Publié le 20 nov 2017Lecture 4 min
Kératoses actiniques du cuir chevelu
Jean-Luc PERROT et coll.(1), CHU de Saint-Étienne
"Mais couvrez-vous messieurs, évitez que votre cuir chevelu ne vieillisse plus vite que vous !!"
La constatation de l’existence de kératoses actiniques localisées sur le cuir chevelu est une des situations les plus banales lors des consultations de dermatologie. Elle conjugue la grande fréquence de l’alopécie androgénogénétique et l’habitude de ne pas porter de couvre-chef dans un contexte social où la photoprotection n’est pas une priorité culturelle.
Normalement, le cuir chevelu est efficacement protégé du rayonnement solaire par les cheveux qui constituent une barrière mécanique naturelle particulièrement efficace. La raréfaction progressive de la densité capillaire ainsi que la diminution du diamètre et de la pigmentation des cheveux au cours de la vie conduisent à une insolation progressive du cuir chevelu, le plus souvent involontaire et totalement négligée par les sujets (figure 1 a et b). Cette évolution est avant tout masculine. L’habitude esthétique du rasage du cuir chevelu largement répandu chez les jeunes hommes et les adolescents depuis la victoire de l’équipe de France de football en 1998 est une mode, qui probablement, aura des conséquences en ce qui concerne les dégâts hélio-induits du cuir chevelu chez l’homme au cours des prochaines décennies. Les kératoses actiniques (KA) sont une pathologie très fréquente, mais les études consacrées à l’épidémiologie de cette affection ne sont pas particulièrement nombreuses : 2 891 articles référencés dans PubMedau mot clé « actinic keratosis » en février 2016, réduits à 183 quand on croise avec l’item « epidemiology ». À titre de comparaison, si on recherche dans cette même base de données l’item « melanoma », on retrouve 105 222 références ramenées à 12 482 si on croise avec l’item « epidemiology » soit plus de 66 fois plus d’études épidémiologiques.
Figure 1. Alopécie androgénogénétique stade IV de l'échelle de Norwood.
a. Cuir chevelu non héliodermique. b. Héliodermie débutante.
Ainsi, en Grande-Bretagne, la fréquence est estimée entre 19-24 % chez des patients de plus de 60 ans(1,2). Entre 40 et 60 % des adultes australiens ont au moins une KA(3). Une autre étude australienne de Marks R. portant sur 1 040 sujets sains (446 hommes et 594 femmes) volontaires entre 40 et 99 ans, d’âge moyen 58,8 ans a retrouvé une fréquence de 59,2 % des kératoses actiniques(4).
Aux États-Unis, l’analyse de la base de données du National Ambulatory Medical Care Survey, Cutis, entre 1990 et 1999, à propos de 335 millions de visites, 14 % (47 millions) de patients, pris en charge par des dermatologues, présentaient des KA(5).
Les données françaises sont relativement rares. Il faut noter toutefois l’étude prospective de P. Bernard et coll. menée auprès de 215 dermatologues, ayant procédé à l’examen de 78 300 consultations(6). Des kératoses actiniques ont été retrouvées chez 3 688 patients soit 5 % des consultants avec un sex ratio H/F de 1,35. Les kératoses actiniques étaient diagnostiquées chez des sujets de plus de 55 ans dans 92 % des cas. 49 % des malades avaient moins de 4 kératoses actiniques, et dans 70 % des cas, l’atteinte était localisée sur l’extrémité céphalique.
Nous avons réalisé, au cours de l’étude Peau PROOF, l’examen systématique de manière standardisée et indépendante par 3 dermatologues seniors de 209 sujets. Il s’agissait de 105 femmes et 104 hommes d’âge moyen 77,5 ans (âges extrêmes 74-81 ans). Il s’agissait de sujets issus de la cohorte stéphanoise PROOF (PROgnostic indicator OF cardiovascular and cerebrovascular events)(7). Cette cohorte a été constituée en 2001 et comprenait initialement 1 011 sujets sains, indemnes de maladie cardio vasculaire. Tous les sujets étaient initialement âgés de 65 ans, lors de l’enrôlement, et ont été tirés au sort sur les listes électorales de la commune de Saint-Étienne. Deux cent-neuf des 800 survivants ont accepté de participer à cette étude portant sur le vieillissement cutané. Il s’agissait de sujets de phototype II et 72,2 % d’entre eux avaient des KA. Les hommes en avaient plus comparativement aux femmes (87,5 % versus 57,1 %). Le scalp n’était affecté que chez l’homme (47,1 %). Si 66,9 % des sujets avaient moins de 10 KA, 9,3 % des sujets avaient plus de 50 KA(8). Nous avons trouvé une prévalence supérieure aux études européennes de populations du même âge. Notre échantillon est statistiquement similaire à la population stéphanoise et probablement à la population française de cet âge.
Ainsi, alors que la prévalence des kératoses actiniques dans cette population de recrutement initial non dermatologique, éduquée et bénéficiant d’un suivi médical est déjà élevée, elle risque d’augmenter considérablement dans l’avenir, en partie du fait de l’allongement de l’espérance de vie.
Outre la prise en charge thérapeutique, la prise en charge des kératoses actiniques du cuir chevelu repose sur un volet préventif avec d’une part la prévention primaire : port d’un couvre-chef à partir du moment où le « chapeau naturel » que constitue les cheveux devient inopérant sous l’effet de l’alopécie androgénogénétique et/ ou du vieillissement essentiellement (figure 1 a et b) ; d’autre part une prévention secondaire avec port systématique d’un couvre-chef à l’issue du diagnostic de kératose actinique même unique (figure 2b), a fortiori s’il existe un champ de cancérisation (figure 2a), associé lorsque cela est nécessaire à l’utilisation de topique photoprotecteur.
Le retour de la mode du chapeau sera l’élément le plus efficace pour espérer enrayer cette épidémie de kératose actinique du 3e et 4e âge qui s’annonce avec son cortège de carcinomes épidermoïdes (figures 3a et b).
Figure 2. Alopécie androgénogénétique. a. Cercle bleu, champ de cancérisation
avec kératoses actiniques multiples. b. Flèche bleue : kératose actinique isolée.
Figure 3. Carcinome épidermoïde (flèches bleues) développé sur champ de cancérisation
de kératose actinique sur crâne alopécique.
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