Publié le 22 mai 2012Lecture 11 min
Le psoriasis unguéal : évaluation clinique et particularités thérapeutiques
R. BARAN, Nail Disease Center, Cannes
Le psoriasis unguéal est une atteinte affichante et donc retentissante sur la qualité de vie. La plupart des patients psoriasiques ont ou auront des lésions unguéales de la maladie. Un psoriasis peut toutefois se manifester uniquement par l’atteinte unguéale. Le traitement en est long et difficile. L’évaluation de la sévérité du psoriasis unguéal est indispensable pour estimer l’efficacité du traitement.
Le psoriasis unguéal affecte 61 % des sujets ayant un psoriasis cutané, 80 à 90 % des patients atteints de psoriasis arthropatique ; 90 % auront une manifestation unguéale au cours de la vie ; enfin, cette variété est rarement isolée. Alors que 57 % des psoriasiques présentent une atteinte des mains et des pieds, 27 % des malades ne sont touchés qu’aux mains et 16 % seulement aux pieds. L’appareil unguéal est douloureux dans 50 % des cas ; les lésions cutanées associées dans 94 % et les douleurs articulaires dans 54 %. Ainsi la qualité de vie s’altère- t-elle dans 76 % des cas, le handicap étant aussi bien physique que psychologique. Pour 93 % des patients, il y a une connotation esthétique importante ; pour 59 %, une gêne réelle dans leur activité quotidienne et pour 48 %, une difficulté à assumer leur emploi. La prédisposition des psoriasiques aux infections fongiques est trois fois supérieure à celles des personnes indemnes de cette maladie cutanée. Le psoriasis atteint volontiers des régions privilégiées comme les ongles et la maladie peut même se concentrer isolément sur l’appareil unguéal comme nous l’avons vu plus haut. Un seul doigt peut être touché sans manifestation radiologique. En revanche, l’IRM permet de révéler une enthésiopathie (inflammation des insertions tendineuses osseuses et ligamentaires se poursuivant sur l’ongle et les capsules articulaires). Moins coûteuses, la sonographie en 3D, et peut-être l’OCT (Optical Coherence Tomography), éventuellement associées à la scintigraphie osseuse, sauront-elles déceler un psoriasis arthropathique. Trois quarts des psoriasiques ont une qualité de vie altérée, le handicap étant aussi bien physique que psychologique. Une annexe ostéo-musculaire L’ongle doit être considéré comme une annexe ostéo-musculaire avec son unité fonctionnelle formant l’organe enthésique (figure 1). Figure 1. Anatomie de l’appareil unguéal. Du point de vue microanatomique, certaines images histologiques confirment le lien entre les différentes structures. Le tendon extenseur, en particulier, poursuit son insertion osseuse en enveloppant la racine de l’ongle. Les ligaments latéraux forment un réseau d’intégration contribuant à l’arrimage des bords latéraux de la tablette unguéale. Ce continuum virtuel de structures du tissu conjonctif se confond avec le périoste épaissi de la phalange distale et avec les nombreux ligaments cutanés qui fixent la graisse pulpaire à la peau. Le psoriasis est loin d’être une maladie exceptionnelle, mais son intérêt est quadruple, par : – la découverte d’une panoplie diagnostique allant du domaine visible à celui de l’invisible ; – une meilleure connaissance des diagnostics différentiels ; – l‘évaluation de l’affection grâce à un score facile à établir ; – enfin, la possibilité d’utiliser des thérapeutiques incomparablement plus efficaces que celles que nous connaissions il y a peu. Il est indispensable de se familiariser avec l’anatomie de l’appareil unguéal qui renseignera sur le site pathologique dont dépend l’aspect clinique. Corrélations anatomo-cliniques • La matrice proximale est responsable des dépressions ponctuées (figure 2), de la trachyonychie (figure 3), des sillons de Beau (figure 4) et de l’onychomadèse (figure 5). Figure 2. Dépressions ponctuées. • La matrice distale induit la leuconychie (figure 6) et l’aspect marbré de la lunule. • Le lit et l’hyponychium peuvent montrer une onycholyse (figure 7), les taches d’huile de Milian ou une hyperkératose sous-unguéale (figure 8). Les hématomes filiformes se situent surtout dans la portion distale du lit. • La paronychie (figure 9) a des caractères particuliers, la cuticule est intacte et, fréquemment, la face dorsale du repli sus-unguéal est psoriasique. Enfin, la pression de ce repli libère un matériel caséeux à cellules nucléées ou anucléées sans accompagnement levuro-bactérien. Souvent, il existe une association de certains signes pathologiques. Diagnostic différentiel Il sera fonction des signes cliniques révélés par l’examen minutieux du patient. • Les dépressions ponctuées se rencontrent aussi dans la pelade, l’eczéma, le syndrome de Fiessinger-Leroy et le lichen plan. • La trachyonychie. Il est impossible de distinguer cliniquement le psoriasis de la pelade ou du lichen plan lorsque l’atteinte des ongles est isolée. Toutefois, la croissance unguéale est toujours accélérée au cours du psoriasis. Figure 3. Trachyonychie des 20 ongles. • L’hyperkératose sousunguéale isolée n’est pas fréquente. Elle est causée par de nombreuses conditions telles que l’onychomycose, le pityriasis rubra pilaire, l’acrokératose paranéoplasique, la pachyonychie congénitale, la pelade, la maladie de Darier et le lichen plan. Leur connaissance est indispensable. • L’onycholyse est le signe unguéal majeur : il faut éliminer une onychomycose, une dermite de contact, les microtraumatismes répétés, un carcinome épidermoïde, un lichen plan, une pelade. L’absence d’une rougeur soulignant la bordure proximale de l’onycholyse ne facilite pas le diagnostic. • La paronychie psoriasique peut évoquer un syndrome de Fiessinger-Leroy, une onychomycose, une dermite de contact et un lichen plan. Elle est souvent polydactylique. • La leuconychie psoriasique vraie peut prendre le masque d’une pseudo-leuconychie ou d’une leuconychie apparente (ongle équisegmenté hyperazotémique, ongle cirrhotique, et double bande blanche hypoalbuminémique). • Les hématomes filiformes isolés sont cliniquement difficiles à distinguer des formes traumatiques et du syndrome des anticorps antiphospolipides. Figure 4. Lignes de Beau. En conclusion, dans les formes où l’examen clinique ne permet pas de trancher, la biopsie et la culture en milieu de Sabouraud faciliteront le diagnostic étiologique. La croissance unguéale est toujours accélérée au cours du psoriasis. Évaluation du psoriasis unguéal Avant d’envisager un traitement du psoriasis unguéal et d’estimer son efficacité, il est indispensable de déterminer l’intensité des lésions en proposant une méthode équivalente au PASI (Psoriasis Area and Severity Index). Le NAPSI (Nail Psoriasis Severity Index) a été développé à cet effet. Chaque ongle est divisé en 4 quadrants, ce qui permet de détecter la présence d’anomalies unguéales sur chacune de ces zones, dans la matrice de l’ongle (pitting, rugosité, leuconychies) et dans le lit de l’ongle (onycholyse, hyperkératose, hémorragies, gouttes d’huile). Si une anomalie est retrouvée sur les 4 zones, l’ongle a un score de 4. Figure 5. Onychomadèse. S’il n’y a pas d’anomalie, le score est 0. Cette évaluation se fait sur la matrice et le lit de chaque ongle par un score de 0 à 4. Les résultats sont additionnés pour atteindre un chiffre total de 0 à 8 pour chaque ongle. La somme des résultats forme le NAPSI total, qui peut atteindre 80 si les doigts seuls sont pris en considération, ou 160 si on prend également en compte les orteils. Il peut arriver que seuls certains ongles soient observés pour cibler les effets du traitement. Le NAPSI a également été modifié (mNAPSI). Nous avons par conséquent imaginé une technique s’appliquant à l’appareil unguéal qui diffère de la précédente (des Américains Rich et Scher) par sa précision et sa simplicité. Nous faisons appel, dans un premier temps, à l’étendue de la surface de l’onycholyse, des taches d’huile de Milian, de la leuconychie et de la trachyonychie : 3 lignes horizontales divisent la tablette en 4 quadrants, une ligne verticale médiane partage chaque quadrant en deux, réalisant 8 segments de 12,5 % (figure 10). Il est aisé d’utiliser cette méthode pour calculer l’aire de l’onycholyse : – forme légère : < 25 % ; – forme modérée : 25 à 50 % ; – forme sévère : > 50 %. Figure 6. Leuconychie. Un pied à coulisse permet de mesurer l’épaisseur de l’ongle (hyperkératose sous-unguéale) dans une échelle de 1 à 3 : – épaississement discret : < 2 mm ; – modéré : 2-3 mm ; – sévère : > 3 mm. Les anomalies de surface de la tablette telles que les dépressions ponctuées et les lignes de Beau, doivent tenir compte de leur nombre. Les dépressions ponctuées doivent être qualifiées et quantifiées de la façon suivante : – forme légère : moins de 10 dépressions ; – forme modérée : entre 10 et 20 dépressions ; – forme sévère : plus de 20 dépressions. Figure 7. Onycholyse précédée d’un érythème proximal. Les lignes de Beau, composées de dépressions contiguës formant un sillon transversal, peuvent être évaluées de la même façon : – forme légère : un seul sillon transverse ; – forme modérée : 2 ou 3 sillons ; – forme sévère : plus de 3 sillons. L’utilisation de cette classification permet d’estimer le degré pathologique du psoriasis unguéal de façon simple et précise. L’atteinte de la surface de la tablette atteste de la pathologie matricielle. Il est aisé de vérifier la variété pathologique des tissus sous-unguéaux en avant de la lunule. S’il est impératif d’établir le score de chacun des grands signes (érosions ponctuées, lignes de Beau, hyperkératose sous-unguéale et onycholyse), le score global représente la somme des cotations déterminant la gravité de chaque signe, le maximum ne dépassant pas 12. Traitements Figure 8. Hyperkératose sous-unguéale. Théoriquement, le traitement est fonction du site de l’atteinte pathologique, elle-même responsable des signes cliniques. Les traitements locaux traditionnels : corticoïdes, dérivés de la vitamine D3, tacrolimus, urée, associations thérapeutiques diverses. Ces traitements locaux sont souvent d’une efficacité limitée car ils ne sont pas adaptés à la pénétration du principe actif dans la matrice unguéale. Toutefois, un vernis composé d’urée à 15 % a été préconisé dans le traitement local de l’épaississement de la tablette psoriasique des mains et/ou des pieds à raison d’une application quotidienne pendant 6 mois. Un autre vernis, hydrosoluble, contenant de l’hydroxypropyl chitosan, des extraits de queue de cheval et de la DMSO semble intéressant dans la mesure où il durcit les ongles, réduit leur fragilité et leur rugosité, améliore enfin le psoriasis unguéal. Les injections intralésionnelles de corticoïdes permettent d’obtenir des résultats infiniment plus rapides que les traitements précédents, mais nécessitent le plus souvent une anesthésie locale lorsqu’elles s’adressent au lit unguéal. En cas d’échec des traitements locaux, les patients pourront bénéficier, selon le pays, soit d’irradiations, soit des traitements systémiques classiques. La PUVAthérapie n’a aucune action sur les dépressions ponctuées et n’offre au maximum que 50 % de bons résultats sur les autres signes. Figure 9. Paronychie multiple. La radiothérapie utilisée principalement en Suisse et en Allemagne avec bénéfice ne doit délivrer que des rayons mous (10 à 50 Kv, exclusivement chez l’adulte au-delà de 30 ans et sans jamais dépasser un total monodactylique de 10 Gy). Les traitements systémiques classiques font appel au méthotrexate, à l’acitrétine, la ciclosporine A et aux fumarates. Mais leur utilisation au long cours n’est pas dénuée d’effets secondaires, d’où l’intérêt porté aux biothérapies qui offrent la possibilité d’une maîtrise permanente du psoriasis. Les biothérapies. Ces agents sont dérivés des technologies de l’ADN recombinant et peuvent être classés en trois grandes catégories selon leur mécanisme d’action : – anti-TNFα : infliximab en injection intraveineuse, adalimumab, en injection sous-cutanée (les plus efficaces sur l’appareil unguéal) et étanercept, en sous-cutané ; – anti-IL-12/23 : ustékinumab et ABT-874, en injection souscutanée. • Ces biothérapies, qui donnent habituellement d’excellents résultats dans le psoriasis unguéal, sont indiquées en cas d’association avec une atteinte articulaire ou en cas d’échec ou de contre-indications aux traitements systémiques classiques (méthotréxate, ciclosporine ; les fumarates et l’acitrétine ne sont pas cités dans les RCP) et de la photothérapie. Figure 10. Index de sévérité (Baran, 2004). • Cependant, il faut reconnaître la possibilité d’effets secondaires, parfois sévères, même s’ils sont devenus rares depuis que le bilan préthérapeutique s’efforce d’éliminer une infection, en particulier une tuberculose latente, ou un cancer récent, voire passé inaperçu. • L’avenir s’ouvrira sur une utilisation optimisée de ces biothérapies (associations, traitements séquentiels, alternance de différents agents) afin d’en augmenter l’efficacité et d’en réduire les risques. C’est en maintenant un contrôle à long terme qu’on limitera la fréquence des récidives, inévitables. À l’avenir Reste le problème encore non résolu des psoriasis arthropathiques infracliniques touchant les sujets manifestant une atteinte strictement unguéale, mais surtout à type d’onycholyse. La sonographie, l’IRM et la scintigraphie sont susceptibles de détecter une affection naissante. Le choix des traitements dépendra donc des spécificités de chaque patient et, comme toujours, du choix du clinicien.
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