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Photodermatologie

Publié le 11 sep 2017Lecture 10 min

La photoprotection des peaux noires

Camille FITOUSSI, Paris

L’idée que la peau noire* est « naturellement photoprotégée » est largement répandue, et partiellement vraie. Il faut cependant nuancer cette donnée en considérant un certain nombre d’éléments qui font l’objet de cet article.

*Tout au long du texte les termes « Noir » et « Blanc » sont utilisés par simplicité pour éviter les périphrases, sans connotation descriptive ni évidemment discriminative. Cette question très actuelle fait l’objet de controverses dans le petit monde de la dermatologie ethnique depuis la publication d’une étude américaine en 2014(1) suggérant de protéger par des écrans solaires toutes les peaux noires (!). À cet article a répondu de façon très pertinente un groupe international d’experts(2) soulignant à juste titre, que la photoprotection cosmétique est loin d’être nécessaire pour toutes les peaux noires et surtout totalement irréaliste tant sur le plan pratique qu’économique. Alors qu'en est-il ? • En premier lieu, la peau noire n’est pas une entité globale en tant que telle ; il en existe de multiples nuances et il est évident que les plus claires – les « chabins » et les métis – ont des besoins proches des peaux dites « blanches ». Il en va de même pour les peaux noires que nous voyons en France métropolitaine et qui ont perdu une partie de leur photoprotection par le simple éclaircissement lié à la réduction de l’ensoleillement et qui sont exposées aux coups de soleil (figure 1) lors des premières expositions, risques potentiellement plus graves pour les nombreuses Africain(e)s pratiquant la dépigmentation artificielle(3). Figure 1. « Érythème actinique » (= hyperpigmentation) du bas du dos chez une Antillaise après une première réexposition (avec fine desquamation en périphérie).   • Par ailleurs, il faut considérer le lieu de vie et la saison : il est évident que cette question ne se pose pas de la même façon selon que l’on vit au Nord ou au Sud ; d’ailleurs en France se pose plutôt le problème inverse, à savoir les conséquences de la réduction de l’ensoleillement. Celle-ci, souvent associée à la réduction de l’hygrométrie, peut révéler – ou aggraver – des affections jusque-là latentes car « photoprotégées » tels l’acné ou l’eczéma, ou encore faire apparaître par l’éclaircissement relatif des irrégularités pigmentaires plus ou moins physiologiques telles la dyschromie créole ou les lignes de Fuchter-Voigt, sans oublier une conséquence non dermatologique notable : la carence en vitamine D. • Enfin, les modifications climatiques actuelles globales affectant la couche d’ozone, aggravées par la pollution, majorent les conséquences néfastes des radiations solaires pour tous. Mécanisme de la photoprotection naturelle Elle repose sur un composant de la mélanine, pigment biologique synthétisé à partir de la tyrosine, l’eumélanine qui assure cette protection à la fois par un effet physique de diffraction et d’absorption des UV (effet écran/bouclier), mais aussi par une action de réparation des altérations de l’ADN et d’élimination des éléments trop altérés (action maintien de l’intégrité), cette faculté étant nettement supérieure dans la peau noire (figure 2). En effet, alors que le nombre de mélanocytes est sensiblement identique chez tous, ce qui caractérise la peau noire est l’abondance des mélanosomes mais surtout leur maturité et surtout leur répartition dans l’épiderme (figure 3). Ainsi, la peau noire est naturellement mieux protégée du soleil car elle contient jusqu’à la couche cornée des mélanosomes de stade 4 remplis d’eumélanine, alors que la peau blanche ne contient que des mélanosomes de stade 2 ou 3 (moins chargés en mélanine) et surtout localisés en profondeur. Figure 2. Moins de dégâts et meilleure réparation grâce à l’activation de la P53 et induction de l’apoptose. Figure 3. Photoprotection naturelle de la peau : la mélanine (eumélanine). Différence de maturité et de répartition des mélanosomes. Cette protection naturelle permanente est majeure contre les UVB, un peu moindre contre les UVA. Elle explique la moindre fréquence des cancers cutanés (hors métissage), ainsi que le retard des signes de vieillissement cutané, essentiellement grâce à la plus grande faculté de réparation et d’élimination des éléments altérés. En revanche, paradoxalement, des études récentes montrent une plus forte sensibilité de la peau noire à la lumière visible avec un risque accru pour certaines dermatoses pigmentogènes (mélasma) (figure 4)(3). Cette photoprotection naturelle a joué un rôle majeur dans la répartition géographique de l’espèce humaine depuis son foyer d’origine en Afrique de l’Est : en effet, des modifications d’environnement géologiques et de la végétation ont contraint nos ancêtres à migrer vers le Nord, où l’ensoleillement moindre a entraîné une sélection des sujets plus clairs en raison d’une meilleure capacité à synthétiser la vitamine D par les kératinocytes sous l’effet des UV. Cet éclaircissement progressif qui constitue un avantage évolutif majeur s’est installé génétiquement au fil des millénaires, et ce d’autant plus que la mélanine protège également de la dégradation des folates, qui est un facteur déterminant dans la spermatogenèse, l’embryogenèse et le maintien des grossesses. Figure 4. Photovieillissement : peu de rides/peu d’affaissement, dyschromies.   Que se passe-t-il lors de l'exposition solaire ? La peau est alors exposée aux radiations (UVA, UVB) émises par le soleil (les UVC très dangereux sont heureusement bloqués par la couche d’ozone de l’atmosphère). • Les UVB (315-280) (2 %) bien que très énergétiques ne touchent que les couches superficielles et sont responsables de l’érythème actinique, le « coup de soleil », mais aussi de lésions directes sur l’ADN. À noter que sur peau noire, cet érythème (comme tout érythème) n’est perceptible que chez les métis ; il se traduit habituellement par une hyperpigmentation, parfois accompagnée de desquamation (figure 1). • Les UVA (400-315) (98 %) pénètrent en profondeur et sont responsables de la production de radicaux libres dangereux et d’atteinte des cellules souches. Par ailleurs, ils activent la tyrosinase par le biais d’une chaîne de réactions au sein de laquelle la protéine P53 joue un rôle majeur (figure 5). Cette activation entraîne une production de mélanine rendant compte du bronzage mais cette synthèse se fait au prix d’effets mutagènes avérés. De plus, il est important de souligner que cette pigmentation facultative n’est pas protectrice contrairement à ce qui est avancé par le marketing des cabines de bronzage ! Figure 5. Photoprotection stimulée (bronzage).   Alors faut-il protéger les Noirs du soleil ? À cette question complexe, il n’y a pas de réponse univoque mais plutôt des sous-questions : de quoi ? qui ? où ? Et surtout comment ? De quoi ? • En ce qui concerne le problème majeur, le cancer, rappelons que sa fréquence sur peau noire est estimée 20 à 50 fois moindre que sur peau blanche(2), mais sous-estimée probablement par le biais d’une sémiologie différente et un moindre accès aux soins. Cette faible fréquence est, comme nous l’avons vu, liée à ses propriétés de réparation et d’élimination des cellules endommagées et/ou mutées (figure 1)(3). Soulignons que le mélanome malin touche essentiellement les zones non exposées(2) et que les carcinomes surviennent surtout sur peaux lésées ou artificiellement éclaircies(4). • Le photovieillissement Alors que la bonne protection du derme explique le peu de rides et d’affaissement, la grande sensibilité de l’épiderme à la lumière visible explique la fréquence du mélasma (figure 4) et les difficultés à le traiter(5). • En ce qui concerne les dyschromies : pas de réponse univoque. L’idée la plus répandue est qu’il faut « protéger les taches du soleil » ; en réalité, ça dépend de leur nature : – certaines sont toujours photoaggravées : avant tout le mélasma mais aussi les lentigos, les cicatrices récentes, le lichen plan et les dermatoses lichénoïdes : elles nécessitent donc une stricte photoprotection ; – d’autres sont améliorées par l’amélioration de la dermatose sous-jacente ; c’est notamment le cas de l’acné et de l’eczéma, ce qui explique leur apparition (ou leur aggravation) à l’arrivée en France pour de nombreux patients. La rechute au retour étant habituelle, il n’est pas certain que la photoprotection ait un intérêt ; – quant au vitiligo, alors que l’exposition très prudente peut être favorable, elle peut aussi être un facteur aggravant (voire déclenchant ?) avec risque de brûlure. • Et le bronzage ? Contrairement aux Blancs qui malgré les messages de santé publique continuent à s’exposer en masse sur les plages (ou pire dans les cabines à bronzer), c’est le désir de ne pas bronzer qui va principalement pousser les Noirs (surtout les femmes) à se protéger du soleil. Mais la peau noire ayant une large variété de nuances, on constate chez nos patients une grande diversité dans la recherche du teint idéal : certaines Antillaises très claires cherchent à le rester mais d’autres à bronzer, d’autres encore constatant un éclaircissement qualifié de « blême » en métropole voudraient « retrouver leur teint » ; les Africaines sont en général heureuses d’avoir un peu éclairci mais voudraient un teint plus homogène et souhaitent ne pas « rebronzer » et d’autres bien pigmentées en sont contentes mais ne souhaitent pas « surbronzer » jusqu’à devenir « bleues »… Ce n’est plus un problème médical. Qui protéger ? Évidemment, tous les sujets présentant des affections photoaggravées telles que les affections auto-immunes, notamment le lupus dont on connaît la grande fréquence chez les Noirs, mais aussi les patients sous traitement photosensibilisant (notamment antihypertenseurs), ceux présentant des antécédents de photodermatose, évidemment ceux atteint d’albinisme et de façon plus large : les femmes enceintes (mélasma) et/ou sous estroprogestatifs, les bébés n’ayant pas encore acquis leur pigmentation, les personnes âgées, évidemment les personnes ne voulant pas bronzer et tous (Noirs comme Blancs) les premiers jours lors des retours au pays. Comment ? En zone intertropicale, la population pratique spontanément une protection comportementale et vestimentaire (ombrelles, chapeaux à larges bords, vêtements couvrants (pour d’autres motifs, les Musulmans…) : ces habitudes présentant en outre l’avantage d’une relative protection contre la chaleur. Quelle place pour la protection cosmétique ? Elle est moindre par rapport à la protection comportementale et surtout destinée au visage des sujets concernés, ainsi qu’aux personnes redoutant le bronzage dans l’esprit d’une valorisation du teint plus clair. Quel produit ? Idéalement, il faudrait une forme non grasse, transparente, avec une bonne rémanence en climat chaud et humide, un faible indice UVB/fort indice UVA et surtout filtre contre la lumière visible. • Difficile challenge au niveau cosmétique : – seuls les écrans minéraux teintés ou opaques ont une action effective contre la lumière visible, mais leur galénique les rend peu acceptables sur peau noire (figure 6) ; – les formulations récentes dites « toucher-sec » constituent un réel progrès cosmétique (figure 6bis) mais il n’est pas certain que leur rémanence soit suffisante dans un environnement tropical et elles ne protègent pas des effets de la lumière visible. Figure 6. Le problème de la galénique sur peau noire… Figure 6bis. Formes fluides ou « toucher-sec » plus acceptables mais pas de protection lumière visible ; rémanence en climat tropical ?   • Sur le plan pratique et financier : pas question de protéger des millions d’individus souvent à faible niveau socio-économique par des crèmes coûteuses à renouveler toutes les 4 heures et dont l’utilité en dehors des cas particuliers est plus que discutable ! Enfin, à terme, elle poserait des problèmes environnementaux comme cela commence à être observé avec un impact sur les coraux et le plancton du littoral(6). Au total Loin d’être une question simple comme sur peau blanche où la réponse est clairement oui, la question de la photoprotection de la peau noire n’a pas de réponse globale : en aucun cas indispensable pour tous, elle varie selon le terrain, le lieu de vie, les habitudes et au final, en dehors de pathologie particulière, plus que la science c’est le désir du patient qui de façon très variable (selon son idée du teint idéal) va le conduire à se protéger ou non, et de quelle façon. On touche là un domaine sociétal bien plus large que la dermatologie. Il importe pour le dermatologue de savoir moduler sa réponse et de ne pas imposer une pratique peu réaliste et souvent inutile en transmettant sans nuance des messages globaux d’information destinés au grand public et qui ne concerne pas cette population. Immenses remerciements à Thierry Passeron (CHU de Nice)

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