Publié le 22 nov 2019Lecture 6 min
Impétigo herpétiforme : une urgence thérapeutique
P. BERBIS, Hôpital Nord, Marseille
Parmi les dermatoses de la grossesse, l’impétigo herpétiforme (improprement nommé, voir plus loin) est probablement la plus rare mais aussi la plus dangereuse pour le couple maternofœtal. De diagnostic aisé, elle nécessite une prise en charge urgente pour éviter des complications, notamment à type de retard de croissance in utero.
Observation
Une patiente âgée de 28 ans a consulté pour une dermatose étendue, nettement pustuleuse évoluant depuis quelques jours dans un contexte fébrile et d’altération de l’état général. Les lésions avaient débuté sous la forme d’un érythème douloureux au niveau des plis (figure 1), et se sont étendues rapidement en quelques heures alors que les plaques se recouvraient de très nombreuses pustules superficielles laiteuses qui se regroupaient pour former des nappes pustuleuses (figure 2).
Les muqueuses, la face et les extrémités étaient épargnées. L’évolution se faisait de manière centrifuge (figure 3).
La patiente a signalé des arthralgies diffuses, des céphalées et des nausées. Le contexte était celui d’une grossesse au 9e mois, déroulée sans problème jusqu’alors. On ne notait aucune prise médicamenteuse, aucun antécédent particulier. Le bilan biologique mettait en évidence un syndrome inflammatoire marqué ainsi qu’une polynucléose. Le reste du bilan était sans anomalie notable, la calcémie notamment. Le contenu des pustules était stérile. Face à ce tableau, les diagnostics d’impétigo herpétiforme et de pustulose exanthématique aiguë généralisée étaient évoqués. L’analyse microscopique (figures 4 et 5) montrait une hyperplasie épidermique, les kératinocytes étant réguliers.
L’épiderme était dissocié par une importante spongiose et par des pustules riches en polynucléaires neutrophiles avec un net renforcement souscorné. La couche cornée était épaissie avec des phénomènes de parakératose focale. Le derme était très inflammatoire avec des images de dermite et de capillarite sub-aiguë avec de nombreux polynucléaires neutrophiles sans leucocytoclasie. Il n’y avait pas d’agent pathogène. Le diagnostic d’impétigo herpétiforme a été retenu. Un traitement par dermocorticoïdes et un accouchement rapide ont fait régresser la symptomatologie, qui a récidivé en post-partum sous forme de psoriasis pustuleux traité avec succès par ciclosporine. L’enfant était en bonne santé, sans anomalie cutanée.
Discussion
La première description du psoriasis pustuleux généralisé gravidique (PPGG) a été faite par Hebra et al. au XIXe siècle, sous le nom d’impétigo herpétifome, terme aujourd’hui obsolète car cette dermatose n’a aucun lien ni avec l’impétigo ni avec l’herpès. La parenté d’expression clinique et microscopique avec le psoriasis pustuleux généralisé fait retenir aujourd’hui la dénomination « psoriasis pustuleux généralisé gravidique (PPGG) ». Il s’agit d’une pathologie très rare, moins de 200 cas publiés à ce jour. L’intérêt d’un diagnostic précoce est renforcé par le risque de complications maternofœtales parfois majeures.
La physiopathologie est en grande partie inconnue et est très probablement proche de celle du psoriasis pustuleux généralisé dans lequel le rôle de l’interleukine 1 (IL1) et de l’interleukine 36 (IL36) a été mis en avant. Une prédisposition génétique est très probable, avec la mise en évidence de mutations homozygotes ou hétérozygotes du gène codant pour l’IL36RN qui est un antagoniste des récepteurs aux cytokines de la famille de l’IL1 ; 17 mutations sont ainsi répertoriées à ce jour dans la littérature. Dans un nombre significatif de cas, des antécédents de psoriasis dans la famille sont notés mais ce n’est ni un critère obligatoire pour le diagnostic ni un facteur constant. Les facteurs déclenchants sont encore mal connus : fort taux de progestérone au cours du 3 e trimestre de la grossesse, hypoparathyroïdie, hypocalcémie.
La présentation clinique est stéréotypée
Le début des symptômes se fait au 3e trimestre de la grossesse et cède à l’accouchement dans la plupart des cas mais peut également de manière exceptionnelle se développer en postpartum ou débuter plus tôt dans la grossesse, au 2e trimestre. En règle générale, le PPGG récidive au cours des grossesses suivantes. À noter que des poussées de psoriasis palmoplantaire ont pu être rapportées sous estroprogestatifs, évoquant le rôle de facteurs hormonaux dans le déclenchement de ces dermatoses pustuleuses apparentées au psoriasis. Le début de la symptomatologie se fait par des plaques érythémateuses douloureuses étendues au niveau des grands plis, se recouvrant très rapidement de dizaines puis de centaines de pustules superficielles non folliculaires à disposition annulaire qui par coalescence entraîne rapidement la constitution de lacs pustuleux. La dermatose évolue par poussées de manière centrifuge pour, dans les cas les plus sévères, se généraliser et prendre un aspect érythrodermique, respectant toutefois le visage ainsi que les extrémités.
Dans des cas exceptionnels, des atteintes muqueuses et unguéales ont été décrites. Lorsque la dermatose régresse, elle laisse en place une pigmentation postinflammatoire. Les signes généraux sont toujours présents à la différence des autres dermatoses de la grossesse. Ils sont en général marqués avec fièvre, asthénie, diarrhée, syndrome inflammatoire, signes de déshydratation dans les cas les plus sévères et parfois des troubles psychiques et des convulsions lorsqu’il y a des troubles métaboliques sévères. Sur le plan biologique, on note constamment une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, un syndrome inflammatoire marqué et parfois une hypocalcémie voire exceptionnellement une hypoparathyroïdie. L’anatomopathologie est celle d’un psoriasis pustuleux avec un aspect spongiforme de l’épiderme, une infiltration épidermique de polynucléaires neutrophiles avec formation d’abcès multiloculaires avec pustules sous-cornées. Le derme est inflammatoire avec infiltration lymphocytaire et de polynucléaires neutrophiles. On peut noter également les signes inconstants de psoriasis tels qu’une parakératose et une hyperplasie psoriasiforme. Il n’y a pas de nécrose kératinocytaire ni de vascularite. L’immunofluorescence directe est négative. Le diagnostic différentiel se pose avec la pustulose exanthématique aiguë généralisée (qui cependant survient dans un contexte de prise médicamenteuse et dont l’anatomopathologie montre parfois des nécroses kératinocytaires, des éosinophiles dans l’infiltrat, etc.), avec la pemphigoïde gravidique, le pemphigus à IGA, la dermatite à IGA linéaire. Dans ces dernières dermatoses, l’immunofluorescence directe permet de faire le diagnostic.
Le traitement du PPGG est une urgence car le pronostic vital de la mère et de l’enfant peut être engagé
La mère peut développer une déshydratation, une hypoalbuminémie, des convulsions, de la tétanie, le pronostic vital pouvant être engagé dans les formes les plus sévères. Le risque fœtal est lié à un arrêt de la grossesse par insuffisance placentaire ou à un retard de croissance in utero, le placenta étant altéré par l’inflammation, limitant ses capacités d’oxygénation et d’apport nutritif pour le fœtus. Cependant, cette prise en charge est difficile dans tous les cas. Dans les formes modérées, une corticothérapie générale à dose moyenne (15 à 30 mg/j) peut suffire, mais dans les cas les plus évolutifs, la posologie doit être supérieure pouvant aller jusqu’à 80 mg/j. À ces fortes doses, le monitoring fœtal étroit est indispensable. Certains auteurs associent systématiquement en cas de corticothérapie générale, une antibiothérapie par une céphalosporine. La corticothérapie générale doit être poursuivie jusqu’à l’accouchement et la diminution des doses après blanchiment doit être très progressive pour éviter les effets rebonds.
Dans les formes résistantes aux corticoïdes, la ciclosporine peut être utilisée en deuxième ligne à la posologie de 2 à 3 mg par kilo par jour. La ciclosporine est associée à la corticothérapie générale lorsque celle-ci est devenue inefficace ou mal tolérée, cette association permettant de réduire la posologie de la cortisone. Dans une revue générale récente, la ciclosporine a montré une efficacité dans 71 % des cas de PPGG. L’allaitement est contre-indiqué en cas de traitement par ciclosporine en post-partum. Des cas anecdotiques associant corticoïdes et photothérapie UVB ont été rapportés avec succès. Rappelons la contre-indication absolue de l’acitrétine au cours de la grossesse de même que celle du méthotrexate. Un cas traité par aphérèse extracorporelle leucocytaire (granulocytes et monocytes) a récemment été rapporté. Ce traitement d’exception a permis le blanchiment dans une forme multirésistante et de prévenir le retard de croissance in utero. Lorsque le PPGG se poursuit dans le postpartum, les molécules telles que l’acitrétine, le méthotrexate ou les anti-TNF peuvent être utilisées avec, ici encore, une contre-indication à l’allaitement.
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