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Cancérologie

Publié le 19 déc 2018Lecture 7 min

Vitamine PP et cancer cutané

Jean-Luc SCHMUTZ, CHRU Nancy-Brabois

De nombreuses études vont pour beaucoup dans le sens d’un intérêt de la vitamine PP tant par voie locale que par voie générale dans la prévention des cancers cutanés. Il y est fortement suggéré que la nicotinamide favoriserait la réparation de l’ADN dans les cellules de la peau endommagées par le soleil et protégerait le système immunitaire de la peau contre les rayons UV. On le voit, d’après toutes ces études, la question ne peut être tranchée aujourd’hui, mais ces études sont intéressantes.

Également appelée vitamine B3 ou niacine, la vitamine PP (preventive pellegra) joue un rôle dans l’utilisation de l’énergie par l’organisme (métabolisme énergétique). La vitamine PP est une vitamine hydrosoluble composée de l’acide nicotinique (niacine) et de son amide, la nicotinamide (niacinamide). Cette dernière est le précurseur de deux dérivés particulièrement importants sur le plan métabolique : – le nicotinamide adénine dinucléotide (NAD), – le nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (NADP). Par voie générale, la niacinamide a été conseillée dans de multiples maladies qui vont des rhumatismes au diabète en passant par la schizophrénie ou les maladies cardiovasculaires du fait d’une action hypocholestérolémiante. Elle diminue également les effets psychologiques du stress et de l’anxiété, et représente un traitement potentiel efficace pour les troubles comportementaux de l’adolescent, mais également chez les personnes âgées et chez les athlètes. Elle améliore l’état des patients alcooliques souffrant de pancréatite chronique, il en serait de même des patients VIH. Elle est conseillée chez la femme sous contraceptif. Photocarcinogenèse Près de 90 % des cancers cutanés non mélanome et 65 % des mélanomes peuvent être attribués aux ultraviolets (UV). Les UVA (320-400 nm) et les UVB (290-320 nm) peuvent être responsables de cancers cutanés selon deux voies : altération de l’ADN et immunosuppression. L’exposition, même à des doses faibles d’UV, peut causer le blocage glycolytique, l’inhibition d’enzymes intervenant dans la production d’énergie et la déplétion d’ATP kératinocytaire. La réparation de l’ADN altéré demande beaucoup d’énergie. En cas de manque, le risque est grand de voir apparaître des mutations au niveau de la chaîne d’ADN avec formation de dimères de pyrimidine. Nicotinamide et PARP1 Il a été démontré expérimentalement que la nicotinamide débloque la glycolyse productrice d’énergie et notamment d’ATP au niveau de cultures de kératinocytes humains irradiés. La nicotinamide régule négativement également PARP1 (polyadénosine diphosphate-ribose polymérase), une enzyme importante dans la réparation de l’ADN et qui est activée par les UV(3). PARP1 intervient non seulement dans la réparation de l’ADN et la stabilité génomique, mais a également une action dans la régulation de plusieurs facteurs de transcription, particulièrement ceux en relation avec l’expression des cytokines proinflammatoires, chémokines, molécules d’adhésion et médiateurs de l’inflammation (TNFα, IL1β, IL6 et IL8). Lorsque PARP1 est surexprimé, NAD peut être surconsommé conduisant à un dysfonctionnement cellulaire ou à une nécrose cellulaire. La nicotinamide a un effet important pour permettre un fonctionnement normal de PARP1. Plusieurs études utilisant des cultures de kératinocytes humains et d’autres avec de la peau humaine ex vivo ont démontré que la nicotinamide aide à la réparation de l’ADN. La nicotinamide augmente à la fois les proportions des cellules subissant une réparation par excision et le taux de réparation des kératinocytes humains en culture. Dans les deux cas, la nicotinamide réduit la formation de dimères de cyclobutane de pyrimidine, photolésions induites après irradiation par les UVB, ainsi que les 8 oxo-7, 8-dihydro-2’-déoxyguanosine(4) dus à des altérations oxydatives induites par les UVA. Les études animales ont montré que la nicotinamide prévient les effets immunosuppresseurs des UV chez la souris quand elle est donnée par voie générale ou par voie locale. Les études cliniques ont confirmé ces rapports montrant que la nicotinamide prévient la photoimmunosuppression quand elle est donnée à la dose de 500 mg ou 1 500 mg et par voie topique à une concentration de 5 %. Les effets de la photo-immunosuppression à la fois des UVB (300 nm) et des UVA longs (385 nm) sont réduits de façon similaire. Dans le domaine de la cancérologie, chez la souris irradiée par ultraviolets, l’application topique de nicotinamide réduit significativement l’incidence des cancers de 75 à 43 % (p = 0,016). Une autre étude chez la souris a montré que la supplémentation alimentaire avec 0,1, 0,5 ou 1 % de niacine réduit l’incidence des cancers cutanés de 68 à 60, 48 (p = 0,038) et 28 % (p = 0,026), montrant une réponse dose-dépendante. Les études chez l’homme Les kératoses actiniques sont extrêmement fréquentes dans la population générale, en particulier en Australie où 40 % des adultes ont au moins une kératose actinique. Il est estimé que 0,6 % des kératoses actiniques évolueront vers un carcinome spinocellulaire après un an et 3 % après 4 ans. Une étude de phase 2, en double aveugle, randomisée (de juin à octobre 2009) a concerné 35 patients sains (avec au moins des antécédents de 4 kératoses actiniques), recevant 500 mg 2 fois par jour de nicotinamide, comparés à des témoins recevant du placebo. Dans le groupe sous nicotinamide, il a été observé une réduction de 35 % des kératoses actiniques comparativement au placebo après 4 mois de traitement (p = 0,0006). Dans le même travail, les auteurs rapportent une deuxième étude à propos de 41 patients ; cette fois-ci, chacun a reçu 500 mg ou un placebo une fois par jour pendant 4 mois (d’août à novembre 2010). On constate une réduction de 29 % des kératoses actiniques (p = 0,005) avec des résultats similaires à ceux de la première étude(5). Un autre essai contrôlé, en double aveugle, randomisé, sur l’effet de la nicotinamide par voie locale sur l’apparition des kératoses actiniques a été réalisé chez 30 sujets volontaires appliquant 2 fois par jour pendant 6 mois soit de la nicotinamide, soit un placebo. À 3 mois, on constate déjà une réduction de 22 % des kératoses actiniques (p = 0,04) comparé à 10 % sous placebo (p = 0,3)(6). Cependant à 6 mois, cette différence n’était plus retrouvée (25 % contre 22 %). Les auteurs ne trouvent pas de réponse pour expliquer l’absence de maintien du résultat. Ceci est peut-être dû au nombre faible de participants (30). Une autre explication possible est que la nicotinamide en topique accélère la phase de résolution des kératoses actiniques, qui arrive quand la photo-immunosuppression est inversée (comme ceci est observé lors des fluctuations saisonnières dans le nombre des kératoses actiniques). Il est à noter qu’aujourd’hui, notamment en Australie, un grand nombre d’écrans solaires contient de la nicotinamide dans leur formule(7). L’étude poolée de phase II concernant l’essai contrôlé de l’étude des kératoses actiniques regroupant 74 patients ayant au moins quatre kératoses actiniques, voit diminuer leur nombre et réduire de façon significative le nombre de nouveaux cancers cutanés non mélanome. Dans le groupe des 37 patients sous placebo, on constate 20 nouveaux cas de cancers cutanés non mélanomes (12 carcinomes basocellulaires et 8 carcinomes spinocellulaires) comparés à seulement 4 cas de cancers non mélanomes dans le groupe sous niacinamide (2 carcinomes basocellulaires et 2 carcinomes spinocellulaires) chez les 37 patients sous nicotinamide après 4 mois (RR = 0,24, p = 0,010). Récemment, un essai contrôlé de phase 3 en double aveugle randomisé a été réalisé. Dans cette étude, 386 patients ayant eu au moins deux cancers non mélanomes de la peau au cours des 5 dernières années (donc considérés comme à risque élevé) ont été randomisés pour prendre un placebo ou de la nicotinamide 500 mg 2 fois par jour pendant 12 mois(8). À 12 mois, les taux de nou veaux diagnostics de cancers non mélanomes étaient réduits de 23 % dans le groupe sous nicotinamide comparativement au groupe sous placebo (-20 % pour les carcinomes basocellulaires et -30 % pour les carcinomes spinocellulaires). Le nombre de kératoses actiniques était moindre dans le groupe sous nicotinamide de 11 % à 3 mois, 14 % à 6 mois et 20 % à 9 mois. Cette étude conduite à l’Hôpital Royal Prince Alfred Head Westmead de Sydney a été financée par le Conseil National de la Santé et de la Recherche Médicale (National Health and Medical Research Council, NHMRC) d’Australie. Cette prévention peut également être intéressante chez les transplantés rénaux qui ont un risque élevé de cancer cutané. Une étude de phase 2(9), bien que discutable(10), semble intéressante, mais nécessite confirmation, notamment avec la réalisation d’une étude de phase 3. Un réel espoir thérapeutique Ces études demandent confirmation. Il manque notamment des travaux épidémiologiques, comme le constate l’équipe de E. Cho et coll. qui vient de publier un travail basé sur la consommation de niacine et la prise d’une éventuelle supplémentation. Pour cela, ils ont utilisé deux registres, celui de 72 308 infirmières du Nurses’ Health Study (1984-2010) et celui de 41 808 professionnels de santé (1986-2010). La quantité consommée de niacine est analysée tous les 2 à 4 ans. Pendant la période de suivi, ils ont constaté 23 256 carcinomes basocellulaires et 2 530 carcinomes spinocellulaires et 887 mélanomes. La prise de niacine est inversement associée au risque de carcinome spinocellulaire. Cependant, ce risque est marginal pour le carcinome basocellulaire. À l’inverse, une consommation importante de niacine est aussi marginalement associée à un risque de mélanome chez l’homme, mais pas chez la femme(11). Au total, il semble d’après cette étude, qu’il peut exister un bénéfice à consommer de la niacine pour prévenir l’apparition des carcinomes spinocellulaires, mais pas des carcinomes basocellulaires ni des mélanomes. Au total, la nicotinamide favorise la réparation de l’ADN dans les cellules cutanées endommagées par le soleil en donnant à ces cellules un regain d’énergie nécessaire pour réparer les dommages de l’ADN et protéger le système immunitaire de la peau contre les rayons UV.

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