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Dermatologie pédiatrique

Publié le 28 mai 2019Lecture 6 min

Les morphées de l’enfant

Mouna KOURDA, Hôpital Razi La Manouba, Tunis, Tunisie

Chez l’enfant, contrairement à l’adulte, les sclérodermies localisées (SL) ou morphées sont plus fréquentes que les sclérodermies systémiques. Pour une meilleure prise en charge thérapeutique des SL, une bonne connaissance des différentes formes cliniques, de leur évolution et de leur pronostic s’impose

Epidémiologie L’incidence des SL est d’environ 5/1 000 000 enfants avec une prédominance féminine (2,8/1). La maladie débute entre 2 et 14 ans avec un pic à 10 ans. La morphée linéaire est la forme clinique la plus fréquente chez l’enfant. Classification De nombreuses classifications ont été rapportées. Nous présentons la plus récente dans cet article. Les SL ou morphées sont classées en 5 formes : localisée, généralisée, linéaire, profonde et mixte. Cette dernière associe les différentes formes cliniques. Au sein de chaque forme, des formes cliniques sont individualisées (encadré). Les trois formes cliniques Ce sont l’atrophodermie de Pasini et Pierini, la fasciite à éosinophile ou fasciite de Shulman et l’hémiatrophie faciale de PerryRomberg encore appelée hémiatrophie faciale progressive. Elles ont été récemment rattachées aux SL. En effet, l’atrophodermie de Pasini et Pierini est caractérisée par l’importance de l’atrophie et l’absence de sclérose. La fasciite à éosinophiles, quant à elle, était classée dans les sclérodermies systémiques et l’hémiatrophie faciale était considérée d’étiologie différente de celle des SL. Par ailleurs, d’autres auteurs rattachent le lichen scléreux aux SL alors que l’examen anatomopathologique est différent de celui des SL mais des associations sont fréquentes entre lichen scléreux et morphées. Le grand polymorphisme clinique des SL est dû au fait que d’un point de vue étymologique, le mot morphée signifie « forme » et réunit ainsi dans une même catégorie des lésions caractérisées par une sclérose cutanée mais aussi par une inflammation, une dyschromie ou une atrophie. Aspects cliniques Morphée en plaques Il s’agit de plaques érythémateuses, superficielles, asymptomatiques, de forme ovalaire ou circulaire. Elles sont caractérisées par l’apparition ultérieure d’une sclérose centrale, de couleur blanc nacré, entourée le plus souvent d’un halo rose appelé « lilac ring » (figures 1 à 3). Le nombre, la taille et le siège des lésions sont variables. Néanmoins, les localisations au tronc et aux membres supérieurs sont les plus fréquentes. Aussi, la taille des lésions peut être inférieure à 2 cm et réaliser des morphées en goutte, de couleur blanc nacré et qui posent un problème de diagnostic différentiel avec le lichen scléreux (figure 4). Au cours de l’évolution, les lésions s’estompent le plus souvent avec le temps, en laissant une hyperpigmentation avec ou sans atrophie. Les morphées sont parfois profondes et s’étendent en profondeur vers l’hypoderme, l’aponévrose et le fascia. Elles peuvent être étendues ou localisées (figure 5). Morphée monomélique La morphée en bandes à disposition linéaire est profonde et touche surtout les membres inférieurs. Elle entraîne une diminution de l’ampliation articulaire. L’atrophie est fréquente et touche les tissus mous et le muscle voire l’os, ce qui entraîne des déformations avec un raccourcissement et une diminution de la circonférence du membre (figures 6 et 7). Morphée en coup de sabre Les morphées en bandes peuvent aussi toucher le visage entraînant une morphée en coup de sabre. Elles touchent le front et le cuir chevelu provoquant une alopécie (figure 8). Une alopécie des cils et des sourcils est fréquente. Le retentissement psychologique est très important. Des complications extracutanées doivent être recherchées à type d’atteintes ophtalmologiques (ptose et uvéite) ainsi que des complications neurologiques (convulsions). Atrophie hémifaciale progressive Elle est aussi connue sous l’appellation d’hémiatrophie faciale de Parry-Romberg. Elle est caractérisée par la perte progressive du tissu sous-cutané de l’hémiface, des muscles et des os ce qui en traîne une dysmorphie faciale majeure (figure 9). Elle peut s’associer à la morphée en coup de sabre. Atrophodermie de Pasini et Piereni Elle est caractérisée par des plaques peu scléreuses mais atrophiques, le plus souvent pigmentées (figure 10), rarement hypopigmentées ou de couleur de la peau normale. Elle siège au tronc et aux extrémités. Elle est considérée comme une forme de sclérodermie abortive car peu scléreuse mais atrophique. Morphée pansclérotique C’est une forme de SL généralisée et profonde qui est très rare et très grave. Elle est caractérisée par une atteinte rapidement progressive avec extension des lésions de façon centrifuge et circonférentielle. Des ulcérations cutanées apparaissent précocement associées à des contractures douloureuses avec limitation de la mobilité articulaire (figure 11). Elle résiste aux différents traitements et l’évolution est généralement fatale. Fasciite à éosinophiles Elle est aussi appelée fasciite de Shulman. C’est une SL profonde et généralisée qui s’étend jusqu’aux fascias et s’accompagne d’une hyperéosinophilie sanguine. Elle est caractérisée par la présence d’un œdème touchant les quatre membres et le tronc. Ultérieurement, il est remplacé par un durcissement progressif de la peau réalisant l’aspect en peau d’orange (figure 12). Forme mixte Elle associe différentes formes cliniques chez le même patient (figure 13). Examens paracliniques L’examen anatomopathologique n’est pas systématiquement demandé sauf en cas de doute diagnostique ou en cas d’indication d’un traitement systémique. Il montre une sclérose dermique avec horizontalisation et épaississement des fibres de collagène, une atrophie des annexes (figure 14). Les examens paracliniques sont peu nombreux néanmoins 2 examens sont intéressants : l’échographie cutanée de haute fréquence qui visualise la sclérose et sa pro fondeur (figure 13), et la thermographie qui montre une augmentation de la température en regard de la zone atteinte (figure 15). Ces examens sont utiles aussi bien pour le diagnostic que pour la surveillance. Evolutions et pronostic La surveillance des SL est difficile cliniquement. Deux scores peuvent être utilisés : • score d’activité : Localized Scleroderma Skin Severity Index (LoSSI) qui utilise comme critères l’extension de la morphée, la présence d’un érythème et l’épaisseur de la peau. • score évaluant les séquelles : Localized Scleroderma Skin Damage Index (LoSDI) se basant sur l’atrophie dermique, l’atrophie hypodermique et les troubles pigmentaires. Les SL sont caractérisées par l’absence d’évolution vers des sclérodermies systémiques à la différence de la maladie lupique. Ainsi, il est inutile de demander un bilan immunologique ni des explorations paracliniques à la recherche de manifestations extracutanées. L’évolution et le pronostic varient selon les formes cliniques. En effet, les morphées superficielles sont de bon pronostic. Elles évoluent vers la régression spontanée de la sclérose après 3 ans ou sur une période plus longue alors que les formes profondes et étendues sont de mauvais pronostic. Ainsi, les morphées monoméliques qui sont des SL linéaires et profondes ont une évolution sévère avec jusqu’à 30 à 50 % de complications ostéoarticulaires. Elles entraînent ainsi des séquelles fonctionnelles et esthétiques importantes avec un raccourcissement du membre atteint et une diminution de sa circonférence. Ces séquelles se compliquent d’une arthrose du genou et de problèmes vertébraux. Les morphées en coup de sabre et l’hémiatrophie faciale progressive sont d’évolution lente et associent parfois des atteintes ophtalmologiques et neurologiques. La morphée pansclérotique a une évolution rapide avec une atteinte des structures extracutanées ; elle est grave et mortelle. Traitements Il n’y a pas de consensus concernant les traitements des SL et les différents traitements n’ont pas reçu d’AMM. Le traitement doit être instauré le plus précocement, à la phase inflammatoire car une fois la fibrose installée, il y a résistance au traitement. Le traitement varie selon la forme clinique (tableau). D’autres traitements comme une kinésithérapie douce peuvent avoir un intérêt pour le maintien des amplitudes articulaires à la phase active de la maladie. Le port d’une semelle orthopédique est très important dans les morphées monoméliques pour compenser le raccourcissement du membre inférieur atteint. En effet, la semelle orthopédique compensatrice permet de prévenir l’arthrose du genou et les problèmes vertébraux. La chirurgie et la technique de comblement par du tissu adipeux autologue (lipofilling) a de bons résultats esthétiques dans l’hémiatrophie faciale progressive mais aussi dans la morphée monomélique des membres. La prise en charge psychiatrique est très importante. Conclusion Plusieurs formes cliniques sont individualisées au sein des sclérodermies localisées ou morphées de l’enfant. Le pronostic est bon dans les morphées superficielles. En revanche, il est grave dans les formes profondes ou étendues où les séquelles sont fréquentes et certaines formes cliniques peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Le traitement doit être précoce au stade inflammatoire avant la fibrose qui résiste au traitement.

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