADN tumoral circulant. L’un des tests GEP évalué dans le mélanome repose sur l’analyse du profil de 31 gènes et permet de stratifier les patients en fonction du risque de récidive(7). Le second est un test composite combinant l’expression génique et des variables cliniques, l’âge et le Breslow(8). Un test GEP a été utilisé pour la stratification du risque dans un essai adjuvant qui vient de se terminer. Ses résultats conditionneront probablement son arrivée dans la pratique.
* Le pembrolizumab est approuvé dans cette indication et prescrit en routine. Le nivolumab a une AMM européenne mais ne peut pas encore être prescrit.
D’après la communication de C. Gaudy-Marqueste (Marseille)
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