Publié le 05 déc 2024Lecture 10 min
Dermatites vestimentaires : l’allergie de contact aux textiles
Catherine OLIVERES-GHOUTI, dermatologue, Paris
À l’occasion du 45e cours du Gerda qui s’est tenu à Lille en octobre dernier sous l’égide de la Société française d’allergologie, les Drs Évelyne Collet et Camille Leleu (CHU de Dijon) sont revenues sur le potentiel allergisant des colorants textiles, entre autres, et sur les dermatites de contact induites par les allergies aux textiles, qui peuvent parfois prendre des formes atypiques. Résumé.
Les textiles sont constitués d’un assemblage de fibres de fils. Pour fabriquer un tissu, il faut donc transformer la fibre en fil puis le structurer par tissage, tressage ou tricotage. On distingue les fibres naturelles (végétales ou animales) et les fibres chimiques (dites aussi « manufacturées »), synthétisées à partir de matériaux d’origine naturelle (souvent la cellulose) ou synthétique (dérivés du pétrole). Si les fibres sont rarement allergisantes, ce sont les colorants ainsi que certains traitements chimiques (colorants, apprêts, ennoblisseurs, hydrofuges, ignifuges, etc.) utilisés pour apporter des propriétés supplémentaires aux textiles (antibactérien, anti-odeur, thermorégulation, antifroissage, anti-taches, déperlance, protection contre les UV, la chaleur, les acariens, etc.) qui représentent les principales sources de dermatites de contact(1). Et ce sont ces traitements qui intéressent les dermato-allergologues.
Aspect clinique des dermatites de contact aux textiles
Aspect clinique eczématiforme
Quand l’eczéma de contact est situé sur la zone du contact avec le vêtement incriminé, le diagnostic est aisé, mais parfois l’eczéma est plus étendu et d’évolution chronique ou récidivante.
Une étude italienne citée par E. Collet et C. Leleu montre ainsi que 74 % de patients traités pour une allergie aux textiles présentaient un aspect clinique eczématiforme(1). Les lésions étaient surtout situées sur le tronc et les membres inférieurs pour les allergies non professionnelles, et sur les mains chez les travailleurs du textile. Il est important de noter aussi que les zones de friction ou de transpiration (plis axillaires, face interne des cuisses, nuque, plis de coudes, creux poplités) sont plus à risque de dermatite de contact, car la transpiration facilite le relargage des allergènes dans la peau.
Présentations cliniques inhabituelles
Parfois, le diagnostic de dermatite de contact aux textiles vestimentaires est plus difficile à faire. Les Drs Collet et Leleu ont ainsi recensé plusieurs cas de présentations cliniques in habituelles dans la littérature, comme des eczémas généralisés simulant une dermatite atopique pour lesquels une amélioration a été observée en supprimant le port de vêtements colorés(2,3).
Des dermatoses lymphomatoïdes, con fondues avec de véritables lymphomes cutanés ou avec pseudo-nodules des membres supérieurs chez une ouvrière du textile et dont les tests étaient positifs au Disperse Blue(4,5) ont également été rapportés, de même que des dermatites purpuriques de contact dues à des apprêts et à des colorants dispersés (patch-tests positifs)(6,7).
Des eczémas des mains, isolés ou non, sur des zones qui ne correspondent pas à des vêtements portés mais manipulés, dus à des colorants textiles (essentiellement Disperse Blue et Disperse Orange 3[8]) sont aussi mentionnés. Les auteurs rapportent ainsi le cas d’un délai diagnostique très long chez un salarié d’un magasin de vêtement souffrant d’un eczéma chronique des mains évoluant depuis deux ans et sensibilisé aux colorants dispersés(9).
Enfin, plus rarement, des formes bulleuses et des eczémas vulvaires ont été rapportés. Dans ce dernier cas, l’éviction des sous-vêtements synthétiques et colorés a permis la guérison(10).
Les allergies aux textiles chez l’enfant
Une seule étude relevée par les Drs Leleu et Collet fait état de tests positifs aux colorants dispersés(11). Sur 51 enfants, 30 étaient atopiques (59 %). Chez les non-atopiques, les lésions étaient localisées aux pieds, aux aisselles et dans les plis inguinaux alors que chez les enfants atopiques, elles se situaient sur le visage, aux plis des coudes et creux poplités.
Les allergènes en cause
Les colorants naturels et de synthèse
Les colorants ont, comme leur nom l’indique, « la propriété de teindre », et donnent ainsi à un textile une couleur unie. Il existe ainsi deux types de colorants : les colorants dits « naturels », extraits de minéraux (oxyde de fer), de végétaux (feuilles, racines, baies, écorces…) ou de matières animales (insectes), et les colorants dits « synthétiques », issus de synthèses chimiques.
Utilisés pour certains depuis le néolithique, les colorants naturels sont plus difficiles à appliquer pour obtenir une homogénéité et plus chers à produire que les colorants synthétiques. Or, ils connaissent un regain d’intérêt en raison de leur avantage environnemental, de leurs propriétés antimicrobiennes, anti-UV et de leur moindre potentiel allergène. Les Drs Collet et Leleu n’ont d’ailleurs relevé aucun cas d’allergie de contact dans la littérature.
Quant aux colorants chimiques, deux classes retiennent plus particulièrement l’attention des allergologues : les colorants réactifs et les colorants dispersés. Les premiers contiennent de la chlorotriazine ou de la vinylsulfone. Ces colorants, qui sont essentiellement utilisés pour teindre des fibres naturelles (coton, lin, viscose, laine, soie), sont hydrosolubles. On peut donc diminuer le risque d’allergie de contact en lavant les vêtements neufs plusieurs fois avant de les porter.
Les colorants dispersés, eux, ne sont pas solubles dans l’eau. Surtout utilisés pour teinter les fibres synthétiques, ils sont constitués de colorants broyés, dispersés dans un solvant. Ce sont les allergènes les plus incriminés dans la survenue d’allergies de contact, notamment les colorants Disperse Blue 106 et 124, précisent les Drs Collet et Leleu citant une étude de Pratt et coll.(12).
Formaldéhyde : le principal responsable
L’industrie textile utilise nombre d’apprêts chimiques à des fins de fonctionnarisation comme ceux contenant du formaldéhyde (résines urée-formaldéhyde et mélamine-formaldéhyde). Utilisés depuis les années 1920 pour diminuer la froissabilité des textiles et leur donner du « maintien », ils jouent aussi un rôle déperlant et antistatique.
Dans les années 1950-1960, le formaldéhyde était d’ailleurs le principal responsable des dermatites de contact irritatives ou allergiques liées aux vêtements. Ces apprêts ont, depuis, été remplacés par des résines urée-formaldéhyde moins libératrices de formaldéhyde. Des patch-tests pour ces résines formaldéhyde-urée sont disponibles dans la batterie « textiles », mais le formaldéhyde de la BSE (Batterie Standard Européenne) est insuffisant.
Des projets de recherche sont en cours pour la mise au point de procédés d’ennoblissement des textiles sans résine formaldéhyde-urée (en France, le projet AFTER (apprêts fonctionnels textiles écoresponsables).
Les apprêts ignifuges mis en cause
Autre fonctionnarisation, l’ignifugation permet de retarder la propagation de l’inflammation d’un textile exposé à la chaleur ou au feu en incorporant dans la fibre ou en déposant sur le tissu un « retardateur ». Cela concerne aussi bien les vêtements de protection que les textiles d’ameublement ou les matériaux d’aménagement. Il existe aujourd’hui plusieurs familles d’apprêts ignifuges qui retardent la propagation des flammes : les composés azotés, phosphorés, inorganiques (aluminium trihydraté, borate de zinc, ils diluent les gaz combustibles en libérant de l’eau), combinés (aminophosphoré) ou halogénés. Efficaces mais toxiques, ces derniers ralentissent ou stoppent le processus de combustion en relarguant le brome ou le chlore et sont de moins en moins utilisés.
Attention aux biocides et aux antiseptiques
Utilisés pour protéger les vêtements de la décoloration et de la prolifération de microorganismes, les biocides et les antiseptiques sont très largement utilisés dans l’industrie textile. Pourtant, peu de cas de sensibilisation sont rapportés dans la littérature, un phénomène sans doute sous-estimé pour les Drs Collet et Leleu. Les cas d’allergie de contact aux biocides et aux antiseptiques retrouvés concernent essentiellement les isothiazolinones, le chitosane, le triclosan et le diméthylfumarate.
Concernant les isothiazolinones, utilisés pour prévenir la prolifération de bactéries, moisissures et champignons et éviter la dégradation des textiles, des allergies de contact ont été observées et rapportées chez des salariés de l’industrie textile ou de magasins de vêtements. Ces biocides sont aussi présents dans les lessives et persistent dans les vêtements à des co centrations élevées malgré le rinçage en machine.
Associé à des macromolécules ou sous forme de microcapsules, le chitosane est aussi utilisé pour ses propriétés antimicrobiennes et hydrofuges. Incorporé au coton ou aux fibres synthétiques, il semble peu allergisant. Quant au triclosan, allergène pointé du doigt dans les produits d’hygiène, les médicaments topiques et les dispositifs médicaux, il est aussi très utilisé dans les textiles contre les bactéries et les moisissures, couplé à des résines mélamine-formaldéhydes ou à des cyclodextrines.
Enfin, le diméthylfumarate, retrouvé dans des canapés, des vêtements et des bottes importés de Chine, il a été incriminé dans une « épidémie » de dermatites de contact entre 2009 et 2012. Depuis cette date, une réglementation européenne limite la concentration en diméthylfumarate à 0,1 mg/kg, ce qui a eu pour conséquence de faire disparaître les cas d’allergie.
Les allergènes : une liste sans fin
D’autres molécules potentiellement allergisantes ont été mises en évidence dans les textiles. La liste est sans fin, comme le montre le rapport de l’Anses en 2018 sur les agents chimiques présents dans les chaussures et les textiles. Citons : le nonylphénol et ses dérivés éthoxylés, perturbateurs endocriniens dont la concentration diminue après lavage (aucun cas d’allergie de contact mentionné via les textiles, mais via des antiseptiques et des spermicides) ; les organoétains, dont l’utilisation est réglementée en Europe ; les agents anti-UV (oxybenzone, octocrylène ou drométrizole) ; les métaux (nickel, chrome, cobalt, cuivre) et les métaux lourds (cadmium, plomb) retrouvés dans les parties métalliques et plastiques des textiles (accroches de soutien-gorge, boutons, etc.) ; les phtalates présents dans les accessoires en mousse (mousses de soutien-gorge) ; le butylhydroxytoluène retrouvé dans des chaussures et des vêtements ; le métabisulfite de sodium, un agent de blanchiment ou de réduction de la teinture, utilisé par exemple pour donner aux jeans en denim un aspect usé, et qui est toujours présent dans le textile même après plusieurs lavages ; enfin, l’acétophénone azine, sensibilisant que l’on retrouve fréquemment dans des chaussures et des accessoires de sport (protège-tibias) ainsi que dans des chaussettes ou des cols en fourrure synthétique (figure 1).
Figure 1. Eczéma de contact à un col de manteau. A. Patiente sensibilisée aux colorants : patch-test TDM +++ (à J4) ; A. et C. Patiente sensibilisée à plusieurs résines formaldéhyde-urée : patch-tests 3 résines formaldéhyde-urée ++ (à J4).
Où en est la réglementation ?
Plusieurs initiatives cherchent à encadrer l’utilisation de substances allergènes dans les textiles. Ainsi, depuis 1992, un label de qualité Oeko-Tex garantit l’absence de produits toxiques pour le corps et pour l’environnement dans les textiles et les cuirs, comme les métaux lourds ou les phtalates. Il a permis la production de vêtements dépourvus de colorants allergisants dans l’Union européenne et au Japon. Le label écologique GOTS (Global Organic Textile Standard) certifie quant à lui depuis 2002 l’origine biologique des textiles, garantissant que les fibres textiles proviennent de l’agriculture biologique et ne contiennent ni résidus de pesticides ni métaux lourds(13). Enfin, l’Anses a publié en 2019 un rapport concernant la réglementation de l’utilisation des colorants dispersés dans les textiles visant à limiter la présence de substances allergènes connues mais en core non réglementées, à interdire la présente des colorants dispersés et à abaisser les seuils réglementaires du nickel et du chrome VI, mis en cause dans la survenue d’allergies cutanées(14).
Comment tester les allergies aux textiles ?
Patch test ou tests semi-ouverts ?
Devant une éventuellement allergie de contact, il convient de tester – après un interrogatoire poussé – le patient et le textile w suspecté. Le format du patch-test étant insuffisant, on procédera à un test semi-ouvert à l’aide d’un fragment de textile assez grand, de 2 x 2 cm, selon les recommandations des Drs Collet et Leleu, humidifié et maintenu entre 48 et 96 heures. « Des tests négatifs ne doivent pas faire éliminer le diagnostic », précisent les deux intervenantes, et dans ce cas des tests d’usage peuvent être proposés.
Il existe aujourd’hui plusieurs patchs-tests commercialisés pour tester les allergies aux résines formaldéhyde-urée, en revanche les autres allergènes sont mal explorés et il conviendra donc de réévaluer la batterie « textiles » proposée actuellement.
Quelle efficacité pour le TDM (Textile Dye Mix) ?
Le TDM 6,6 % (Textile Dye Mix) a fait son entrée dans la batterie standard européenne (BSE) en 2015 pour détecter les allergies aux textiles vestimentaires. Il se compose d’un mélange de huit colorants dispersés (Disperse Blue 106, Blue 124, Disperse Blue 35, Orange 1, Orange 3, Red 1, Red 17, Yellow 3), où tous les colorants sont à 1 %, à l'exception des Disperse Blue 106 et 124 qui sont à 0,3 % pour éviter les réactions importantes.
Le TDM ne semblant pas être très utile, il est préférable de garder la batterie « textiles » en la complétant. En 2023, à l’initiative de l’équipe suédoise d’Isaksson et coll.(15), le Disperse Orange 3, jugé superflu, a été retiré du TDM.
À la question « le TDM de la BSE est-il suffisant ? », les Drs Leleu et Collet émettent quelques réserves. En effet, le TDM n’explore aujourd’hui aucun colorant réactif, acide ou basique. « De plus [il] semble insuffisant pour une exploration optimale des colorants dispersés », ne per met pas de détecter toutes les allergies et il s'avère « moins performant que ses composants testés individuellement ». Aussi serait-il nécessaire de « compléter [la] batterie d’exploration des colorants textiles sans se limiter au TDM ».
CONCLUSION
En cas d’eczéma chronique, diffus ou récidivant chez l’adulte et chez l’enfant, il ne faut pas sous-estimer la responsabilité des dermatites allergiques de contact dues aux allergènes contenus dans les vêtements. Les colorants sont aujourd’hui les premiers allergènes en cause, mais les Drs Leleu et Collet tirent la sonnette d’alarme sur l’émergence probable dans les années à venir de nouveaux allergènes contenus dans les textiles dits « intelligents ». En délivrant des molécules actives (parfums, cosmétiques), ceux-ci pourraient être à l’origine de nouveaux cas de dermatites de contact.
D’après les communications orale et écrite des Drs Évelyne Collet et Camille Leleu (CHU de Dijon Bourgogne), « Allergies aux textiles », GERDA 2024.
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