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Thérapeutique

Publié le 31 aoû 2014Lecture 11 min

Les thérapies ciblées dans le mélanome

C. ROBERT, C. MATEUS, Institut Gustave-Roussy, Villejuif
La recherche thérapeutique dans le domaine du mélanome métastatique connaît une phase d’intense développement depuis quelques années, couronnée par l’avènement et la mise sur le marché de médicaments répondant à deux stratégies gagnantes : l’immunothérapie et les thérapies ciblées. Nous développerons ici les résultats obtenus grâce aux thérapies ciblées dans le mélanome et les perspectives qu’ils ouvrent pour le futur.
Alors que nous ne disposions d’aucun traitement capable de prolonger la vie des patients atteints de mélanome métastatique, nous avons vu émerger depuis ces toutes dernières années deux traitements efficaces sur cette pathologie : – l’immunothérapie, avec en chef de file l’anticorps anti-CTLA-4, l’ipilimumab, suivi de près par les prometteurs inhibiteurs de PD-1 ou de son ligand ; – les thérapies ciblées avec, en premier lieu, les médicaments anti-BRAF talonnés par d’autres drogues aux résultats préliminaires encourageants : anti-MEK, ERK, Kit, PI3K...   Thérapie ciblée anti-BRAF Tout commença en 2002 lorsqu’un article de Nature nous apprit que la plupart des lignées de mélanome de patients étaient porteuses d’une mutation somatique du gène BRAF(1). Il s’agissait dans plus de 80 % des cas d’une mutation récurrente V600E, plus rarement, d’une mutation V600K. Le gène BRAF code pour une protéine du même nom (B-Raf) située sur la voie des Mitogen activated protein (MAP) kinases en aval des protéines RAS et en amont des protéines MEK (figure). En présence de la mutation V600E ou K, la protéine B-Raf est activée de façon constitutive et transmet un signal d’activation de cette voie, qui, par phosphorylations successives aboutit à la phosphorylation de ERK, puis à l’activation de nombreux facteurs de transcription intervenant dans la différenciation, la prolifération et la survie cellulaires. La fréquence élevée de la mutation de BRAF dans les mélanomes a été par la suite confirmée par différentes études et par des travaux effectués directement sur des prélèvements de patients et non sur des lignées. Cette mutation existe effectivement dans 50 à 60 % des mélanomes. Cependant, sa fréquence n’est pas répartie de façon homogène dans les différents sous-types de mélanomes. Elle est plus fréquente dans les mélanomes de type SSM (superficial spreading melanoma, les plus fréquents dans nos pays de population à peau blanche) que dans les mélanomes muqueux ou acrolentigineux. En revanche, des mutations du récepteur KIT, ligand du STF (STem cell Factor) sont retrouvées dans 5 à 10 % des mélanomes muqueux ou acrolentigineux(2,3). Ce démembrement moléculaire des mélanomes, avec des fréquences distinctes selon les soustypes cliniques et histologiques, a ouvert une nouvelle ère : on comprit alors que nous avions à faire face à des maladies différentes les unes des autres. Il n’était donc pas étonnant que nos chimiothérapies, les mêmes quel que soit le type de mélanome, soient aussi peu efficaces.   Schéma des voies de signalisation des MAP kinases et PI3 kinases impliquées dans l’oncogenèse des mélanomes. Au-dessus, différents types cliniques de mélanomes : nodulaire, solaire, superficiel extensif, acrolentigineux.    L’expérience du sorafénib Évidemment, la découverte de la mutation de BRAF résonna comme un coup de tonnerre dans le ciel trop calme du traitement du mélanome. À l’époque, le sorafénib était en développement. Cette molécule est un inhibiteur multikinase qui cible non seulement les protéines Raf, mais également VEGFR1, 2, 3, FlT-3, et à un moindre degré le récepteur KIT. Très rapidement, le sorafénib est testé dans des essais de phase I chez des patients atteints de mélanome. Malheureusement, cette première tentative est un échec. En monothérapie ou en association avec la chimiothérapie, les différents essais de phase I, II ou III menés avec le sorafénib ne montrent pas de réponse clinique significative, ni d’association quelconque avec l’existence de la mutation de BRAF chez les patients traités(4-6).   Le vémurafénib Après l’échec du sorafénib, d’autres inhibiteurs de BRAF ont été testés. Le chef de file de ces molécules, le vémurafénib a été développé par Plexxikon puis Roche. Il s’agit d’un inhibiteur plus spécifique de BRAF, avec une concentration minimale inhibitrice (CMI) beaucoup plus importante pour les autres protéines Raf (A-Raf et C-Raf)(7). Le développement de ce médicament n’a pas été facile. Alors que les résultats précliniques étaient très encourageants (tests in vitro et études sur xénogreffes murines), les premiers résultats chez l’homme étaient ardus à interpréter. Il a fallu un changement de formulation du produit pour pouvoir obtenir un taux de médicaments pharmacologiquement actifs dans le sang des patients. À partir du moment où la dose efficace a été obtenue, on a pu constater des résultats spectaculaires chez les patients dont les mélanomes étaient porteurs de la mutation V600E de BRAF. Les tep scanners montraient une réponse métabolique majeure dès 15 jours après le début du traitement et les patients récupéraient un état général significativement amélioré dès les premières semaines de traitement. Cet essai de phase I fut publié dans le New England Journal of Medicine en 2010(8) et la phase II a rapidement suivi. Elle a enrôlé 132 patients atteints de mélanomes métastatiques et porteurs de la mutation de BRAF. Cette phase II a confirmé les résultats extrêmement encourageants de la phase I avec plus de 50 % de patients répondeurs et une survie sans progression largement supérieure à ce que l’on connaissait auparavant chez les patients atteints de mélanomes(9). La phase II qui a permis l’enregistrement du vémurafénib était une étude randomisée ouverte sans changement de bras (crossover), puisque l’objectif principal était de pouvoir observer une augmentation de la survie globale. La plupart des patients était au courant des résultats spectaculaires des phases I et II, et, bien sûr, tous souhaitaient recevoir la molécule nouvelle et non pas la dacarbazine. Les inclusions furent très rapides et lors de la première analyse de l’essai, un an après le début des inclusions, il fut décidé de proposer un cross over étant donné le bénéfice obtenu dans le bras vémurafénib par rapport au bras dacarbazine. Malheureusement, pour certains patients cette possibilité de changement de traitement arrivait trop tard… Les résultats de cette phase III furent présentés au congrès de l’ASCO 2011 et publiés également dans le New England Journal of Medicine en juin 2011(10). Les effets secondaires graves de ce médicament au cours de cette phase III furent rares et la toxicité fut considérée comme acceptable. Un des effets secondaires fréquent et gênant pour les patients est la photosensibilité, qui est rapportée dans plus de 30 % des cas. Plus étonnant, et problématique également, on constate la survenue de tumeurs cutanées, bénignes, borderline et malignes à type de papillomes, de kératoacanthomes, de carcinomes épidermoïdes chez 20 à 30 % des patients et même de mélanomes, rapportés chez un faible nombre de patients plus récemment(11,12). Cette phase III a permis d’obtenir une autorisation de mise sur le marché en Europe et aux États- Unis, sous le nom commercial de Zelboraf®.   Le dabrafénib D’autres molécules spécifiquement inhibitrices de BRAF sont actuellement en développement. La deuxième, la plus avancée après le vémurafénib, est le dabrafénib (Laboratoire GSK). La phase III du développement vient d’être publiée et donne des résultats très similaires à ceux obtenus avec le vémurafénib(13). Cet essai de phase III autorisait un crossover, et l’objectif principal qui était l’augmentation de la durée sans progression, a été atteint : 5,1 mois avec le dabrafénib versus 2,7 mois avec la dacarbazine. Les laboratoires GSK ont eu la perspicacité de tester leur produit chez des patients atteints de métastases cérébrales et ont obtenu des taux de réponses très encourageants, récemment publiés dans Lancet Oncology(14). Par ailleurs, le dabrafénib est associé à un risque plus faible de kératoacanthomes et de carcinomes épidermoïdes, et ne semble pas induire de photosensibilité, ce qui pourrait lui conférer un meilleur rapport « efficacité sur toxicité » que le vémurafénib. Cela restera à démontrer au cours des mois qui viendront.   Résistance Le principal problème de ces traitements réside dans la survenue de résistances secondaires chez pratiquement tous les patients répondeurs, dont la tumeur finit par reprogresser après un délai de 6 à 9 mois. Ainsi, la différence en termes de survie globale entre les patients traités par vémurafénib et ceux traités par dacarbazine au cours de l’essai de phase III d’enregistrement a-t-elle tendance à diminuer avec le temps de suivi de l’essai, avec un hazard ratio (HR) qui est passé de 0,38 à 0,7 en un an, ce qui correspond à une diminution du risque de décès estimé à 62 % initialement puis à 30 % après un an.   Thérapies ciblées anti-MEK À côté des anti-BRAF, on assiste également au développement des molécules bloquant la molécule MEK et plusieurs composés développés par différents laboratoires ciblent cette enzyme. Les anti-MEK sont plus efficaces chez les patients porteurs de la mutation V600E (15). Les résultats d’une phase III, évaluant le tramétinib (anti-MEK développé par les laboratoires GSK) ont récemment été publiés(16). Cette étude randomisée a inclus 322 patients atteints de mélanome métastatique ou avancé, porteur de la mutation BRAF V600E/K, et a comparé deux bras de traitement : tramétinib versus chimiothérapie standard (dacarbazine ou paclitaxel), à raison de deux patients dans le bras tramétinib pour un patient dans le bras chimiothérapie. Les patients dont les tumeurs progressaient alors qu’ils étaient dans le bras chimiothérapie pouvaient ensuite recevoir le tramétinib en deuxième intention (cross over). L’objectif premier de l’étude était d’évaluer la survie sans progression. Les objectifs secondaires étaient la survie globale, le taux de réponse global et la sécurité. Dans le groupe traité par le tramétinib, le risque de progression de la maladie était diminué de 56 %, la survie sans progression était de 4,8 mois versus 1,4 mois dans le groupe traité par chimiothérapie et le taux de réponse globale était de 22 % versus 8 % avec la chimiothérapie. Parmi les 108 patients qui recevaient la chimiothérapie, 51 (47 %) dont les tumeurs progressaient ont reçu du tramétinib. Le tramétinib a aussi démontré un bénéfice significatif en termes de survie globale, avec une diminution du risque de décès de 46 % comparativement à la chimiothérapie. Les effets secondaires les plus fréquemment observés avec le tramétinib étaient : éruption cutanée, diarrhée, oedèmes, hypertension et fatigue. Ainsi, le tramétinib est la première molécule de la classe des inhibiteurs de MEK démontrant une amélioration de la survie sans progression (4,8 mois contre 1,4 mois) et de la survie globale comparativement aux chimiothérapies standards.   Combinaison anti-BRAF + anti-MEK Mais c’est aujourd’hui la combinaison d’un traitement anti-BRAF associé à un agent anti-MEK qui donne les résultats les plus prometteurs. Cette combinaison induit des réponses objectives chez la plupart des malades, y compris chez des patients ayant présenté une résistance secondaire à un anti-BRAF. Par ailleurs, on n’observe quasiment pas de carcinome épidermoïde ou de kératoacanthome chez ces patients(17).   Autres cibles D’autres thérapies ciblées sont aussi utilisées chez les patients atteints de mélanome, mais pour des types moléculaires moins représentés.   Les mutations NRAS Les mutations de NRAS sont retrouvées dans 15 à 20 % des mélanomes et il semble que les inhibiteurs de MEK puissent avoir une certaine efficacité chez ces patients. Plusieurs de ces molécules sont en développement actuellement dans cette souspopulation de patients. Les anti-C-Kit C-Kit, récepteur du STem cell Factor, qui intervient dans le développement des mélanocytes, est muté dans moins de 3 % des mélanomes, mais ces mutations sont plus fréquentes dans les mélanomes muqueux, acrolentigineux ou survenant sur une peau caractérisée par une élastose solaire. Des thérapies ciblées, dirigées contre le récepteur Kit peuvent être efficaces dans certaines de ces mutations et sont testées ou en développement : imatinib, dasatinib, nilotinib, masatinib. Les essais durent longtemps, car le recrutement est lent du fait de la rareté des mutations de KIT dans le mélanome, surtout dans nos contrées de sujets de phototype clair. En Chine, où les patients atteints de mélanomes présentent essentiellement des mélanomes muqueux ou acrolentigineux, plus fréquemment porteurs d’une mutation de KIT, le développement avance plus vite et donne des résultats très encourageants(18).   Conclusion Les traitements ciblés du mélanome métastatique ont révolutionné la prise en charge des patients atteints de cette affection. Aujourd’hui, la recherche de mutation de BRAF est un préalable indispensable à la décision thérapeutique. Les mutations de KIT sont effectuées en routine pour certains sous-types de mélanome et demain, nous rechercherons probablement les mutations de NRAS et bien d’autres mutations encore, pour cibler de mieux en mieux les anomalies moléculaires oncogènes. Les combinaisons de thérapies ciblées et les associations avec les immunothérapies seront très probablement des armes encore plus efficaces pour traiter nos patients au cours des prochaines années.

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