Cancérologie
Publié le 08 juil 2010Lecture 11 min
Les manifestations ORL précoces lors de l’infection par le VIH
P. BARIL, F. BEGGAZ, L. YONA, Hôpital Delafontaine, Saint-Denis
Les manifestations ORL au cours de l’infection VIH doivent être connues car elles peuvent être inaugurales et conduire au diagnostic précoce de la maladie ; elles participent à la décision de mise au traitement antirétroviral. L’ORL dans sa pratique courante est amené à les rencontrer. Il doit savoir demander les tests sérologiques si la maladie n’est pas connue. Lorsque la maladie est connue, l’ORL doit signaler ces manifestations au médecin infectiologue, car elles constituent un paramètre important de la stratégie thérapeutique pouvant conduire à l’instauration d’un traitement antirétroviral.
Lors de son apparition dans les années 1980, le sida était une affection constamment mortelle. Les progrès obtenus dans son traitement, et notamment par l’utilisation des médicaments antirétroviraux, ont été notables et ont transformé l’infection par virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en une maladie chronique. L’espérance de vie des patients rejoint presque celle de la population générale dans les pays ayant accès aux antirétroviraux. Les statistiques montrent, cependant, une persistance de l’épidémie avec des disparités géographiques importantes au niveau mondial. Histoire naturelle de la maladie L’histoire naturelle de la maladie est marquée : – par une phase de latence du virus dans l’organisme, au cours de laquelle des signes cliniques ORL peuvent être évocateurs ; – suivie d’une baisse progressive de l’immunité favorisant la survenue d’infections opportunistes, de tumeurs et/ou des maladies du système immunitaire (lymphomes, sarcome de Kaposi). L’objectif actuel est d’éviter la phase d’immunosuppression par la mise en route d’un traitement antirétroviral, afin de faire reculer la mortalité et la morbidité de la maladie. En 2009, en France, les données de l’Institut national de veille sanitaire montrent une absence de régression de l’épidémie et, malgré 5 000 000 tests de dépistage annuels effectués, une découverte fréquente de la maladie à un stade tardif, c’est-à-dire au stade d’immunosuppression. Ces données convergent pour privilégier un diagnostic précoce de l’infection virale. L’ORL, dans sa pratique quotidienne, peut participer à cet objectif, car certaines situations cliniques d’aspect banal ou la découverte de lésions quasi pathognomoniques peuvent être l’occasion de révéler la maladie. Par ailleurs, la connaissance de manifestations ORL au cours de l’infection VIH est essentielle pour les médecins en charge du sida. En effet, les infectiologues utilisent, au plan international, une classification de la maladie appelée classification CDC (Center of Disease Control). Cette classification s’appuie sur des critères cliniques qui incluent la présence de manifestations ORL (encadré 1). ENCADRÉ 1. RAPPEL : LES TESTS BIOLOGIQUES DANS L’INFECTION VIH. Le diagnostic Des tests de diagnostic sont disponibles : test ELISA (de dépistage), Western Blot (de confirmation) et quantification de l’ARN viral. La détermination de l’ARN viral définit la charge virale et s’exprime en nombre de copies par millilitre ou par une échelle logarythmique. Lorsque la charge virale est inférieure au seuil de détection de la méthode (actuellement 20 ou 35), elle est dite « indétectable ». Les tests de dépistage (actuellement ELISA) doivent être doublés, car ils sont parfois discordants, notamment en phase de séroconversion. La profondeur du déficit immunitaire Le nombre de lymphocytes CD4 par mm3 permet d’apprécier l’état immunitaire des patients. La tolérance des médicaments antirétroviraux les faisait prescrire lorsque le nombre de CD4 était inférieur à 250/mm3. Actuellement, la meilleure tolérance des médicaments permet de traiter les patients plus précocement dès que les CD4 sont à 350/mm3, voire inférieurs à 500/mm3. Ce sont ces manifestations ORL précoces, peut-être mieux connues des infectiologues que des ORL, que nous voudrions exposer, en soulignant qu’elles ne résument pas l’ensemble des manifestations ORL pouvant survenir au cours de l’infection par le VIH. Ne seront donc pas développées les lésions classiques telles que le sarcome de Kaposi, bien que fréquent au niveau cervicofacial, ou telles que les infections opportunistes extensives. La classification CDC La classification CDC permet de hiérarchiser l’histoire naturelle de l’infection ; elle est au sida ce que la classification TNM est à la cancérologie. Ce classement rend possible des comparaisons épidémiologiques. La classification CDC sépare les malades en trois groupes (A, B et C) (encadré 2), en fonction des manifestations cliniques, puis chaque groupe est subdivisé en trois sous-classes (1, 2 et 3) en fonction du taux de CD4. La maladie est classée dans un groupe et un sous-groupe (A1, A2, A3, B1, B2, B3, C1, C2, C3; la classification va en gravité croissante de A1 à C3). Le classement initial est déterminé définitivement, même si l’état immunitaire du patient se restaure ultérieurement sous l’effet des traitements, ce qui le rend moins utile depuis l’ère des multithérapies antirétrovirales. Leur constatation doit faire pratiquer, si besoin, un diagnostic sérologique. Ce test est relativement bien accepté par les patients, comme le suggère, d’ailleurs, le nombre élevé de tests volontaires effectués (5000000 chaque année). L’annonce du résultat peut être plus délicate et devrait, sans doute, être effectuée en collaboration rapide avec un médecin formé à la prise en charge du sida. ENCADRÉ 2. LES TROIS GROUPES DE LA CLASSIFICATION CDC. Groupe A Primo-infectio ; infection VIH asymptomatique ; syndrome lymphadénopathique : adénopathie > à 1 cm, 3 mois sans cause connue sur 2 sites extra-inguinaux. Groupe B : manifestations liées au VIH ou indicatives d’un déficit immunitaire Angiomatose bacillaire ; aphtose ; candidose oropharyngée ; leucoplasie chevelue de la langue ; zona récurrent; neuropathie périphérique ; pneumopathie à pneumocoque ; candidose vaginale ; dysplasie du col carcinome in situ; salpingite ; purpura thrombocytémique idiopathique Groupe C : Sida Encéphalopathie VIH, cachexie progressive, herpès, ulcération cutanée ou muqueuse Infections opportunistes : pneumocystose pulmonaire ; toxoplasmose cérébrale ; infection à CMV ; candidose oesophagienn, trachéale ou bronchopulmonaire ; tuberculose ; infections à mycobactérie atypiques ; Kaposi ; Lymphome non hodgkinien ; Cancer du col Les manifestations ORL précoces au cours de l’infection par le VIH La phase de primo-infection La phase de primo-infection peut être asymptomatique, mais peut également se caractériser par une pharyngite associée à un syndrome fébrile avec sueurs nocturnes, asthénie, myalgies, des arthralgies, des troubles digestifs (nausées, troubles du transit). Les adénopathies cervicales apparaissent fréquemment lors de la deuxième semaine, elles régressent en plusieurs semaines ou mois, permettant parfois un diagnostic a posteriori. Ce syndrome, pouvant faire évoquer une mononucléose, est parfois associé à des ulcérations cutanéomuqueuses, à une éruption cutanée. Biologiquement, on constate une thrombopénie fréquente, suivie de la leucopénie. Une hyperlymphocytose apparaît lors de la deuxième semaine d’évolution. La phase asymptomatique La primo-infection est suivie d’une période asymptomatique, d’une durée variable (parfois plusieurs années), durant laquelle le patient conservera une immunité suffisante. La phase symptomatique Au décours de la phase asymptomatique, des manifestations cliniques ORL peuvent survenir permettant encore un diagnostic précoce (encadré 3). ENCADRÉ 3. Circonstances devant faire demander une sérologie VIH Tableau de primo-infection VIH ; Candidose oropharyngée ; Paralysie faciale périphérique ; Leucoplasie chevelue de la langue ; Ulcérations herpétiques et aphtes ; Hypertrophie et kystes de la parotide ; Cancer des VADS en l’absence de facteurs de risque Circonstances devant faire rechercher d’autres signes cliniques d’infection VIH • Xérostomie, lésions du péridonte • Obstruction nasale, sinusites et otites récidivantes • La lymphadénopathie persistante généralisée Les adénopathies sont en relation avec une hyperplasie folliculaire. Les adénopathies doivent intéresser deux aires ganglionnaires séparées non inguinales, évoluer pendant plus d’un mois sans étiologie. Leur siège est volontiers cervical postérieur. Le diagnostic différentiel amène fréquemment à discuter d’un lymphome ou d’une infection opportuniste (tuberculose notamment). Le diagnostic peut nécessiter une cytoponction ou une adénectomie avec analyse bactériologique et histologique. La lymphadénopathie persistante généralisée fait classer la maladie en groupe A de la classification CDC. • La candidose oropharyngée Diverses manifestations cliniques peuvent s’observer : Glossite losangique. – le muguet est l’aspect le plus fréquent : plaques blanchâtres à l’intérieur de la bouche (sur la langue, les joues, les gencives, etc.), décollables avec une muqueuse sous-jacente saignante ; – la candidose érythémateuse: plaques rougeâtres, siégeant sur le dos de la langue ou le palais, qui peuvent démanger ou provoquer des douleurs ; – la perlèche : plaques au niveau des commissures des lèvres essentiellement, rouges à l’extérieur avec de petites croûtes jaunâtres. Ces plaques peuvent se prolonger à l’intérieur de la bouche ; – la glossite losangique : la lésion siège sur la partie médiane de la face dorsale de la langue ; elle a une couleur rosée ou rouge, plane ou mamelonnée, de forme losangique à grand axe antéro-postérieur. Une candidose oropharyngée fait classer le patient en groupe B de la classification CDC. • La paralysie faciale périphérique Les paralysies faciales périphériques lors de l’infection VIH sont des névrites virales, le plus souvent unilatérales, mais parfois bilatérales. Chez les patients VIH, la récupération serait plus lente et moins complète que dans les paralysies faciales non VIH. La physiopathologie reste incertaine, pouvant correspondre à une réactivation des virus du groupe VZV. La survenue d’une paralysie faciale est une affection faisant classer le patient en groupe B. • La leucoplasie chevelue de la langue Elle peut être l’occasion de la découverte de l’affection VIH. La leucoplasie chevelue de la langue est une lésion blanchâtre, indolore, située sur le bord latéral de la langue, pouvant gagner la face dorsale de la langue. Cette lésion est adhérente au plan profond et ne se laisse pas décoller. La leucoplasie chevelue de la langue est liée à la réplication du virus Epstein-Barr, favorisée par l’infection par le VIH. Elle avait une valeur pronostique défavorable avant l’ère des antirétroviraux puissants, 50 % des malades développaient un sida avéré dans les mois suivant l’apparition de la leucoplasie chevelue. Cette lésion régresse souvent après traitement antirétroviral. La leucoplasie chevelue de la langue fait classer la maladie en groupe B. • Les ulcérations herpétiques, les aphtes Les ulcérations surviennent après l’apparition de vésicules confluentes. Les ulcérations aphtoïdes peuvent être banales ou géantes. Elles font classer la maladie en groupe C. • La xérostomie et les lésions du péridonte Ces manifestations sont fréquentes. La sécheresse buccale est plurifactorielle et pourrait être liée à l’infiltration du tissu salivaire par les lymphocytes T CD8. • L’hypertrophie et les kystes de la parotide L’hypertrophie parotidienne est liée à une infiltration parotidienne par des lymphocytes T CD8. L’hypertrophie est bilatérale, parfois irrégulière et pseudotumorale. Elle peut être relativement inesthétique, pouvant justifier un geste chirurgical. Toute hypertrophie parotidienne bilatérale avec hyperlymphocytose CD8 est pathognomonique du VIH. Cette infiltration est à différencier des kystes intraparotidiens, fréquemment observés au cours de l’infection VIH. Ils sont en rapport avec une formation liquidienne intraparotidienne, avec une paroi fine à l’échographie. Ils correspondraient à une obstruction des canaux excréteurs avec atrophie du parenchyme glandulaire. • Les rhinites, les sinusites et les otites moyennes Il existe, au cours de l’infection VIH, une hypertrophie de l’anneau de Waldeyer, par stimulation des lymphocytes B, qui favorise infections rhinosinusiennes et otites moyennes. Les signes cliniques restent ceux des infections classiques. Même si ces manifestations semblent moins fréquentes depuis l’apparition des antirétroviraux, l’obstruction nasale est une doléance encore fréquemment formulée par les patients. Le scanner des sinus montre des opacités diffuses. Le traitement par corticoïdes peut être efficace en raison d’une composante allergique, liée à l’hypersécrétion d’IgE. La banalité de ces signes, qui constituent un motif pluriquotidien de consultation en ORL, rend le diagnostic et la mise en relation avec l’infection VIH sous-jacente difficiles. Des éléments doivent attirer l’attention : – ces infections sont rebelles et récidivantes chez des patients n’ayant pas d’infections ORL notables jusque-là ; – elles peuvent s’associer à d’autres signes d’infection VIH (parotidomégalie, antécédent de paralysie faciale, candidose oropharyngée, lymphadénopathie persistante généralisée, leucoplasie chevelue de la langue, xérostomie, etc.). • Les cancers des VADS L’apparition de cancer des VADS (oropharynx, base de langue, larynx) n’est pas un élément du classement CDC de la maladie. La fréquence est accrue, notamment chez les patients sans facteur de risque, en raison peut-être d’une coinfection VIH et papillomavirus de type 16. Le traitement curatif du cancer et celui permettant la restauration de l’immunité doivent être effectués conjointement. Classiquement, les effets secondaires de la chimiothérapie et de la radiothérapie sont plus marqués que chez les parents non VIH. La survenue d’un cancer ORL chez un sujet sans facteur de risque doit inciter au contrôle de la sérologie VIH.
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