Publié le 03 jan 2016Lecture 9 min
Comment distinguer et traiter les différents types de prurit ?
L. MISERY, CHU de Brest
Le prurit n’est pas toujours lié à une maladie de peau et n’est pas toujours secondaire à l’histamine. Savoir différencier les différents types de prurit est donc utile pour le diagnostic, la prise en charge et le traitement.
Le prurit est défini comme « une sensation déplaisante qui provoque le besoin de se gratter »(1). Il peut survenir au cours de nombreuses circonstances : maladies cutanées inflammatoires, accumulation de toxines (prurit cholestatique ou urémique), maladies générales (hémopathies, maladies endocriniennes, etc.). Il peut être induit par des agents exogènes (produits chimiques, médicaments). Il peut être uniquement neuropathique ou psychogène. Il peut être aigu ou chronique. L’appréciation de son intensité ne peut être réalisée que par le patient, une échelle visuelle analogique lui permettant facilement de s’exprimer. Au même titre que la douleur ou l’asphyxie, il peut être à l’origine d’une souffrance importante. Les thérapeutiques actuelles ne sont pas toujours pleinement efficaces… Savoir repérer les différents types de prurit est donc de plus en plus important, surtout au vu des dernières découvertes physiopathologiques. Tous les prurits ne sont pas liés à l’histamine Les mécanismes du prurit sont moins bien connus que ceux de la douleur. L’existence de terminaisons nerveuses dédiées au prurit est désormais admise. Le prurit naît habituellement dans les terminai sons nerveuses libres épidermiques ou sousépidermiques, puis suit les voies habituelles de la sensibilité jusqu’au cerveau, transmis par l’influx nerveux et les neuromédiateurs. Il peut aussi commencer tout au long de ces voies (prurit neuropathique) ou même en relation avec les zones affectives du cerveau (prurit psychogène). On ne sait pas encore très bien où naissent les différents prurits sine materia d’autre cause. Comme l’histamine a été le premier médiateur décrit comme pouvant induire un prurit et comme nous di sposons de nombreux antihistaminiques, on pourrait croire que la grande majorité des prurits (voire tous) est due à l’histamine. Or, ceci est totalement faux ! Les antihistaminiques sont inefficaces dans la plupart des prurits (en dehors d’un effet placebo connu et puissant), dont ceux liés à la dermatite atopique ou au psoriasis, et n’ont d’ailleurs d’AMM que dans l’urticaire. L’injection d’histamine est suivie d’un prurit mais aussi d’une papule oedémateuse. Cette papule oedémateuse est donc un moyen de repérer cliniquement un prurit histaminergique et elle est effectivement rarement observée en dehors d’une urticaire. Il existe d’autres voies spécifiques du prurit, qui sont non histaminergiques. La seule qui soit clairement individualisée actuellement est celle des récepteurs des sérine-protéases (PAR-2 et dans une moindre mesure PAR-4), activés par des protéases comme la trypsine, la papaïne ou les kinines (kallicréine, bradykinine), probablement très impliquée dans le prurit de la dermatite atopique. L’injection de mucunaïne ou l’application de cowhage, un poil-à-gratter, n’induit pas de papule œdémateuse. Importance de la sémiologie du prurit L’entretien avec le patient permet de préciser les caractères du prurit, ce qui peut être très utile pour le situer : – date et mode de début (brutal ou progressif) ; – association ou non à des dysesthésies ou à des paresthésies ; – facteurs déclenchants (stress, irritants, etc.) ; – évolution (aiguë, paroxystique ou chronique) ; – chronologie (heure de la journée, période de l’année) ; – intensité (gêne dans le travail, la vie quotidienne, la vie affective ou le sommeil) ; – topographie et extension ; – facteurs aggravants (hypersudation, sport, bains, douches, repas ) ou calmant s ( froid, détente) ; – contexte associé (maladies, toxiques) ; – liens avec signes objectifs (avant, pendant ou après signes cutanés) ; – existence ou non d’un prurit collectif ; – effets des traitements… Importance de l’examen clinique Dans la très grande majorité des cas, l’examen clinique permet de faire le diagnostic d’une maladie dermatologique. Lorsque l’on est face à un prurit sine materia, d’autres éléments, y compris cutanés, peuvent contribuer à faire le diagnostic étiologique : œdème (insuffisance rénale, hypothyroïdie), ictère (cholestase), érythrose (maladie de Vaquez), pâleur et chute de cheveux (carence martiale), épilation de la queue du sourcil (hypothyroïdie), hypersudation (hyperthyroïdie, tumeur carcinoïde), etc. L’examen neurologique et l’examen général peuvent également apporter des informations utiles. Il est aussi intéressant d’observer les conséquences du grattage, qui peuvent varier selon l’origine du prurit. Ainsi, le grattage lié à l’urticaire est habituellement peu excorié, mais à l’origine d’un dermographisme. Au contraire, le grattage dans un contexte de dermatite atopique, de gale, de dermatite herpétiforme ou de varicelle, est souvent intense et accompagné de nombreuses excoriations, pas toujours très distinguables des lésions initiales elles-mêmes. Au cours du psoriasis, on note peu d’excoriations mais une extension longitudinale des lésions à cause du phénomène de Köbner. Dans le prurit psychogène, les excoriations sont souvent profondes, dans les zones visibles ou non, et parfois en coups de fouet dans le dos. Le classique respect d’une zone du haut du dos en forme de papillon est souvent davantage lié à la souplesse des patients… Le grattage dans le prurit ano-génital se traduit le plus souvent par une lichénification. Orientation devant les différents types de prurit L’IFSI, société savante internationale sur le prurit, recommande de classer les prurits en 6 catégories(2) : dermatologique, systémique (lié à un organe, à la grossesse ou médicamenteux), neurologique, psychogène, mixte et « autre », (c’est-à-dire d’origine indéterminée). Il faut rassembler le maximum d’éléments pour faire entrer le prurit dans l’une de ces catégories car le bilan éventuel et la prise en charge seront alors bien différents à l’intérieur de chaque catégorie. Les principales causes de prurit systémique sont listées dans l’encadré. Face à un prurit isolé, le premier réflexe doit être de rechercher une cause médicamenteuse. L’interrogatoire et l’examen clinique sont souvent suffisants pour identifier une cause possible, mais un bilan étiologique à l’aveugle est parfois nécessaire. Nous en proposons un dans l’encadré. Prurit idiopathique ou psychogène ? En l’absence de cause retrouvée après l’anamnèse, l’examen clinique et le bilan paraclinique, on peut en rester provisoirement au diagnostic de prurit idiopathique ou d’origine indéterminée. Chez une personne âgée, on peut retenir celui de prurit sénile. Mais on ne peut pas considérer le diagnostic de prurit psychogène comme un diagnostic d’élimination ! Ce diagnostic doit être posé après élimination de toute cause organique, mais avec des éléments cliniques en faveur d’un trouble psychiatrique. Il doit être systématiquement évoqué avec le patient dès le départ, qui a souvent une opinion, justifiée ou non, mais toujours intéressante. Le prurit psychogène peut être isolé, associé à une carence affective et parfois à des signes de dépression ou plus rarement d’hypochondrie, d’anorexie mentale, d’hystérie ou de psychose. Le diagnostic ne s’appuie donc pas uniquement sur des arguments négatifs, mais aussi sur des arguments positifs. Des critères diagnostiques ont donc été proposés(3) (encadré ci-dessous) afin d’éviter des erreurs diagnostiques qui conduisent à des prises en charge totalement inadaptées. Prurit neuropathique Non lié à une pathologie systémique et avec une sémiologie curieuse, le prurit neurologique ou neuropathique(4) représente un diagnostic différentiel du prurit psychogène à ne pas négliger, ce d’autant plus que son retentissement psychique est souvent majeur et donc trompeur. Des éléments sémiologiques doivent être systématiquement recherchés, car pouvant alors orienter dans ce sens : – topographie recoupant celle d’un territoire d’innervation ; – association avec une douleur, une allodynie, des paresthésies, des sensations de chocs électriques ; – association à une hyperesthésie ou une hypoesthésie ; – aggravation par le contact avec le froid. Le bilan sera alors bien différent selon que l’on s’oriente vers une pathologie du système nerveux central, une neuropathie par compression, une neuropathie périphérique classique ou une neuropathie des petites fibres. Prise en charge thérapeutique Un soutien psychologique et l’utilisation de petits moyens (émollients et autres topiques, eau froide, prévention du grattage, etc.) sont indiqués dans tous les cas. Le traitement étiologique reste le meilleur traitement lorsqu’il est possible. Il faut éviter les dermocorticoïdes ou les antihistaminiques si l’on n’a pas d’argument pour les prescrire. Sinon, l’effet placebo sera limité dans le temps et des effets secondaires sont possibles. La photothérapie, qui peut avoir un effet sur les terminaisons nerveuses, doit être utilisée avec parcimonie. Plusieurs psychotropes ont une action antiprurigineuse propre, qu’ils soient anxiolytiques (hydoxyzine) ou antidépresseurs (doxépine, fluoxétine et autres inhibiteurs de recapture de la sérotonine). Sans qu’il y ait véritablement un prurit psychogène, ils peuvent être utilisés parce qu’anxiété et dépression majorent tout prurit. Les prurits neurologiques répondent souvent bien à la capsaïcine par voie locale. En seconde intention, on peut avoir recours à la gabapentine ou à la prégabaline par voie orale. Comme la naltrexone, ces derniers peuvent être utilisés en dernier recours, mais leur maniement demande de l’expérience. Conclusion Une analyse sémiologique fine du prurit est indispensable pour préciser le diagnostic étiologique mais peut-être aussi dans l’avenir les mécanismes du prurit, tant des différences peuvent être mises en évidence(5). La prise en charge du prurit doit commencer par la recherche d’une étiologie, le bilan paraclinique devant être orienté par la clinique. Ensuite, le traitement doit être étiologique si possible, et sinon symptomatique. Bien que relevant de la pratique quotidienne du dermatologue, la prise en charge du prurit devient plus complexe et plus performante. Dans les cas les plus complexes, elle devrait relever de centres spécialisés, tels qu’il en existe pour la prise en charge de la douleur.
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